Brazzaville, le mercredi 10 avril 2019 entre 9h30 et 10h. Je quitte la maison avec ma dernière fille, Katya, qui a 10 ans. Nous marchons pour sortir du quartier. Dès le portail franchi, nous débutons les salutations matinales de bon voisinage. C'est important de maintenir une cohabitation de cohérence sociale avec les voisins. Surtout, si tu as construit et habites une maison plus cossue que celles du voisinage. En cas de..., si les voisins te prennent (et là, les raisons sont de tous genres) pour quelqu'un qui se la pète, jamais, ils ne t’informeront, à fortiori, ne t'avertirons s'il y a une situation désavantageuse qui rôde dans le quartier. Les relations de bon voisinage sont importantes.
Alors, ma fille et moi, nous poursuivons notre randonnée des saluts ici, saluts là, au fur et à mesure que longeons notre rue, la rue des P. T. T. Lorsque nous arrivons à la dernière intersection, d'avant le terrain plat où une société immobilière a creusé de grands caniveaux pour construire les fondations de la clôture qui délimitera l'enceinte de la cité immobilière qui, nous dit-on, abritera des logements sociaux, nous saluons le dernier groupe de voisins ; ensuite, nous parcourons la dizaine de mètres qui nous séparent du terrain vague de l'ancien ONPT - d'où notre rue tire son appellation de rue des P. T. T - montons le talus de motte de terre retirée de l'excavation faite par le personnel des BTP à l’aide de leurs engins de terrassement pour installer le béton de propreté qui servira pour couler les fondations de la clôture de l'enceinte des habitats sociaux.
Je préviens ma fille de faire attention pour ne pas tomber dans cette canalisation d'environ 1, 50 m de profondeur et 1m de largeur et qui ceinture le périmètre sur environ 2000 m² carrés. Malgré son appréhension et ses hésitations à franchir l'obstacle, elle réussit quand même à sauter de l'autre côté du terrain vague. Alors, nous marchons en direction de l'endroit qui sert de gare routière improvisée, située à l'entrée de l'hôpital de l'amitié sino-congolaise, appelé aussi hôpital des Chinois ou hôpital de Mfilou.
Cependant, l'objet de notre marche matinal tient sur trois raisons. La première est que j'ai déposé les véhicules utilitaires au garage pour des réparations techniques. Car la route abîmée qui part du rond-point de la Base militaire jusqu'à PK, a endommagé mes trois véhicules. L'autre, a vu sa culasse faire de la surchauffe, et en attendant que j'ai deux millions cinq cents (2.500.000) francs CFA pour l'achat d'une culasse neuve, ses joins et autres accessoires y compris la main-d'œuvre, mon fils Jean-Jérémie, l'a mis sur cale dans la cour de ma villa, au quartier Kibouéndé dans le 7ème arrondissement Mfilou-Ngamaba. La deuxième raison de notre marche matinale est l'enclavement du quartier Kibouéndé. En effet, la plupart des rues et avenues (tragique euphémisme), s'il faut appeler rues et avenues, ces pistes défoncées par d'énormes nids de poules boueux, oui, consentons à les appeler ainsi pour permettre aux décideurs politiques congolais de se flatter l'ego afin qu'ils se sentent importants à leurs propres yeux et non aux yeux du peuple qui les maudit, à tout bouts de champs et à chaque instant, quand ils portent leurs regards sur cet enfer, qu'est devenu le Congo-Brazzaville. La troisième raison, est qu'il nous faut prendre un hypothétique moyen de transport, disons une "brouette motorisée", tant la tôlerie et l'état des pneumatiques vous mettent tellement en doute si vous arriverez sains et saufs à destination, pour ne pas dire au premier centre hospitalier qui pourrait vous accueillir comme blessés graves ayant eu une destination finale imprévue.
