Mes débuts à Télé-Congo (Tribune libre par Michel Mboungou-Kiongo)

Le jour de la visite de la station de la Télévision congolaise, nous passâmes d’abord dans les services techniques où l’on nous fit visiter les studios et tout l’arsenal technique. Ensuite, nous fûmes emmenés à la Rédaction. Dès que je mis les pieds dans cette salle où crépitaient des téléscripteurs (appareils servant à recevoir, sous forme de télex, les nouvelles rédigées et envoyées par les agences de presse), je sentis mon esprit s’apaiser : c’était là, mon terminus à moi. Au moment de quitter la salle de Rédaction, j’annonçai, péremptoirement, aux guides et au reste du groupe : « moi, je reste ici. C’est ici que je travaillerai dorénavant ».

Aussitôt dit, aussitôt fait, je me dirigeai vers les téléscripteurs pour lire les dépêches qui y tombaient provenant des agences de presse comme l’AFP, Reuter, Tass et autres. Patrick-Benjamin Éboki, le Rédacteur en chef, remarqua ma curiosité et me montra, séance tenante, comment découper et ranger les dépêches. Ce fut mon premier cours de journalisme à la Télévison nationale congolaise.

Lire toutes les nouvelles venant du monde entier me fascinait et élargissait ma conscience qui devenait planétaire. En effet, mon esprit se satellisait au fur et à mesure que les problèmes du monde entier venaient échouer devant mes yeux. Je devenais un citoyen du monde par les biais des médias. Et la réminiscence des instants, où j’avais écouté ma voix à la radio régionale, refit surface. Je ne parvenais pas encore à atterrir dans la réalité objective. Mes pensées se bousculaient tellement dans ma tête que je ne saisissais pas très bien ce que pourrait représenter ce nouveau pas dans l’inconnu. Mais, c’était un inconnu qui me charmait par sa captivité tout à la fois suave et violente et m’attirait, irrésistiblement, vers un destin que je percevais, tout de même en pointillé ; car il était advenu dans ma vie un certain nombre d’événements qui m’avaient fait naître la conviction selon laquelle, qu’un jour le journalisme jouerait un rôle prépondérant dans ma vie.

Ce pressentiment venait des signes avant-coureurs qui avaient perlé mon existence parmi lesquels : L’attrait précoce pour les langues étrangères et celles de chez nous ainsi que tout ce qui touchait à la littérature, une curiosité insatiable des informations à caractère scientifique et une boulimie de la lecture qui m’amenait à lire tout ce qui me tombait devant les yeux. Il y avait également l’interview que j’avais accordée à un journaliste de la radiodiffusion régionale de Pointe-Noire lors de ma première rentrée des classes au lycée ; mais c’est surtout la vision que j’avais eue, en plein midi, et qui me faisait voir, dans un poste téléviseur, en train de présenter un journal télévisé, qui compléta ma conviction de devenir journaliste par vocation pour ne pas dire par destin.

À Télé-Congo, l’on nous fit faire des essais en circuits fermés afin de sélectionner ceux et celles des étudiants qui présentaient des aptitudes à la présentation des journaux. J’avais été retenu parmi la demi dizaine que l’administration de la télévision nationale congolaise devait « lancer à l’eau » par des reportages et autres travaux pratiques sur le terrain. En fait, j’avais débuté ma formation de journaliste sur le tas.

Le journalisme s’avéra être une passion qui me faisait dormir tard et me lever tôt.

Car je passais mes nuits à lire les cours de journalisme que j’empruntais auprès de Nicolas Niaty, affecté à la télé dans la même vague que moi, mais avec une licence de journalisme obtenu au département des Sciences et Techniques de la Communication (STC) de l’université Marien Ngouabi de Brazzaville.

Le matin de bonne heure, j’écoutais déjà les nouvelles du monde en me branchant aux différentes stations de radios internationales.

Cette discipline de vie me permettait d’être bien informé en vue de participer activement à la conférence de rédaction que je ne souhaitais jamais manquer pour rien au monde.

N’ayant pas suffisamment d’argent pour payer mon transport, je quittais tôt le domicile pour profiter de la fraîcheur du jour qui commençait.

