Congo - Littérature : « Les mystères de la mine d’or » ou l’écriture du passage chez Gabriel Kinsa

Conteur et écrivain d’origine congolaise, héritier d’une tradition orale où la parole ne se contente pas de raconter, mais s’attèle à transmettre une mémoire, une vision du monde et une relation vivante au sacré, Gabriel Kinsa publie aux éditions Hello « Les mystères de la mine d’or ». Un renversement symbolique du sens de l’initiation.

Longtemps, dans la littérature moderne et coloniale, savoir, formation et « civilisation » habitaient l’Europe ; et l’Afrique, comme l’endroit qu’enveloppe un voile noir.

Le cliché est celui du personnage noir qui vient en Europe pour apprendre, se former, avant de « s’élever » socialement.

Dans le dernier roman de Gabriel Kinsa, on suit au contraire le parcours d’un homme blanc, un Belge, s’envoler pour l’Afrique en vue de s’initier à un mystère.

L’auteur opère ici, avec la magie de la fiction et de son talent de conteur, un renversement de hiérarchie symbolique : l’Europe devient un espace de vide existentiel ou de désenchantement ; un espace de transmission, de profondeur ou de savoir ancien pour l’Afrique.

De fait, l’initiation n’est plus technique ou universitaire, mais ontologique : apprendre à être, à se relier à la terre, à l’invisible, à la mémoire. Ce renversement acquiert du reste une valeur critique, et pour cause, il questionne l’idée selon laquelle le progrès matériel équivaut à une supériorité spirituelle.

Le motif narratif est puissant, même si l’on peut craindre le mythe d’une Afrique-sagesse, figée, une Afrique qui n’existe que comme un lieu de safari sauvage ou de décor initiatique du héros blanc. C’est sans compter sur Gabriel Kinsa qui évite le piège d’une Afrique monolithique ; qui montre des personnages africains dotés de subjectivité, de contradictions, de voix propres ; qui nous donne à voir à un héros blanc qui ne “prend” pas un savoir, mais qui est mis à l’épreuve de l’initiation, parfois remis à sa place, parfois désillusionné.

Non, l’initiation n’est pas un cadeau. C’est un décentrement, parfois inconfortable, parfois humiliant. Dans cette perspective, le véritable déplacement n’est pas géographique, mais intérieur. Simon ne va pas en l’Afrique pour se sauver ; il y va pour apprendre à ne plus se croire central.

Mais de quoi s’agit-il au juste ? Un jeune Belge, Simon, animé du désir de changer de vie ou de se réinventer, « découvre un document ancien mentionnant Niolo, une mystérieuse mine d’or sacrée au Congo. Attiré par l’appel d’un ailleurs plus profond que son quotidien, il s’immerge dans les traditions kongo, rencontre des sages, des chercheurs et des guides qui l’initient à une vision du monde où l’or n’est pas un métal, mais une force spirituelle. Son périple le conduit à travers forêts sacrées, villages menacés et zones contrôlées par des milices, où il doit affronter autant les dangers extérieurs que ses propres doutes ».

Une scène fondatrice de l’initiation

Comme toujours chez Gabriel Kinsa, le style est fluide et au service du symbolique, presque classique, mais traversé de métaphores fortes. Cette sobriété formelle rend le symbolisme d’autant plus efficace car le texte ne surligne jamais son mystère, il le laisse affleurer. Il le laisse deviner. Les phrases alternent entre longues périodes introspectives et phrases plus brèves, notamment dans les dialogues, créant un rythme qui épouse le mouvement intérieur de Simon : hésitation, accélération, prise de décision.

Certes le roman est écrit à la troisième personne ! Mais il multiplie le point de vue interne pour renforcer l’initiation ; un point de vue très proche du personnage, centré sur ses sensations physiques, respiration, tremblement, battement du cœur. Cette immersion dans la conscience de Simon permet au lecteur de partager l’expérience de la fascination et du doute.

