Hommage encomiastique à Camille Bongou. La finitude d’un juste : l’intellectuel et la polis (Par Grégoire Lefouoba)

Décédé le 16 décembre dernier en France à l’âge de 78 ans des suites d’une maladie, Camille Bongou a reçu, le 27 décembre à Brazzaville, un dernier hommage de la nation en présence du Président de la République, Denis Sassou-N’Guesso. Le corps sans vie du défunt a été conduit à Bokouélé, dans le département de la Cuvette (nord), où il sera porté en terre à Ikouba, son village natal. L’oraison funèbre a été lue devant le chef de l’Etat par le Pr Grégoire Lefouoba

«Pour la cause du souvenir, de l'amitié ou philia et surtout pour la fraternité éprouvée, devant une telle assemblée et un tel évènement absolument aussi grave,

Excellence, Monsieur le Président de la République,

Je me demande si je le mérite, pour formuler devant Votre très Haute autorité quelques sentences pour célébrer la mémoire d'un homme qui aura été si proche de Vous.

Tout au contraire, pour ce moment de grande tristesse qu'on appelle ici ngninga, ngnia ou mawa, car, je l'éprouve en mon for intérieur sous la puissance du regard de ces visages illuminés par la bienveillance du ciel et du silence des murs de ce palais des Congrès.

En ces lieux-ci, jadis Camille Bongou mettait en œuvre selon son style, son art de commander aux hommes en qualité de Membre du Bureau Politique, Secrétaire chargé de la Permanence du Parti Congolais du Travail pendant cinq ans, de Juillet 1984 à Juillet 1989.

En ces lieux, on l'appelait tout simplement par une formule de reconnaissance pour son talent, Chef Camille, incarnation solidaire de l'autorité sur les personnes et les choses.

Excellence, Monsieur le Président de la République,

La présente cérémonie d'Hommage de la Nation est désormais entrée dans l'Histoire des mentalités civiles comme un instant de pause encomiastique pour extraire la sève de la vie d'un défunt, afin d'édifier une digue contre toutes les formes d'impéritie pour scruter le futur avec le poids de la rationalité, toute attitude qui fortifie la vie et inscrit le progrès comme étant cumulatif pour éviter le pas de l'oubli.

Camille BONGOU n'était pas un homme ordinaire. Il tirait son mystère de son tempérament calme, sûr de l'éclat de ses convictions, des valeurs fécondes de son ancestralité, il était le point de convergence de l'élite intellectuelle et politique de notre pays au point d'être à la fois :

- Ya Camille pour ses cadets sociaux et

-Chef Camille pour l'autorité symbolique dont il était la forme mobile de son incarnation, l'homme à partir duquel pour son savoir-faire, on se déterminait.

On imagine dans nos esprits le fracas de sa disparition comme une feinte de la vie et chacun de nous peut sûrement métrer la richesse de cette immense séparation qui est en soi un fourvoiement pour la Nation entière.

Excellence, Monsieur le Président de la République,

Monsieur le Premier Ministre, Chef du Gouvernement,

Mesdames et Messieurs, les Membres du Gouvernement,

Mesdames et Messieurs, les Présidents des Institutions Constitutionnelles,

Madame, Éplorée Marie Pauline Bongou,

Chers parents, Mesdames et Messieurs,

Tout le monde se rend compte de la vulnérabilité de la vie, de la petitesse de notre existence qui se montre en se dévoilant de la manière la plus vive, aujourd'hui à partir du corps vif, étalé de notre compagnon, époux, père, grand-père, oncle, frère et parent.

Le fils de Bokouéle né Obouala sur les terres de Mossaka, fils d'Engomo et Itandy a développé son endurance très tôt pour affronter toutes les vicissitudes de la vie depuis son royaume d'enfance à l'école primaire de Gagna sur les terres d'Ollombo.

Jacob Okanza-Owi son dernier maître était fier de l'avoir eu comme élève, ses collègues au Collège Champagnat de Makoua, au Lycée chaminade se souviennent, ceux de l'École Normale Supérieure d'Afrique Centrale ont toujours en mémoire ses qualités d'orateur hors-pair, maîtrisant l'histoire des croisades.

À présent, je vais devoir avec prudence dire deux faces de notre frère et ami : l'intellectuel et le politique, car il aura été si peu soldat.

L'Intellectuel,

Camille n'était pas un animal habité par la nature et les besoins.

Sa force de transcendance l'éloignait des codes, des systèmes, des normes avilissantes des sociétés de consommation; aujourd'hui sans repères, sans lumières, complètement anéanties et en déperdition éternelle.