Je parcourais à pied les trois, voire quatre ou cinq kilomètres, qui me séparaient de Télé-Congo que j’atteignais au bout d’une heure de marche. J’étais toujours heureux d’arriver parmi les premiers travailleurs au portail de la station nationale de télévision.

Dès que je me trouvais dans l’enceinte de la télévision, j’oubliais vite le temps et les efforts physiques consentis le long du chemin qui me conduisaient chaque matin à mon premier poste de travail et me ramenaient chaque soir à la maison. Je consacrais le clair de mon temps à interroger les journalistes titulaires sur les techniques de bases du métier. Ma curiosité intellectuelle et mon abord facile, vis-à-vis des doyens dans la profession, facilitèrent mon insertion rapide dans la cour des grands. C’est cet état d’esprit qui me permit de comprendre et d’assimiler rapidement les ficelles de base du journalisme ; notamment dans la préparation d’un reportage. Car, je m’intéressais particulièrement à ce genre journalistique qui correspondait bien à mon tempérament de narrateur.

Le retour de l’ascenseur ne tarda pas : Le Rédacteur en chef me laissa aller en reportage, en compagnie des titulaires, question d’observer sur le terrain la façon dont se menait un reportage. Je compris et maîtrisais rapidement les astuces techniques du métier, et je me mis à écrire des papiers sur les sujets d’informations générales ciblés par la conférence de rédaction. Je venais toujours soumettre mes papiers à la correction, soit du Rédacteur en chef ou du journaliste présentateur du journal.

Très vite, je fis école.

Mes papiers retenaient l’attention bien que le style fut encore scolaire. Je ne me souviendrais jamais assez des observations que faisait Jean-Claude Kakou, présentateur vedette du journal, qui trouvait que je faisais de la prose et de la poésie dans mes papiers.

Un jour, à l’issue de la lecture qu’il avait faite d’un papier que je lui avais présenté, il me dit ceci : « ce n’est pas un rapport de police que tu dois faire ; il est inutile de mentionner les minutes et les secondes qui ont marqué un événement... »

J’avais compris la leçon. Au fur et à mesure que passaient les jours, je m’affermissais dans la rédaction de mes papiers. Peu à peu, je prenais de l’assurance et mon style devenait de plus en plus journalistique. À mon deuxième mois, je passais de la rédaction à la lecture de mes papiers : Je mixais maintenant les sujets que je ramenais des reportages. Je sentais en moi, cet appel indescriptible qui vient du plus profond de soi ; tout mon être voulait maintenant passer à l’écran.

Ce n’était ni un désir ni un caprice. Mais un besoin qui m’enveloppait tout entier et ne me donnait plus de repos. Il y avait un effet d’appel intérieur qui me poussait à dire aux autres que j’étais prêt pour me jeter à l’eau du grand bain télévisuel. Il me fallait dire ce que je ressentais à quelqu’un, sinon j’allais imploser. Je fis part de mon état d’esprit à Pauline Tsik qui était ma « marraine » professionnelle. Car j’avais longtemps fait la préparation des éditions du JT qu’elle présentait, dans lesquelles j’intervenais pour lire de temps à autres. Après avoir considéré la question, elle me fit comprendre que c’était trop tôt. En effet, je n’avais même pas encore passé trois mois dans la profession.

Elle dit que l’écran était un couteau à doubles tranchants. Et que c’est à ce poste que se jouait la carrière des journalistes de télévision. Il ne fallait donc pas que j’aille vite en besogne. Je la trouvais sincère et honnête intellectuellement ; mais cette conviction qui venait de mon tréfonds dépassait la raison. Chaque jour qui passait, sans être passé en direct à l’écran, me faisait souffrir davantage. J’avais l’impression de glisser sur le fil d’un rasoir.

