Les peuples de la forêt, gardiens du climat dans le ''poumon'' du Congo

Ils sont Baka, pygmées ou ''peuples autochtones'', ce n'est pas tant leur appellation qui de nos jours pose problème. Ces peuples de la forêt se sont reconvertis en gestionnaires rationnels de la forêt et en régulateurs du climat. Ils utilisent un GPS pour positionner sur une carte leurs zones de chasse et leurs lieux sacrés dans les forêts du nord de la République du Congo.

Qui n’a pas entendu parler des Kayapo d’Amazonie dont le chef Raoni plaide pour les droits de son peuple partout à travers le monde ?

Qui ne sait pas que derrière les pots de Nutella, ce ne sont pas seulement les orangs-outans mais d’autres peuples des forêts qui ont été chassés de leurs terres pour faire de la place aux plantations d’huile de palme ?

Le sort des populations des forêts denses du bassin du Congo ne reçoit pas la même publicité. Est-ce parce que des décennies de conflits et de sous-investissement ont jusqu’à présent tenu cette région plus à l’écart des investissements à grande échelle dans les secteurs de l’exploitation forestière ou de l’agrobusiness ?

Pourtant, le rôle des populations autochtones dans la préservation des forêts tropicales est partout d’égale importance. « Si nous voulons protéger les forêts, nous devons protéger les droits des peuples indigènes et des communautés forestières qui gèrent ces espaces depuis des générations » a rappelé l’administratrice du programme des Nations unies pour le développement, Helen Clark, vendredi 22 avril, lors d’une rencontre sur « la protection des gardiens des forêts » organisée par la Ford Foundation en marge de la signature officielle de l’accord de Paris sur le climat aux Nations unies, à New York.

« On ne peut pas ignorer le deuxième massif tropical du monde, il est la prochaine frontière à défendre si nous ne voulons pas que se reproduise ici l’histoire du Brésil, de l’Indonésie et de la Malaisie », prévient Frances Seymour, chercheuse au Center for Global development (CGD) et ancienne directrice du CIFOR (Centre de recherches international sur la forêt) « pour cela, il faut reconnaître les droits fonciers de ceux qui protègent la forêt. »

« Dans le bassin du Congo, les peuples autochtones et les communautés locales ne possèdent aucun titre légal sur leurs terres » Or dans ce domaine, l’Afrique centrale est en retard.

Selon une étude publiée en octobre 2015 par l’ONG, Rights and Ressources Initiative (RRI), moins de 3 % des terres gérées par des peuples autochtones ou des communautés locales sont assorties de titres de propriétés en Afrique contre 10 % à l’échelle mondiale.

RRI tient une base de données recensant les droits accordés aux peuples indigènes et aux communautés locales dans 64 pays couvrant 82 % de la superficie terrestre. Si en Ouganda, ce pourcentage atteint 67 %, au Liberia près de 32 % et au Mozambique 24 %, il est égal à zéro dans tous les pays du bassin du Congo.

Le Cameroun et dans une moindre mesure le Congo ont toutefois démarqué une partie des terres au bénéfice de ces populations. La RDC vient de franchir un pas important en donnant, par un arrêté publié en février dernier, la possibilité à des communautés locales de devenir propriétaires de concessions forestières à perpétuité pouvant s’étendre sur 50 000 hectares.

Cette idée avait été introduite dans le code forestier en 2002 sans que suite soit donnée. En revanche, la situation des Pygmées - dont le nombre très approximatif est évalué à 700 000 personnes - reste inchangée. Un chiffre suffit à comprendre pourquoi les écologistes convergent avec les militants des droits humains dans la défense des peuples autochtones : les espaces occupés par ces populations stockent environ 20 % du carbone forestier de toute la ceinture tropicale, selon une évaluation du Woods Hole Research Center, publiée en décembre 2015.

Pour la RDC, ce chiffre dépasse 30 % et représente sept fois les émissions annuelles du pays. « Il sera impossible de contenir le réchauffement planétaire en dessous de 2 °C sans mettre un terme à la déforestation », a rappelé à New York, Philip Duffy, le président de ce centre de recherches scientifiques. « Une action très volontariste pour préserver les forêts actuelles et reboiser massivement peut permettre de gagner plus d’une décennie dans le sevrage des énergies fossiles auquel le monde doit parvenir ».

Dans cette course contre la montre, les peuples autochtones et les communautés locales sont aux yeux des climatologues de précieux alliés.

Reste à convaincre les gouvernements. Dans les contributions nationales déposées dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat par chaque pays signataire, seul le Cameroun parmi les pays d’Afrique centrale aurait jusqu’à présent prévu, selon RRI, de faire une place aux Pygmées dans sa stratégie de lutte contre le changement climatique.

Benoît BIKINDOU