Que pouvons-nous dire de son humilité légendaire, de sa courtoisie naturelle, discrète, sans cesse retenue, et qui se dévoilait merveilleusement dans son rapport véritable au monde, aux êtres et aux choses ?

Doué d'une intuition de vie intellectuelle féconde, il a su avec sobriété et fidélité accompagner remarquablement au nom de la Sophia, le Département de philosophie dans son odyssée scientifique au cours de ces dernières années.

Camille Bongou, c'était aussi l'esthétique du regard susceptible de vous troubler, de déconstruire votre vie antérieure, de transformer la spiritualité de votre âme, et de vous élever aux valeurs supérieures de la praxis humaine du vivre ensemble.

Camille Bongou, homme sans étiquète, parce que sachant assumer sa pratique comme une façon de dire, profondément lié à la Renaissance pour son humanisme, et surtout aux Lumières, base de son engagement au service de la solidarité humaine, et pour son esprit scientifique dans la lutte contre tous les obscurantismes et fétichismes de l'esprit qu'étudiait notablement Auguste Comte dans sa loi dite des trois états dans son fabuleux Discours sur l'esprit positif.

L'esprit de méthode et d'organisation, héritage Cartésien, a inspiré sa démarche intellectuelle. Cette qualité cérébrale spécifique l'orienta vers des études de philosophie qu'il accomplira après son élargissement et en sera de la deuxième promotion des Licenciés de philosophie formés sur le sol national qu'il sanctionnera par l'obtention d'une Maîtrise.

Camille Bongou enseignait aux autres, en prêchant par l'exemple, il aidait tous à s'élever par la gnose, seul salut pour l'homme.

La face cachée d'un intellectuel engagé

Dans une gnose d'érudition féconde, deux pas se confondaient en un seul chez lui : l'intellectuel se faisait politique et le politique était le regard de la vérification de la vérité comme Thomas d'Aquin.

Il serait laborieux de penser autrement notre frère Camille, que comme incarnation absolue de la parole vertueuse et du geste réfléchi le tout pour une cause juste.

L'homme consolait souvent son intime solitude volontaire par un dialogue ininterrompu avec les livres et se préoccupait du mouvement des idées dans notre pays.

L'emblématique et Très Respecté Président de l'Association Congolaise de Philosophie a su imprimer une dynamique nouvelle, donnant à voir dans la polis, l'intérêt majeur de la philosophie.

Pour éviter des humeurs de jalousie et de malfaisance livrée à la concurrence ou compétition maladive, l'usage de la diplomatie coutumière était son fort pour l'unité du groupe.

Dans cette nouvelle dynamique qui constitue la marque de son intentionnalité, on peut y lire le sceau de l'universel en lien avec Hegel pour qui : «l'intellectuel est celui qui sait imprimer dans toutes ses actions du sceau de l'universel».

Toute l'existence assumée du président de la Société Congolaise de philosophie n'a été tournée que pour accomplir son hospitalité universelle de manière à justifier son passage au monde.

Sa dernière sortie publique dans les milieux du savoir l'a été à l'occasion de la soutenance d'une Thèse de Doctorat en philosophie par un de nos étudiants portant sur Kant le 10 Juillet 2022 ...comme pour faire ses adieux à un mode de vie qu'il a tant magnifié.

L'homme politique

La politique était pour Camille Bongou le lieu par excellence d'élaboration des idées pour une noble praxis. Son personnage s'est vite distingué dans le milieu par sa capacité à capter le regard et les oreilles de ses pairs par la puissance de son argumentaire.

L'homme était un monstre du travail bien fait, un organisateur de talent, n'oubliant aucun détail. Perfectionniste, il en agaçait plus d'un. Il pouvait paraître à tort comme un donneur de leçons.

Courageux, fier de son éducation et de ses convictions

Vous avez mis ainsi en application le jugement contre Socrate qui accepta de boire la ciguë au nom du respect des lois et la justice d'Athènes. Tel a été ton personnage.

Camille Bongou comme toutes les personnes justes faisait souvent le transfert de sa bonne foi sur autrui d'où des déconvenues subies, qu'il n'a ni regrettées, ni condamnées. Tel était son modus opérandi.

Il faut beaucoup de courage et d'engagement pour procéder à la lecture (description) non pas d'un évènement traduisant l'esthétique de la vie, mais d'un évènement rappelant la laideur et le fardeau de la mort.

Tous ici présents, devant Monsieur Camille Bongou, à travers ce corps allongé privé de souffle pour ressentir ce que je ressens au-dedans de moi-même, pour dire le voyage de son esprit, parti dans le pays des vérités enfouies sans être révélées.

