Littérature : « Dipanda », le nouveau conte épique et poétique de Gabriel Kinsa, une invite à la permanence de la lutte

Prolifique et protéiforme, Gabriel Kinsa revient en ce début d’année avec un nouveau conte, « Dipanda » (La doxa éditions), une épopée poétique avec un double enjeu narratif : interne et externe...

Bien que la quête de soi ou la quête initiatique soit le motif littéraire chez le natif de Boko en République du Congo, traversant son œuvre de part et d’autre, l’écriture, elle, reste en mouvement. Empreinte de formes inattendues, sa langue ne s’enquiquine pas de circonlocutions ou de détours pour disséquer l’âme de ses personnages, dont la connaissance de soi constitue in fine une source de bien-être, et plus encore d’accomplissement…

« Le sang de Boko – le point de départ du conte – a coulé (…) / Une voix venue des entrailles du Grand Arbre / Me demanda/De ne pas cesser le combat / (…) Je vis comme en plein jour / Le bras du Grand Arbre brandir le Sabre Sacré/Sans aucune hésitation /Je saisis l’arme /Je rugis comme dix lions à la fois /Je me mis à combattre sans relâche / La Vermine / (…) Avec mon armée faite de bric et de broc / Nous livrâmes un combat farouche / Contre les chacals de la Vermine / (…) Nous mîmes hors combat / L’armée des chacals / La Vermine prit la fuite… »

Vous l’aurez compris : « Dipanda – en français : indépendance ou liberté » est le héros de ce conte éponyme, au registre plus merveilleux que fantastique ; un conte qui symbolise la lutte. Avec son arme, Dipanda pourchasse La Vermine, une force ô combien destructrice, « une force oppressive qui asservit les cités et détruit les traditions », partout où elle s’installe. Les combats que les deux forces opposent ont pour cadre Boko, Mavula, Malebo et même dans le Mayombe…Un tantinet manichéen – parce que la vie est forcément un affrontement du bien et du mal –, une seule idée anime Dipanda : anéantir La Vermine pour rétablir la justice et l’honneur, piétinés par la force du mal. Mais toute quête, intérieure ou extérieure, n’est jamais un long fleuve tranquille. L’autre en face a aussi ses moyens, les moyens de se renouveler. Voire même de se métamorphoser tel un serpent dont la part en lambeaux. Alors Dipanda, une fois dans le Mayombe où il tente d’élever une cité utopique, est assailli soudain par un essaim de questions : est-il capable de se libérer lui-même avant de prétendre libérer les autres ? – car s’il privilégie le bonheur d’autrui, il n’est pas pour autant irréductible à la conjonction de sa propre âme avec son esprit et son corps. A-t-il réellement libéré son peuple de la fange de La Vermine ? Et si sa victoire n’était qu’illusoire ? Qu’est-ce que la liberté ? Peut-elle s’acquérir en une seule victoire… ?

« Abandonner la lutte, c’est mourir »

À l’évidence, par cette allégorie qu’est « Dipanda », Gabriel Kinsa nous invite à nous imprégner de l’idée que la vie est une lutte permanente. Chaque vers sonne comme un rappel : ce n’est pas parce que nous faisons au quotidien l’expérience de la tranquillité que nous pensons que la liberté est acquise. Dans cette juxtaposition de la force de vie et de la force de mort, le conteur en rend l’élan et l’énergie.

Non, la liberté n’est pas un acquis intangible. Elle nécessite une lutte sans fin. Et c’est en cela que le conte prend tout son envol, sortant du cadre congolo-congolais. Thomas Hobbes, s’inspirant de son contemporain Galilée, estimait que le mouvement des corps ne s’arrêtait jamais. «La félicité […] ne consiste point à avoir réussi, mais à réussir ». En d’autres termes, il ne s’agit pas de rechercher la paix et de s’y complaire douillettement, mais de faire en sorte que cette paix, très fragile, ne se brise pas comme un verre.

« Dipanda » prend la réalité à bras-le-corps et les mots pour l’exprimer sont aussi limpides qu’un ciel dégagé. Gabriel KINSA, artiste multidisciplinaire et véritable conteur d’histoires, puise dans ses racines et son vécu pour nous offrir un récit qui résonne avec profondeur et authenticité. Un récit qui mêle tradition et modernité.

Dans cette même veine, il est l’auteur entre autres de de « Nkisi » (2019), une bande dessinée coécrite avec DedLatol, qui raconte l'histoire d'un Nkisi, une figure spirituelle de la culture congolaise ; « Sur la route du lemba » (2022), un roman publié aux Éditions Paari, qui explore les thèmes de la mémoire et de l'identité.

BB