Et moi, et Kathya, ma fille, sommes maintenant debout à une dizaine de mètres en face de l'hôpital de l'Amitié sino-congolaise. Jusque là, depuis notre arrivée à cet endroit, nous n'avons vu que ces vieilles guimbardes rouillées, qu'on nomme "cent-cent" ("100-100"), parce que la course coûte 100 Fcfa pour parcourir une distance saucissonnée en demi tronçons qui constituent les parcours pour lesquels, les hêleurs de voyageurs s'égosillent à rabattre les éventuels clients pour le compte du taxi pour lequel il bosse en vue de recevoir une commission par client guidé auprès d'une de ces "brouettes motorisées".
Finalement, Kathya et moi, nous en voyons arriver un de ces taxis. L'aspect extérieur de celui-ci faisait, un tout petit peu, bonne mine. Il se distinguait, tant soit peu, des deux ou trois "cent-cent" stationnés juste à coté du portail de l'hôpital de l'Amitié sino-congolaise. Je hèle le chauffeur, à forte voix et grands gestes de bras et de mains, pour attirer son attention parce qu'il continuait de rouler et tournait déjà son volant dans le sens d'où il était venu comme s'il n'avait pas envie de prendre des clients et sans se préoccuper, du tout, si ceux qui étaient debout là, et qui plus est, faisaient des grands gestes en sa direction, avaient besoin d'un moyen de transport ou non.
Je m'étonnerai toujours de cet état d'esprit du Congolais. Est-ce de la frime, du cynisme, de la désinvolture ou simplement du mépris pour les autres humains ? Il leva, enfin, les yeux en notre direction, puis alla s'arrêter, comme si nous étions des mendiants ou des quémandeurs d'une course gratuite à bord de son véhicule. Nous marchons donc pour le rejoindre, lui, le commerçant, qui était sensé venir solliciter notre désir de client afin de le choisir, lui. Mais, non, c'était à nous de solliciter sa bienveillance. Car il savait que les transports en commun étaient devenus difficiles du côté de Mfilou. Je lui dis notre destination : « Nous allons à Nganga Édouard, juste à l'école Dom Helder Camara. Combien, tu prends ? »
Il fait mine de réfléchir, comme s'il eût besoin de faire un gros effort en arithmétique pour évaluer le coût de la distance du trajet que je proposais. Ce long silence était agaçant. Je savais qu'il le faisait à dessein pour monter les enchères. Mais, j'étais pressé, ma fille devait arriver à 8h à l'école. Et voilà que ce gus, me faisait perdre du temps.
Pour me calmer, je me fais un petit dialogue intérieur avec moi-même : Je me vois en train de sourire à mon autre moi intérieur, et nous nous regardons, complices et sourire en coin, pour m'entendre lui dire, " ou c'est un des plus imbéciles des cons que je n'ai jamais vus, ou alors, c'est un mec taré, sinon psychologiquement abîmé et à qui un con a remis son véhicule pour en faire un taximan...". Mon autre moi, acquiesce, avec toujours ce sourire en coin, et me regarde complice, comme pour me dire... « C’est ça ! vivre parmi les Congolais..."
Au finish, il est sorti de sa longue réflexion, à la manière du paresseux, ce mammifère de la jungle amazonienne, pour me dire : « 1500 ». Qu'est-ce que ça pris du temps, mon Dieu ! C'était franchement agaçant !
J'ouvre la portière-arrière pour faire entrer ma fille. Puis, je m'installe à l'avant, à la place du co-conducteur. Nous roulons jusqu'au rond-point de la mairie de Mfilou. Juste à l'arrêt des bus de la mairie, avant que nous entamions le tronçon qui mène vers le rond-point de Ngambio, un jeune homme, en complet-veste gris, sac-à-dos, en bandoulière, hèle le taxi. Le chauffeur n'eût pas de mal à s'arrêter, puisqu'il roulait presqu'au ralenti et ça ne trompait personne ; car son intention était de prendre un ou deux clients supplémentaires pour remplir son taxi de passagers. Je ne dis rien pour éviter d'en placer une qui serait déplacée. D'autant plus qu'avant de sortir de la maison, j'avais prié en disant à mon moi supérieur d'être en communion avec moi pour la maîtrise de mes émotions, sentiments, pensées, paroles et actes.