Voilà qu’un jour, c’était une après-midi, vint à la Télévision le Conseiller à la communication du chef de l’Etat. Il avait l’habitude de se payer quelques visites impromptues à la station nationale de télévision, question de voir le contenu du journal. Et il aimait lire quelques papiers à la volée. Christian Gilbert Bembé s’approcha de moi et se mit à lire, par-dessus mon épaule, le papier que j’étais en train de retravailler. Il finit par rassembler toutes mes dépêches et se mit à les lire toutes. À la fin de sa lecture, il déclara au Rédacteur en chef : « C’est étonnant ! Ce jeune homme fait beaucoup de progrès. Il m’arrive de lire ses papiers chaque fois que je viens ici. Il prend de l’assurance dans sa technique de rédaction et il a vraiment de la graine professionnelle ». Christian Gilbert décida que la semaine suivante servirait de charnière dans mon lancement à l’écran. En fait nous entrions là, dans le troisième mois de formation sur le tas.

À l’issue de la semaine charnière qui devrait me permettre de me préparer pour faire mon premier saut dans l’inconnu, la Rédaction fut informée du décès de Madame Julienne Mouebara, la mère du président de la République, le Chef de l’Etat de l’époque, M. Denis Sassou Nguesso.

Il fallait donc annoncer la nouvelle dans le flash d’informations de 19 heures. Ce matin-là, le Rédacteur en chef m’appela dans son bureau pour me signifier que j’avais été choisi pour présenter ce flash de 19 heures qui devenait un flash spécial par le caractère de la nouvelle principale qui en faisait la Une. Et qu’en dehors du fait d’effectuer mon premier passage, j’avais la charge émotionnelle d’annoncer au pays entier la mort de la mère du président de la République.

Patrick Benjamin Éboki voulait se rassurer, si je prenais bien la mesure de l’enjeu de mon premier passage en direct à la télévision.

J’avais attendu et espéré tellement ce moment, qui constituait mon heure de vérité, face à mon destin, que j’en fus même surpris d’être si serein. Un seul détail, et pas des moindres, m’inquiétait : je n’avais pas de costume. Mais, je me gardais de le dire au Rédacteur en chef, car cela pouvait créer un obstacle dans ce plan de carrière dont les lignes de force se précisaient de jour en jour. Je rentrai à la maison, relativement tôt ce jour-là. Je fis part de ce projet à mon entourage immédiat ; notamment à mon ami Ignace Moubima, que ses cousines avaient affectueusement surnommé Lima, parce qu’elles le trouvaient mignon.

En circonscrivant la question du manque de costume, Lima fut inspiré et me dit que son cousin Gualbert Tsoumou avait un costume complet que son père lui avait donné mais qu’il ne portait pas, parce que Gualbert ne trouvait pas bonne la coupe de ce costume qui faisait vieux jeu. Ouf !, pour moi, le jeu en valait la chandelle et le tour était déjà joué, d’autant plus que nous avions à peu près les mêmes mensurations. Nous nous rendîmes chez Gual à qui nous expliquâmes l’objet de notre visite. Il consentit à me prêter le costume. C’était un ensemble bleu ciel trois pièces (costume, gilet et pantalon).

Vers 3 heures de l’après-midi, j’arrivai à la Télévision et m’installai dans la salle de rédaction. Un briefing eut lieu et à l’issue duquel, je me mis à rédiger les dépêches qui devaient constituer le chemin de fer (corpus) du flash spécial. Christian Gilbert était venu pour voir comment devait se dérouler le passage en direct ; l’ensemble des collègues de la Rédaction était présent ; la partie technique aussi, en l’occurrence, le personnel qui apprête le plateau du studio de télévision. Je fis relire mes papiers au Rédacteur en chef et au Conseiller à la communication du président de la République.

Les dernières recommandations me furent données. J’avais tellement relu mes papiers que j’avais fini par mémoriser toutes les nouvelles écrites sur chaque dépêche. Je fus maquillé par la maquilleuse, Moundélé, qui me passa une fine couche de talc marron au visage pour ne pas avoir le visage lustrant, ce qui ferait luire la face du présentateur à cause de la forte luminosité des projecteurs du studio. Félix Yiloukpulou (paix à son âme), le directeur de la photographie, avait arrangé la lumière au lux prêt ; Thierry Kitsoukou, dit Brazos, l’un des meilleurs cadreurs de la Télévision, prit la prise de vue en main ; les essais de voix furent concluants.