Extrait : « Simon sentait un élan irrépressible monter en lui. Il glissa la cassette précautionneusement dans sa sacoche, jetant un dernier regard au chantier avant de s’en aller, le cœur battant. De retour dans son appartement, il posa l’objet métallique sur la table, comme on déposerait un trésor. Une aura mystérieuse semblait irradier de la cassette, enveloppant la pièce d’une tension palpable. Les mains légèrement tremblantes, Simon essuya la surface rouillée, chaque frottement révélant un peu plus de son secret. Sa respiration se fit plus lente, plus profonde, alors qu’il pressentait que quelque chose d’important se trouvait à l’intérieur. Enfin, il ouvrit la cassette, retenant son souffle. À l’intérieur, un morceau de papier jauni, plié avec un soin presque rituel, l’attendait. Il le déplia avec précaution, les yeux rivés sur le croquis rudimentaire d’une forêt parsemée de symboles étranges et d’inscriptions indéchiffrables. Un frisson le parcourut – il venait de mettre la main sur bien plus qu’un simple dessin ; c’était une porte ouverte vers l’inconnu. Mais un mot attira immédiatement son attention : Niolo. Il le relut plusieurs fois, le mot résonnant en lui d’une manière inexplicable. Sans savoir pourquoi, Simon ressentit un appel, une étrange impression de devoir comprendre ce mystère. Il passa la nuit à réfléchir, la cassette toujours à portée de main, éveillé par une énergie nouvelle. »

On l’aura compris, c’est une écriture du seuil et de la tension intérieure. Une atmosphère de mystère soigneusement construite La narration multiplie les champs lexicaux du secret, du sacré et du rituel : « aura mystérieuse », « soin presque rituel », « tension palpable », « porte ouverte vers l’inconnu ».

Les gestes de Simon sont décrits avec lenteur et précision, comme une cérémonie. Cette dilatation temporelle accentue l’idée que l’on franchit un seuil invisible. L’objet lui-même est anthropomorphisé, doté d’une puissance propre. La cassette « irradie », le mot « résonne ». L’inanimé devient actif, presque vivant, ce qui inscrit le récit dans une logique animiste, en cohérence avec la spiritualité kongo à venir.

Ce passage fonctionne comme l’acte inaugural du récit initiatique annoncé ; il met en place, à une échelle encore intime et occidentale, celle de Bruxelles, les grands axes symboliques du roman.

Déjà, Simon est saisi par un « élan irrépressible », expression qui suggère une force qui le dépasse. L’objet trouvé, la cassette, ne relève pas du simple hasard, non. Il est présenté comme un appel. Le texte s’inscrit ainsi dans une tradition du récit de quête, où le héros reçoit un signe initial qui l’arrache à son quotidien. Le mot Niolo agit comme un nom magique, presque incantatoire. Et, avant même d’être compris rationnellement, il est ressenti corporellement – « il résonnait en lui », « un frisson le parcourut ».

Cette antériorité du ressenti sur le savoir annonce par anticipation la vision du monde kongo, à savoir une connaissance intuitive, spirituelle, non occidentale. Et, lorsque Simon découvre que Niolo signifie « or », le texte joue volontairement sur une ambiguïté.

À ce stade, le personnage projette encore une lecture matérielle – « Une mine d’or ? » –, fidèle à l’imaginaire occidental de la richesse et de l’exploitation.

Pour tout dire, ce passage constitue un seuil narratif et symbolique. Sur le fond, il met en place une quête qui dépasse la simple aventure pour devenir une recherche de sens et d’identité. Sur la forme, il installe une atmosphère de mystère et de sacralité par une écriture précise, sensorielle et maîtrisée. Il annonce un roman où le voyage extérieur ne sera que le reflet d’une transformation intérieure, et où le mot Niolo, d’abord perçu comme une promesse matérielle, se révélera comme une épreuve de vérité, une initiation à une autre manière d’habiter le monde.

Bedel Baouna/Les Échos du Congo-Brazzaville