Le monsieur s'assoie sur le siège arrière à côté de ma fille. Puis, nous roulons jusqu'au bourbier qui s'était formé tout autour de ce qui restait du rond-point de Mouhoumi. Le chauffeur du taxi hésita d'engager sa voiture. Ça se voyait qu'il se demandait s'il ne fallait pas rebrousser chemin ou nous dire carrément "descendez de ma voiture, votre course s'arrête ici". Je respire en inspirant un grand bol d'air pour me calmer et rester zen. Je pris soin de poser ma voix et lui dis : " votre voiture, c'est une traction-avant ou arrière ?". Il me décoche un coup d'œil rapide et surpris, ce genre de coup d'œil que vous surprenez chez un demeuré mental qui se prend pour celui qui est l’unique à même de connaître le truc...; dans le cas d'espèce, celui-ci, pensait qu'un client lambda n'est pas à même de connaître les problèmes de mécanique des véhicules, et de surcroît sur les états de route abîmées comme celles de Mfilou et même de toute la ville de Brazzaville.
Alors, j’enfonce le clou en poussant l'estocade plus loin encore : " prenez votre droite, et laissez une bonne distance entre le véhicule qui est devant vous, comme ça, vous verrez distinctement là où positionner vos roues ; ensuite, prenez un bon élan en poussant l'accélérateur au maximum, ça vous fera gagner de la puissance pour traverser cette zone ; mais donnez de brefs coups de volants successifs de gauche à droite pour permettre aux roues de ne pas creuser le sol et de s'embourber... ". Je n'avais fini de lui expliquer la démarche que je le vois foncer tout droit dans la boue que les autres conducteurs d'engins évitaient. Et là, v'lan !, en plein dans le mil. La voiture s'arrête net, les deux roues avant complètement enfoncées dans la gadoue de l'ex rond-point Mouhoumi. Je me dis qu'il fallait que je la ferme, c'est clair, j'avais à faire à un demeuré.
Je pense qu'il s'est rendu compte que je l'ai vraiment évalué à sa juste valeur. Il tente une marche arrière sur moins d'un mètre. Puis, met les gaz pour sortir de l'étau de la boue. Mais comme il n'a pas suffisamment pris de recul, le moteur hoqueta et les roues s'arrêtèrent. Des badauds, à les regarder, à n'en point douter, des "bébés noirs", ces délinquants assassins, qui terrorisent la capitale Brazzaville, s’étant amassés en bordure de l'ex rond-point Mouhoumi, comme des charognards qui épient les engins à l’agonie, avec des pèles et des bouts de bois dans les mains pour se précipiter sur les conducteurs non aguerris en leur proposant leur coup de main pour sortir de ce piège de boue.
Aussitôt, les voilà qui se précipitent en direction du taxi à bord duquel je me trouve avec ma fille, l'autre client et le taximan bizarre. Lui, les voyants arriver, a déjà le visage défait. Mais je crus comprendre que ce ne fût pas à cause des mines patibulaires de cette horde, mais il pensait à la dépense qu'il lui fallait consentir à leur donner. À le voir, il ne pensait même pas imaginer qu'une de ses pièces de 100 fr cfa s'en irait dans l'une des mains de ces gens. Non pas qu'il les prît en aversion, mais simplement, il était un taré égoïste. Je baisse aussitôt la vitre de ma portière et lance à l'attention de ces jeunes gens : "sortez-nous de là ! " L'un d'eux, me répond comme s'il n'avait pas bien compris l'expression que j'avais utilisée, et pour se rassurer, il me dit : " hein, donc qu'on pousse ?"
Je lui répète, "oui, poussez !"