Et à 19 heures pile, le générique du flash déchira le voile du petit écran. Je vis la main de Thierry s’abaisser et le témoin rouge de la caméra s’allumer. Je pris une profonde inspiration et lâchai un Bonsoir qui sonna sans trac. Le taux d’adrénaline qui se promenait dans mon sang m’amena à dire toutes les informations que j’avais emmagasinées dans la tête, sans baisser les yeux sur mes papiers. Ce n’est qu’une fois, ma mémoire vidée de son contenu, que je pus porter mon regard sur les feuilles de papiers posés sur la table de présentation.

D’un clin d’oeil, je remarquai que ma première dépêche n’avait pas bougé. C’est alors que je réalisai, à ce moment, que j’avais tout dit de mémoire. Et en guise de conclusion, je formulai, à l’arraché, un Bonsoir qui faillit être ma pierre d’achoppement sur le chemin de la réussite, par le fait que j’étais sorti de l’état second qui m’avait permis de dire toutes les nouvelles du flash sans regarder mes notes, parce que Télé-Congo n’avait pas de télé prompteur. Le Bonsoir de fin du flash n’avait pas la même densité émotionnelle que celui du début. Et le retour brutal à la réalité objective faillit me décontenancer, n’eut été la promptitude d’esprit d’Alain Kodia, le réalisateur qui, sentant venir « l’orage », lança aussitôt le générique fin du flash.

Cette prouesse psycho-technique de toute l’équipe de coordination de la régie de réalisation m’avait sauvé la mise. Les applaudissements qui fusèrent dans le studio et dans la régie me sortirent, définitivement, de mon état de béatitude. Un état d’esprit dans lequel je m’étais trouvé, dès qu’on m’avait annoncé mon premier passage en direct à l’antenne de la télévision nationale. À entendre les commentaires qu’en fit le Conseiller en communication du chef de l’Etat, le coup d’essai avait pris les allures d’un coup de maître. Ce jour-là fut décisif dans la suite de ma carrière journalistique.

Je gravis rapidement les marches qui mènent au podium de la profession. En deux ans et demi, je fis le tour de toutes les éditions du journal télévisé. À cette période, j’étais monté à la présentation de la dernière édition, après être passé par les chroniques, commentaires et analyses dans la grande édition de 20 heures. Une fois franchie l’étape de chroniqueur, je devins présentateur de la dernière édition de 22 heures 45. Et c’est à cette époque que l’on inaugura la station régionale de TV-Kouilou à Pointe-Noire. Pour couvrir cet événement, le Directeur général de la RTC (Radiodiffusion Télévision Congolaise) Juste-Maurice Okemba porta son dévolu sur ma personne.

C’était la première fois que je montais à bord d’un avion ; et la meilleure, c’est qu’il fut un avion militaire. Mes émotions furent à la hauteur de ma surprise : J’en passe et des meilleurs. De retour à Brazzaville, je fus désigné, par le Rédacteur en chef, pour présenter en circuit fermé une édition supplémentaire destinée à la population de Pointe-Noire, la deuxième ville et capitale économique du pays. Il faudrait par ailleurs souligner que cette édition spéciale se faisait à l’issue des infos-dernières qui bouclaient l’antenne soir.

Je devais donc rester à la Télévision pour écrire le journal de la station régionale diffusé en différé le lendemain depuis la capitale économique. Cet exercice astreignant, mais combien formateur sur le plan professionnel me permettait d’acquérir des réflexes nouveaux et de travailler mon vocabulaire et ma syntaxe ; évitant ainsi de reprendre platement la forme du journal de 22 heures 45. L’opinion publique commençait à parler de moi.

Dans la rue, les gens désiraient toujours discuter avec moi de ma carrière. D’aucuns m’encourageaient dans mes progrès, me suggérant des remarques de style et de prestance à l’écran. D’autres ne cachaient pas leur surprise en me découvrant si jeune. Car, sur le petit écran, certaines personnes m’imaginaient d’un certain âge et relativement grand de taille. Or, je mesure 1,72 m et l’époque, je n’avais pas encore 24 ans et ne dépassais pas les 60 kilos. Je faisais jeunot. D’ailleurs, bon nombre de personnes, après m’avoir regardé à la télévision, étaient surprises par ma juvénilité en me croisant dans la rue.

