Carnet : rencontre avec les étudiants congolais de Saint-Pétersbourg et de Moscou

Du 8 avril au 22 avril derniers, j’ai effectué un voyage en Russie, dans un double objectif : passer des vacances dans un pays qui est aussi mien puisque j’y ai effectué une grande partie de mon cursus universitaire ; et, surtout, rencontrer mes compatriotes du Congo-Brazzaville…

En ce mardi 8 avril, à peine débarqué-je de l’aéroport international Pulkuvo qu’un froid presque glacial m’accueille, alors que partout ailleurs en Europe le printemps a déjà manifesté ses signes. Au départ de Lille, je n’avais pas pensé à la météo, submergé que j’étais par les préparatifs de ce voyage. Je suis donc revenu en Russie sans manteau. Et je tremble de froid. C’est alors que l’un des étudiants congolais venus m’accueillir à l’aéroport, me passe le sien, en insistant.

Nous montons aussitôt dans un taxi. Direction : le centre-ville, après dix-sept kilomètres de trajet. Comme il fait encore nuit, je ne fais pas attention au paysage, me disant que j’aurai l’occasion de m’en imprégner. Le lendemain, me promenant dans la plus vieille ville de Russie, abondamment décrite par Dostoïevski, je constate que la ville a beaucoup changé ; ici et là s’élèvent d’énormes bâtiments en verre. Mon premier rendez-vous, évidemment, a lieu là où j’ai commencé les études de médecine dans les années 80. L’établissement a été rebaptisé « d’Université médicale Nord-Ouest I.I. Mechnicov ». Les premières personnes avec lesquelles j’ai rendez-vous, ce sont la directrice des Affaires internationales (en charge des étudiants étrangers), pour évoquer le cas des étudiants congolais, et le professeur Aslanov Batirbeck ISMELOVITCH, chef de Service de médecine tropicale, de l'épidémiologie et de dés-infectiologie et directeur de l’Institut de médecine préventive. C'est un des éminents médecins-épidémiologistes de Russie ; et, échanger avec lui participe d’un plaisir indicible. Avec lui, nous revenons sur la pandémie à Covid-19 qui a secoué le monde (y compris la Russie), avant d’aborder la pneumologie, ma spécialité. Je lui dédicace ensuite mon roman « Lumières de Saint-Avold ». À son tour, il m'offre un ouvrage sur l'épidémiologie (un ouvrage dont il est co-auteur) (cf. Photos). Ayant rencontré le doyen et la vice-doyenne au cours de mon précédent séjour, en septembre 2021, je n'ai pas cherché à les revoir, même si, pendant quelques minutes, l’envie m’a traverser d’aller les saluer.

J'enchaîne avec mes rendez-vous avec mes condisciples, ceux des Congolais installés en Russie depuis trois ou quatre décennies. À l’issue de leurs cursus universitaires, ils ont fait le choix de rester en Russie plutôt que de rentrer au Congo-Brazzaville, et je ne sais si ce choix a été efficient ou pas . Je ne leur pose pas de questions à ce sujet : chacun est libre de faire ce qu’il veut. Moi non plus je ne suis pas rentré au Congo, même si j’avais tout fait pour ce dessein. Hélas ! Je me suis confronté à des réalités irrationnelles. Pourtant cela demeure un tourment du quotidien, dans la mesure où, eux comme moi, avions été boursiers de l’État congolais et qu’à ce titre, nous devons rendre à la nation ce qu’elle nous a donné. Mais ça, c’est une autre affaire… Car s’il faut rendre à son pays ce qu’il nous a donné, il est tout aussi impérieux, sinon obligatoire, pour ce pays, de réunir les conditions de retour au bercail de ses enfants. Beaucoup on franchi le pas certes, échangeons-nous, mais ils se sont en majorité orientés vers la politique. Or la politique n’est pas une carrière mais une mission. De fait, la tentation du retour au pays pour ceux d’entre nous qui n’aspirons qu’à apporter notre pierre à l’édifice, à la transmission du savoir acquis grâce aux bourses qui nous étaient allouées, oui, cette tentation-là s’effiloche, voire s’éteint d’elle-même.

Ce débat, je ne l’élude pas devant le Consul Honoraire de la République du Congo-Brazzaville à Saint-Pétersbourg, qui me fait l’honneur de me recevoir. Notre échange, du reste, porte sur la jeunesse congolaise d’ici — notre souci majeur — et les différents moyens de développer les activités sportives en partenariat avec les clubs russes. Par la suite, il me fait visiter le complexe sportif Gazprom-Arena, le plus grand complexe sportif en Russie.

Après plusieurs jours passés à Saint-Pétersbourg à rencontrer mes compatriotes, quels qu’ils soient, je pars pour Moscou, où je dois animer une conférence-débat sur le Système de Santé de notre pays d’origine. Elle a lieu devant une dizaine d'étudiants de « l'Université des amitiés entre les peuples », dénommée Emery-Patrice Lumumba (RUDN) —ces jeunes étudient dans plusieurs spécialités comme le journalisme, la médecine, l’agronomie, l’ingénierie, etc. Cette conférence n’a pu se tenir que grâce au concours d'un compatriote installé à Moscou de longue date, Patrice Owani, ingénieur-mécanicien de l'aviation civile. L’occasion pour moi aussi de parler de mes livres.

Ce que j’entends le plus au cours de cette conférence, c’est que même au loin, ils sont inquiets de l’état de santé de l’hôpital au Congo. Beaucoup pensent qu’ils ne reverront peut-être plus leurs parents, oncles et amis malades, faute de soins appropriés. Je remarque des mines défaites, alors il est de mon devoir non pas d’enfoncer le clou mais de les rassurer. Et, surtout, d’insister sur ce qu’ils sont l’avenir de notre pays d’origine, le Congo-Brazzaville.

Plus dramatique encore pour eux, c’est l’absence de bourses, depuis des années ! Et ils pensent que les bourses sont souvent envoyées par l’État congolais, mais qu’elles disparaissent en chemin. En conséquence, beaucoup renoncent à leurs études pour se livrer à des petits boulots. Je me retiens de verser une larme. Comment peut-on abandonner ainsi des jeunes de moins de vingt-cinq, au loin, à leur triste sort ? Les corps sont faibles ; les regards, hagards. Mais ils tentent de tenir et d’espérer des lendemains meilleurs. De mon siège, je vis comme une tragédie : je n’ai pas les moyens de venir à leur secours. Plus tard, je passerai une nuit agitée, pensant à ces jeunes qui ne demandent qu’à étudier puis de rentrer chez eux.

Après ce débat, un brin enthousiastes, ils me font redécouvrir la Place Rouge, le Kremlin, le Parc des Expositions VDNK (où est exposé le premier vaisseau spatial. Chaque fois que nous nous attablons, je reviens sur ce conseil : « Ne renoncez pas à vous perfectionner car vous êtes le Congo et le Congo, c’est vous ! »

Thierry-Paul Ifoundza, médecin-écrivain