Alors, cinq ou six bons hommes s’affairent autour du véhicule, l'un pelletant autour des roues et sous le châssis, les autres poussant par l'arrière et par les portières, le chauffeur s'occupant de tourner le volant, cette fois-ci comme je le lui avais dit ; finalement, le véhicule sortit du bourbier. Et avant qu'il ne soit question d'argent, je sors un billet de 500 Fcfa de la poche de mon blouson et le tends à l'un des pousseurs, celui qui était le plus près de ma portière.
Le taxi roule sur une double centaine de mètres plus loin sur la route qui mène du rond-point de Mouhoumi au rond-point du GPC. Là, juste en face de la rue qui conduit au CEG de Mfilou Ngamaba, se présente un autre bourbier. Visiblement, c’est un autre casse-tête pour le taximan. Je le vois hésiter tout en ralentissant sa vitesse. Je comprends qu'il réfléchissait s'il fallait engager le taxi dans cet autre bourbier. Ah là ! Ça commençait à bien le faire, excédé par l'apparente mollesse du cerveau de cet homme, je lui dis, " mais attends..., tu ne vas pas t'engager là-dedans ? Suis, les véhicules qui prennent les voies de déviation dans le quartier !
" Il donne un coup de volant à gauche, et nous entrons dans une rue étroite qui s'incurvait en un virage presque en épingle, rasant en angle droit le bord d'une boutique d'alimentation. Trois enfants dont deux filles d'environ 10 et 12 ans et une fillette de moins de 5 ans se retrouvent debout juste au beau milieu de la rue, donnant le dos à la grande voie d'où nous venions. Et le chauffeur continue à rouler en direction des enfants comme si leur présence malencontreuse ne le préoccupe guère. Elles n'avaient pas à se trouver là, ce qui arriverait, serait de leur faute et à leurs dépends. Non, c’est absurde et dramatiquement accidentogène d'être à bord de ce taxi. J'en vins à crier à l'endroit de ces enfants, presque avec une expression de blâme d'un père dans la voix, " mais quittez-là, vous !" Lui, ce qui importait, c'était de lorgner le coin du mur de la boutique d'alimentation pour voir si un autre véhicule venait dans le sens inverse.
Nous sortons de ces rues tortueuses après moult contorsions mécaniques et acrobatiques. Nous atteignons le Temple du royaume, l'église du Pasteur Yvon Castanou. Là, un ralentissement s'est formé à cause des dos d'âne nouvellement installés (je ne sais si par l'église ou par l'Etat) et à cause des camions remorques des sociétés chinoises qui ont occupé un espace de stockage de tonnes de sacs de ciment à proximité de l'église. Comme quoi, le commerce et l'église ne se sont jamais réellement éloignés... Elle n'est pas trop lointaine - dans le temps (à peine 2019 ans) et dans l'espace (moins de 5000 kms entre Jérusalem et Brazzaville) - l'image où Jésus-Christ se mit à chasser du temple les marchands de pigeons et de caprins.
Nous réussissons à arriver à l'école de l'enfant. En descendant du taxi, celle-ci se plaint d'avoir mal au ventre. Et comme nous nous sommes arrêtés à côté de la pharmacie au jouxte l’établissement scolaire, je dis au taximan de m'attendre quelques instants, le temps d'entrer acheter un médicament en pharmacie et de faire entrer l'enfant dans l'enceinte de l'école dont le portail n'est même pas dix mètres de là où est stationné le taxi. La durée dans la pharmacie ne dépassa pas cinq minutes. Lorsque nous sortons de l'officine pharmaceutique, c'est ma fille qui, en premier, remarque l'absence du taxi. Elle me dit, " ton taxi est parti !" Lorsque je regarde là où il était, je me rends à l'évidence que cet homme là, ce Taximan, était franchement un homme avec un cerveau soit trop mou soit trop dur. Je me posai rapidement la question de savoir comment un gars comme celui-là pouvait-il faire du commerce ?