Par ailleurs, je manifestais des progrès significatifs dans la maîtrise de la présentation du journal télévisé, mais mon style était encore trop calqué sur celui de Jean-Claude Kakou qui était le présentateur vedette de Télé-Congo. L’année qui suivit mon premier passage à la télévision, j’effectuais, en qualité de journaliste-reporter, ma première sortie officielle avec le chef de l’Etat Denis Sassou Nguesso. Je me souviendrais toujours de ce voyage effectué en compagnie de Jean-Claude Kakou qui était le journaliste-attaché à la présidence de la République. Cette tournée présidentielle dans la partie septentrionale du Congo, me permit de découvrir les réalités socio-économiques vécues par des compatriotes vivant dans la partie la plus enclavée du Congo.

Au cours de la même année, j’accédais à la fonction de chef de Section des Informations générales au sein de la Rédaction de Télé-Congo. Mais il y eut aussi des couacs dans ce parcours professionnel qui semblait donner l’impression d’une promenade de santé.

Il m’arriva d’être convoqué à la présidence de la République par le chef d’Etat en personne pour avoir donné des informations qui n’auraient pas dû l’être selon les principes de propagande marxiste-léniniste du Pct (Parti congolais du travail) et parti unique au pouvoir.

Ce fut le cas pour l’avion dit de « commandement » que le président Sassou Nguesso avait acquis auprès d’une compagnie aérienne américaine.

Ayant été désigné pour couvrir l’arrivée officielle de l’avion à l’aéroport international de Maya-Maya, je découvris que ce fut un vieil appareil acheté en seconde main - informations qui m’avaient été livrées par l’équipage américain que j’avais interviewé. Je n’avais pas hésité à l’annoncer dans mon reportage.

Cela ne plut évidemment pas au pouvoir politique en place et l’on vint me chercher le lendemain à la Télévision par des agents de la garde présidentielle qui exigèrent que M. Lévy-Charles Goma M’bys, le directeur de la Télévision, m’accompagne au Palais du peuple, le palais présidentiel du Congo-Brazzaville.

Une fois à la résidence officielle du président de la République, les soldats nous escortèrent - Levy-Charles Ngoma Mbys et moi- pour nous emmener devant M. Denis Sassou Nguesso.

Très posé, dans une zen attitude de quelqu’un qui sait qu’il incarne le pouvoir suprême et qu’il avait là devant lui un jeune loup du journalisme, il me dit d’une voix affable : « alors jeune homme, même si on a grandi à l’étranger, l’on ne doit ignorer la real politik en cours dans son pays ! »

Je ne fis aucun commentaire, me contentant d’esquisser un sourire en coin. Ce qui fit détendre de plus belle l’ambiance dans le salon d’accueil. Et le président Sassou Nguesso de prolonger cette note de joie dans la salle en s’adressant à Monsieur Florent Tsiba, ministre de l’information : « Mais Florent, il faudra qu’il mange encore des pommes de terre parce qu’il est tout mince ! »

Et là encore une vague de rires et de gloussements joyeux parcourut tous les visages présents.

La séance de coaching politique s’acheva sur cette note de laquelle se faisait néanmoins entendre un reproche transmis sous forme de conseil avisé mais non moins politique qu’il m’avait adressé. Les propos du président de la République me firent réfléchir sur le fait qu’il accordait une attention particulière à ce qui se diffusait à la télévision nationale et à fortiori sur tous les médias publics dans le pays, d’une part. D’autre part, était-ce possible que M. Sassou Nguesso fût mal renseigné sur mon compte ? Alors, que la rumeur, vraie ou fausse, disait qu’il était l’homme le plus renseigné du pays ! Je vins à penser que c’était leçon induite de me faire comprendre que tout individu vivant ou séjournant au Congo, même si d’aventure il avait passé une longue partie de sa vie à l’étranger, était tenu de connaître la ligne politique du parti-Etat, et que nul n’était sensé enfreindre les règles.

