« Nous payons une somme de 100 francs CFA à chaque passage. Cette somme est obligatoire en saison de pluie comme en saison sèche. Ici, il n’y a pas de pont pour aller de l’autre côté. Quand nous ne payons pas, nous sommes obligés de rentrer dans l’eau », lance Rémy, le visage courroucé. Martial, de son côté, sue à grosses gouttes sous une chaleur torride. A 17 ans, la boue jusqu'aux genoux dans ses vêtements troués, assure la traversée des piétons sur son dos d’une rive à une autre de la rivière Mfilou qui sépare les quartiers Diata et Makazou à Brazzaville. « J'ai mal au dos à force de travailler ici », lâche-t-il, sans se détourner de sa tâche. « Mais je n'ai pas le choix, je dois subvenir à mes besoins », plaide-t-il. Un peu plus loin, Germain, 16 ans, s'affaire lui aussi. Malgré un buste chétif sur des jambes rachitiques, il porte chaque fois sur son dos jusqu'à cent personnes du matin au soir. D'autres enfants à peine plus âgés, en haillons, font les mêmes allers-retours.
À Brazzaville, il faut s’y prendre tôt pour manger le soir. Tout le monde pratique l’article 15, une maxime qui définit le système de débrouillardise en place au Congo.
Dans tous les quartiers de la capitale congolaise, les jeunes étranglés par le chômage, et qui ne savent plus à quel saint se vouer, font montre d'un esprit de débrouillardise à toute épreuve. Dans ce pays, où trouver un emploi dans la fonction publique ou dans le secteur d'économie moderne privé relève de l'exploit, et où la pauvreté persiste et signe, des millions de citadins et de ruraux se démènent comme de beaux diables pour tirer leur épingle du jeu.
Ils sont contraints, par la force des choses, à se battre bec et ongles pour assurer leur survie avec comme principale solution, la débrouillardise à la congolaise, c'est-à-dire la quête effrénée d'opportunités, bonnes ou mauvaises.
Dos au mur, chefs de famille, femmes, jeunes, adultes, analphabètes et diplômés tentent de " se forger " une source de revenu, de construire un toit, de manger, de trouver de l'eau, de se déplacer, de s'instruire, de se soigner, etc.
Des générations dont toute la carrière s’est déroulée sur fond de chômage approchent aujourd’hui de l’âge de la retraite. Avec des conséquences plus graves pour les moins qualifiés dont l’insertion dans l’emploi durable est plus longue.
Le pays est encore soumis à l'emprise voire au règne d'une débrouillardise sans bornes. Son avenir économique se construit sur l'empressement chaleureux et bavard des vendeurs à la sauvette dans les rues, les acrobaties des " mototaxistes " dans la circulation urbaine, les manèges des prostituées le long des trottoirs…
Même si les leaders politiques ont initié de multiples programmes de développement dits structurants, ces projets, aujourd’hui en cours, n’ont pas encore de conséquences sur le bien-être des populations.
À l’autre bout de l’échelle sociale, les trois quarts de la capitale sont constitués de zones crasseuses et délabrées, sans eau ni électricité, aux rues anonymes, alimentées par l’exode rural.
Même dans les quartiers de la classe moyenne, les infrastructures, quand elles existent, sont défaillantes.
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Jean-Jacques DOUNDA / Les Echos du Congo-Brazzaville