Mais alors, s'il était réellement parti, comment justifierait-il tous les efforts consentis pour sortir du bourbier de Mfilou, l'énergie, le temps, le carburant et l'usure du matériel ? Non, je me dis qu'il a dû chercher un meilleur endroit pour stationner et m'attendre. Car le contraire n'eût pas été logique et raisonnable. Et puis, je me dis, que ce n'était pas envisageable qu'il se contentât seulement des 500 Fcfa que j'avais remis aux pousseurs du véhicule hors de la vasière de l'ex rond-point Mouhoumi ? Franchement, ce ne serait pas logique de la part de cet homme, même s'il avait une tête à claques...
J'accompagne ma fille au portail de l'école où était debout monsieur André le surveillant. Une fois, l'enfant à la charge et sous la responsabilité du surveillant, je reviens tout de même sur mes pas à l'endroit où j'avais laissé ce taxi. Car je voulais me convaincre qu'il y avait, tout même, un soupçon de bon sens dans la tête de cet homme. Ne l'ayant vu, je me convaincs qu'il fallait que je me rende à l'évidence et que je prenne un autre taxi pour me rendre au cyber café dans le centre-ville. Voyant un taxi, allant dans le sens que je préconisais, je lève la main et je vois le taxi clignoter et venir vers moi. En y jetant un coup d'œil, je me rends compte qu'il s'agissait de lui, l'homme en question, le chauffeur de taxi. À le regarder, je comprends qu'il y a des gens comme ça, que vous ne pourrez pas sauver, quelque soit votre bonne foi, votre altruisme et votre volonté de sauver les perdus du genre humain.
J'eus un zeste de soupçon, un sixième sens, peut-être ou quelque intuition de cet acabit, que c'était le mec sur le siège-arrière, celui qu'il avait pris en deuxième course, à l'arrêt des bus de la mairie de Mfilou, qui l'avait, un moment, influencé, pour aller le laisser d'abord lui à sa destination. Mais, je ne saurais jamais ce qu'il s'était passé entre eux ; mais tout aussi étonnant et absurde les voilà tous les deux qui revenaient me chercher là où ils m'avaient laissé un quart d'heure auparavant.
Je m'installe sur le siège que j'avais auparavant occupé avant de descendre à la pharmacie. Le feu de signalisation du Zoo est au rouge. Un policier régule le trafic sans tenir compte de l'ordre de passage du dispositif électrique des feux de signalisation. Puis, c’est notre tour. Notre chauffeur a du mal à décider s'il doit suivre les consignes du policier ou se référer à son instinct ? Il finit quand même par suivre les signes des mains du policier et franchir le croisement pour foncer vers l'école militaire préparatoire des cadets de la Révolution ou "école des cadets". Il y a beaucoup de monde sur la voie et nombreuses sont les personnes agglutinées aux murs et aux grilles de l'école comme s'il y avait un affichage des noms pour un concours à passer ou de résultats pour un examen proclamé. Le taximan s'arrange à rouler précautionneusement, car un incident à cet endroit truffé d'hommes formés pour " établir et rétablir l'ordre", pourrait s'avérer "bastonnagène" - pour parler light - sinon lourd de conséquences plus graves qu'on ne peut imaginer.
En portant les regards plus loin devant nous, nous apercevons un gros arbre tombé barrant toute la voie. "Eeeh, il y a un arbre ! L'avons-nous entendu s'exclamer. Il freine, sors la tête et regarde dehors pour voir comment manœuvrer afin de rebrousser chemin. Ce qu'il fait avec succès d'ailleurs. Nous revenons à la fourche de l'intersection qui conduit à droite vers Nganga Édouard, l'OCH et le CHU ; à gauche vers le camp ex Air Afrique et le palais de Justice. Il prend à gauche. Le gars à l'arrière se plaint, lui disant, "il fallait prendre à droite" . Pour une fois, je perçois un petit éclair de répartie dans la voix de ce taximan : "au fait, vous c'est où ? ". L'autre, client lui dit, "à la DGST", avec une certaine assurance dans la voix pour impressionner les interlocuteurs que nous sommes. Je me dis, en mon fort intérieur, "Ô cher ami, pas la peine d'en faire des tonnes !!!" Là, le taximan réplique : "quoi la DGST ? C'est quoi, c'est ? C'est la direction générale de... quoi, c'est déjà ?"
