Le sommet de Sotchi annonce le « retour en force » de la Russie en Afrique

À Sotchi, ville russe située au bord de la mer Noire, débute ce mercredi 23 octobre 2019, un sommet Russie-Afrique. Une quarantaine de dirigeants dont Denis Sassou N’Guesso du Congo-Brazzaville sont reçus par Vladimir Poutine pour un rendez-vous présenté comme une réplique de ceux organisés par la France ou la Chine avec leurs partenaires africains. Une première.

L'évènement doit symboliser le « retour en force » de la Russie sur le continent africain.

Certes, le retour de la Russie en Afrique est indéniable. Cependant, l’approche de Moscou se fonde moins sur un grand dessein stratégique de domination que sur une quête d’influence opportuniste et pragmatique, essentiellement dictée par des impératifs économiques.

En décembre 2017, Moscou a obtenu de l’Organisation des nations unies (ONU) une levée de l’embargo sur les armes pour équiper et former les unités centrafricaines (environ 1300 hommes). Le retour de la Russie en Afrique, de Luanda à Port Soudan en passant par le Caire et Pretoria, est depuis largement commenté.

Au-delà du récit de la « reconquête » d’un espace que la Russie postsoviétique avait abandonné, la nature de ce retour soulève trois questions. Procède-t-il uniquement d’un « effet d’aubaine » ou au contraire d’une stratégie mûrement réfléchie par le Kremlin, au même titre que celle du « tournant vers l’Asie» amorcé dès le premier mandat de Vladimir Poutine? Quels sont les vecteurs privilégiés de ce retour : la diplomatie, la sphère militaire, les ressources naturelles, l’économie ? Enfin, comment cette politique s’articule-t-elle avec la concurrence des autres puissances déjà présentes sur le continent africain ?

Premièrement, le retour de la Russie en Afrique est beaucoup moins spectaculaire que ne le laisse penser sa couverture médiatique récente. Deuxièmement, les moyens de ce retour relèvent surtout de l’influence et des actions indirectes, dont certains acteurs privés et publics sont les instruments. Troisièmement, les perspectives de la Russie en Afrique reposent vraisemblablement sur deux piliers, la coopération militaro-technique et l’exploitation des ressources naturelles.

L’investissement politique russe en Afrique n’a rien de comparable avec celui de Moscou en Asie.

Dès son premier mandat, Vladimir Poutine a effectué une tournée asiatique pour y tisser des liens bilatéraux. Il n’accordait alors à l’Afrique qu’une importance marginale. Si l’Asie au-delà de l’Oural appartient à l’histoire culturelle russe jusque dans le symbole de ses armoiries (aigle bicéphale), l’Afrique reste un continent reculé, en dépit des racines éthiopiennes d’Alexandre Pouchkine. De même, dans l’échelle des priorités, l’Arctique et le Grand Nord entrent dans les intérêts stratégiques du Kremlin en raison, entre autres, des ressources à exploiter et des emprises militaires russes de la région de Mourmansk, alors que l’Afrique reste un espace secondaire, sans véritables perspectives économiques et sous influence des anciennes puissances coloniales européennes.

La relance par le Kremlin de sa politique africaine à partir de la fin de l’année 2014 peut s’expliquer par la conjonction de trois facteurs : les sanctions occidentales adoptées contre la Russie après l’annexion de la Crimée, l’entrée en vigueur de l’Union économique eurasiatique (UEE) et le début des frappes aériennes russes en Syrie (30 septembre 2015).

La confrontation avec l’Occident s’impose désormais comme un élément structurant de la politique étrangère russe. Motivé à la fois par des considérations de politique intérieure et par une volonté de puissance, ce positionnement conduit le Kremlin dans une quête tous azimuts de partenaires alternatifs.

L’intérêt russe pour l’Afrique s’inscrit dans cette perspective, bien que le continent soit déjà un espace d’intense compétition entre les anciennes puissances coloniales et les pays émergents, dont plusieurs partenaires de la Russie comme l’Inde, la Chine, le Brésil, la Turquie et Israël.

En outre, les autorités russes cherchent de nouvelles ressources financières et économiques, hors du champ d’application des sanctions européennes et américaines.

La Russie semble ainsi redécouvrir, après un désengagement massif au début des années1990, l’attractivité d’un continent dans lequel l’Union soviétique s’était largement investie, politiquement et économiquement.

Sans doute pour se démarquer de la Chine, accusée d'entraîner l’Afrique dans le surendettement, Moscou met en avant sa politique d'effacement de la dette, héritée de l'époque soviétique, et sa volonté de fonder une coopération équilibrée. Un discours qui masque la faiblesse financière de la Russie, comparée au géant chinois.

Mais quoi qu'il en soit, les échanges entre la Russie et l’Afrique s’élèvent à 20 milliards de dollars, en constante augmentation depuis quelques années.

Il est certain que la Russie a l’intention de peser davantage, et cette volonté se traduit par l’organisation de ce sommet. Réunir à Sotchi la plupart des dirigeants africains constitue, en soi, un très joli coup diplomatique.

Le président russe, Vladimir Poutine, dans une interview exclusive à l’agence russe Tass à la veille du sommet Russie-Afrique de Sotchi, a lancé des attaques en règle contre les anciens colonisateurs de l’Afrique qui font main basse sur les richesses du continent en procédant à des pressions, de l’intimidation et du chantage envers les dirigeants du continent.

Poutine propose, pour sa part, de bâtir avec les africains, des relations de partenariat équitables, basées sur l’égalité en droit et l’intérêt pratique mutuel.

Jack de MAÏSSA / Les Echos du Congo Brazzaville