Dans les faits, l’entretien n’avait pas duré plus d’un quart d’heure.

Mais, voilà que l’année n’avait pas fini son terme que le Conseiller en communication me convoqua pour me dire que j’avais encore provoqué des vagues en haut-lieu. Mon crime de lèse-majesté avait été d’avoir prononcé le mot camarade à la place de monsieur à l’annonce du décès de Monsieur Berlinguer, le Secrétaire général du parti communiste italien.

Aussi curieux que cela puisse paraître, ces convocations commençaient à me faire demander pourquoi le pouvoir du parti-état est-il si frileux sur des choses d’aussi moindre importance ? Ce n’était ni banal ni amusant. Je venais de réaliser que mon « impertinence » était le baromètre de ma liberté de conscience professionnelle dans un pays où les gens, en général et les journalistes en particulier, n’osaient pas dire le contraire de la pensée politique dominante.

À dire vrai, j’étais conscient que c’est exerçant le métier de manière professionnelle que je pouvais me mettre à l’abri de l’arbitraire politique. Parler en direct à la télévision, me donnait là une occasion d’apporter ma contribution à l’éveil des consciences par la liberté d’expression en respectant la vie privée des gens sans militantisme politique. Car déjà très tôt à l’école primaire, je n’appréciais pas l’embrigadement forcé de faire partie du MNP (Mouvement National des Pionniers). Je m’arrangeais toujours à aller à la pêche à la rivière Loubomo lorsqu’il y avait des rassemblements de ce mouvement, dont les principaux animateurs se trouvaient être nos instituteurs qui avaient la charge de préparer les futurs citoyens révolutionnaires, rouges et experts pour la défense des acquis de la révolution marxiste-leniniste.

Mes absences répétées à ces réunions me valaient toujours des corvées du type balayage des salles de classe et fabrication des balais de brindilles de palmes de cocotiers ou de palmiers à huile pour nettoyer la cour de l’école. Mais c’est au lycée que mon exacerbation atteignit son pinacle. Je détestais l’enrôlement presque systématique des élèves de collèges et de lycées dans l’UJSC (Union de la Jeunesse Socialiste Congolaise). Et chaque fois, qu’il y avait rassemblement des élèves, je me rendais à la plage mondaine pour observer les différentes facettes du paysage maritime.

Cet état d’esprit de contestation grandissait davantage, au fur et à mesure que je découvrais les différentes situations d’injustice opérant dans le pays : l’injustice sociale et économique causée par les caciques du régime marxiste-léniniste au reste du peuple. Mais, c’est pendant la pratique du journalisme à la télévision que ma conscience sociale s’est affermie de plus en plus. Les intimidations répétées du pouvoir monopartite commençaient à me sentir à l’étroit dans une société où les expressions diversifiées étaient bâillonnées. Je ne pouvais pas supporter de voir vaciller les bases constructrices du fondement mon métier : la liberté de pensée, de parole et de croyance, préceptes de toute action de tout agir citoyen. Qui plus est, j’en utilisais déjà librement et depuis toujours dans ma famille, si bien que je ne pouvais supporter de perdre ces repères essentiels au moment où, j’avais entre les mains le véhicule par excellence de la liberté, à savoir : la télévision.

Les signaux d’un départ imminent clignotaient déjà dans ma tête. Je sentais venir au loin comme les oiseaux migrateurs, cet appel du large. J’avais besoin de changer d’air. Et la formation sur le tas ne me suffisait plus. Il me fallait une formation dans une école spécialisée en communication. Désormais, je ne vivais que pour et par ce projet d’aller étudier la communication en Occident, en l’occurrence en France. Je savais, et cela sans l’ombre d’un doute, que la communication était ma vocation. Il me fallait donc de la conviction pour pouvoir convaincre les décideurs du ministère de tutelle de me laisser partir pour l’étranger.

J’introduisis ma demande de bourse au ministère de l’Information qui me l’accorda la même année. Je quittai le Congo pour la France.

Michel Mboungou-Kiongo ancien DG de Télé Congo (1994-1997)