Le jeune homme lui répond : "c'est la direction générale de la surveillance du territoire". Pendant qu'il fouillait ses connaissances pour savoir, en clair, qu'est-ce que cela voulait dire, son moteur se met à tousser, hoquette : le véhicule avance en se cambrant et s'arrête. Il relance le moteur, mais celui-ci couine en faisant un bruit désagréable, accompagné de crissement de métal qui ne rassurent pas les oreilles même les moins férues à la mécanique.
Le véhicule s'immobilise en plein milieu de la route. Il tire le frein à main, désamorce le petit dispositif pour faciliter l'ouverture du capot, sort de la voiture et va ouvrir le capot. Là, en moins d'une seconde, il se met à parler à haute et intelligible voix pour que nous écoutons l'information qu'il tient à nous annoncer : "la croix dentée..."Je lui demande, à haute et distincte voix aussi : " c'est quoi aaah ?"
" C’est la croix dentée..."
Je comprends que le voyage s'arrêtait là. Il revient dans la voiture, l'air abattu, la mine défaite, comme pour nous demander quoi faire maintenant ? Comprenant qu'il n'aurait aucune initiative à proposer, je lui suggère de relancer le moteur, question, d'essayer de déplacer le véhicule pour le garer sur le bas côté de la chaussée. Il relance le moteur, tout engageant la première vitesse, le véhicule se cabre et avance un tout petit peu. Il répète la manœuvre deux à trois fois jusqu’à ce qu’il réussit à dégager la voie. C’en est fini de ma course. Je prends ma sacoche et lui remets 1000 Fcfa tout en lui rappelant que j'avais déjà avancé 500 en payant les pousseurs du rond-point Mouhoumi. Il acquiesça avec cette joie naïve des esprits simples.
Le second voyageur sort du véhicule et commence à marcher à reculons comme pour vite s'éloigner du théâtre des opérations. Je comprends son intention de s'en aller sans rien payer. Je l'interpelle en lui disant de remettre à ce type au moins la moitié de la course. Il plaide qu'il n'a que 1000 Fcfa et, que par ailleurs, il n'a pas atteint sa destination finale. Tout en le regardant dans les yeux, je lui dis, de lui remettre quelque chose, ne fusse que 500 fr, ce qui lui permettrait de faire face aux réparations de sa voiture. Mais, il recule toujours, avec ce sourire forcé des gens qui sont décidés à tirer partie d'une situation malencontreuse. Il tourna et les talons et s'éloigna.
J'arrête un autre taxi. Je lui dis de me conduire au cyber café GNI, situé en face de la boulangerie Léon, là où était le marché de la Plaine, au centre-ville. Il a du mal à situer l'endroit dans son GPS mental. Je lui promets de l'aider à retrouver le lieu. Nous arrivons au rond-point du CCF, (Centre culturel français). Comme nous venons par la voie de la direction générale des douanes et du ministère des Hydrocarbures, il nous faut bien observer et respecter le sens giratoire de la circulation. Curieux, je trouve ce second chauffeur légèrement fébrile. C'est comme s'il était en crainte de je ne sais quelle situation qui lui arriverait s'il n'était pas précautionneux. Je trouvais, depuis que j'étais monté à bord de ce taxi, qu'il était précautionneux à la limite du normal. C'était trop, ce petit quelque chose qui vous taraude l'esprit et vous met en garde sur ce dont on ne sait de quoi.