Autant que nous sommes, volontairement, personne ne souhaite visiter ce pays où la simple découverte d'un corps allongé laisse couler sur soi les fleuves que sont nos yeux, les eaux que sont nos larmes.

Que dire devant ce farfadet qui était convaincu que la Respublica est justice, égalité et fraternité ?

Que dire de cet esprit qui aura marqué et touché nos cœurs par la puissance de son verbe ?

Chers parents et amis,

L'homme aura lutté pendant ces trois dernières années pour retenir nos soupirs, mais la finitude programmée parce qu'évidente, prend toujours le dessus.

Camille Bongou n'hésitait pas à dire la vérité, parce qu'il était né pour supporter le poids de l'histoire à travers le testament de la vérité. Cet esprit est la preuve de son attachement à la justice.

En réussissant à t'extraire de notre affection physiquement animée, pour nous plonger dans l'univers anxieux, la finitude à la totale modestie et l'attachement solidaire, que tu semais habilement au nom de l'humanité de l'homme.

Malgré nos efforts pour dégrafer cette procession de l'histoire, dans laquelle tu nous plonges; nos cœurs s'effondrent, nos visages perdent leur éclat habituel, prenant ainsi la forme d'un homme perdu au milieu du désert en quête d'eau.

Monsieur le Président de la République,

Camille Bongou, votre compagnon était un homme du cru, généreux et loyal, lié à la tradition de son territoire ancestral, son humanité se recyclait à travers l'expression d'un silence vertueux et qui s'accomplissait par un geste réfléchi.

Madame Bongou,

Toute la vie de votre époux a été la synthèse intelligente des joies et aussi des malheurs, une somme non exprimée de frustrations vécues et dignement assumées dans la tourmente de sa jeunesse et de sa majorité tout en dignité avec humilité et stoïcisme.

À ses parents, autant qu'ils sont...

Une étoile s'est éteinte, soyez fiers de lui dans l'éternité renouvelée de vos pensées.

À ses enfants, neveux et petits enfants,

Votre géniteur, oncle et grand-père était un homme juste qui enseignait à tous le culte du savoir et de la solidarité.

À ses amis,

Votre ami était tout, l'âme de la si belle amitié à la manière de Montaigne et La Boétie, «parce que c'était lui et c'était vous».Vos emplois du temps vont être modifiés.

Aux intellectuels et aux philosophes, fonctionnaires de l'Humanité,

Notre Grand, le Grand, Ya Camille [ainsi que nous l'appelions]. Mystère de notre vie, votre finitude a été acceptée par la nature au moment de la clôture du colloque international sur votre ami Jérôme Ollandet dont vous étiez l'initiateur, le Vendredi 16 Décembre 2022 ici même, au Palais des Congrès. Ton héritage intellectuel et politique sera la trame de fond de ton passage au monde.

L'arbre que tu as planté à travers ton œuvre vivra éternellement à travers nos souvenirs et des générations qui sont et seront sous le contrôle de notre portée éducative.

Excellence, Monsieur le Président de la République,

Avec pudeur, j'ai la sensation intime que le départ de Camille est un gâchis pour notre Nation, en ces temps de quête d'identité pour le futur de nos pays confrontés à l'assaut des puissances à la recherche d'hégémonie planétaire.

Au service des intérêts inhumains pour la domination et l'asservissement des peuples qui en veulent à toute forme de dictée historique reflétant; cinq siècles d'anéantissement: dont quatre d'esclavage, un siècle de colonisation et presque un siècle de néo colonisation subtile et perfide, toutes choses contre lesquelles, Camille a offert sa jeunesse pour la lutte d'émancipation des peuples opprimés.

Les malheurs se succèdent, les meilleurs d'entre nous partent, il ne nous reste que le souvenir de ce qu'ils ont été et de l'impact qu'ils ont laissé.

Excellence, Monsieur le Président de la République,

Madame Bongou,

Chers parents et frères,

Contre la puissance du vent de la mort nos limites sont bien visibles, il nous reste que le flot de nos larmes pour exprimer notre impuissance, source de notre souffrance.

L'expression de cet hommage encomiastique donc élogieux, réservée à notre frère, personnage distingué de l'ensemble de ses compatriotes par son talent, sa grandeur d'esprit, son refus de l'insignifiance, sa modestie, sa recherche des talents est une quête pour l’Unité, le Travail et le progrès qui était son agir.

Que la terre de Bokouele te reçoive avec amour dans la lumière éternelle sous l’astre de sa puissance ».

Grégoire Lefouoba