Il marque l'arrêt au stop afin de bien observer le mouvement des véhicules, puis il s'engage pour aller au plus près du cerceau du rond-point. Nous prenons le demi cercle pour contourner la partie qui donne à la droite au bâtiment du CCF, ensuite à l'église Saint-François, puis au fur et à mesure que vous roulez, à la bâtisse du ministère de l’Intérieur et là, vous donnez un coup de volant à droite pour aller vers le ministère de la Justice et du Commissariat central. Et pendant que nous roulons, arrivés à l'endroit où il devrait aller vers à droite, le taximan continua de tourner son volant vers la gauche ; j’ai compris, il voulait passer par le ministère des Sports. Je me dis en moi-même que, " décidément les jeunes chauffeurs de ce matin n'avaient pas la boussole qui fonctionnait correctement. Mais bon sang, pourquoi s'engager dans une zone aussi occidentogène, alors qu'on avait tout le boulevard Denis Sassou Nguesso libre à notre droite ? En regardant, en effet, à notre droite, nous vîmes arriver une colonne de véhicules militaires venant du côté du Palais présidentiel et allant vers... Je n'eus pas le temps de finir ma constatation que le taximan freina brutalement, question, pour lui de faire passer la colonne militaire. Je trouve cette décision incongrue d'autant plus que les engins militaires se trouvaient encore à une bonne cinquantaine voire soixantaine de mètres du rond-point, et que nous avions largement le temps de passer en donnant encore de la vitesse à la voiture ; mais non, ce taximan pile sur le frein.
Et grand booom se fait entendre dans la voiture. Le choc est tellement violent que j’ai senti comme si un passager, à l'arrière de mon siège, y avait donné un grand coup pied qui me secoua la poitrine et le cou au point de décoller ma casquette et de la projeter sur les pieds du chauffeur vers les pédales de la voiture. Il y a eu un grand vacarme occasionné par les cris des gens qui ont crié, "Eeeeh, accident...", et de froissement de tôles.
Puis, ce fut le silence dans l'habitacle, un silence mêlé au bruissement du dehors où des véhicules, nous contournant, continuent leur chemin comme si rien ne s'est passé à cet endroit. L'indifférence humaine. Personne n’est venu vers nous. Ce n'est pas leurs oignons. Ça, ça nous concerne et ça nous regarde. Je respire profondément et lentement pour me concentrer sur moi-même afin de ressentir tout mon corps pour percevoir et voir si je n'ai pas eu mal quelque part. Je regarde alors derrière moi, d'où est venu le choc. C'est à ces instants que j’aperçois un Van de marque Hiace, peint en vert et blanc, immobilisé derrière le taxi. Je réalise que c'était son chauffeur qui nous avait percutés par l'arrière. Je ne sais si c'est lui ou le conducteur du bus que je vois en train d'inspecter son pare-choc, faisant semblant de réajuster quelques pièces, tout en vociférant à l'endroit du Taximan, " mais comment peux-tu freiner brutalement, comme ça, hein ?"
Je cherche ma casquette dans la voiture, le chauffeur la retrouve à ses pieds, la prend et me la donne. Je la réajuste sur ma tête, prends une bouffée d'air et sors du taxi. Je regarde autour de moi pour jauger de l'atmosphère qui y prévaut. Que nenni, personne ne s'en préoccupe. Un accident où il n'y a ni blessé ni mort n’intéresse personne. Je parcours la portion du rond-point qu'il me reste à traverser, allant en direction du ministère des Sports. Je vois venir un taxi qui sort du côté de l'ex Impérial, du côté du marché du Plateau-ville, je le hèle, lui fais signe de la main pour signifier que je souhaite aller au centre-ville. Il s'arrête, tente de faire une manœuvre hasardeuse juste à l'entrée du rond-point. Tirant la leçon de l'accident qui venait d'avoir lieu, je lui fais comprendre d'arrêter sa manœuvre, de m'attendre venir à lui et de me laisser monter à bord pour me conduire au cyber café en toute sécurité.
Michel Mboungou-Kiongo / Les Echos du Congo-Brazzaville