Invité du Journal de 20 heures du dimanche 3 avril 2020 sur Télé-Congo, à l’occasion de la célébration de la journée internationale de la Presse, le président Philippe M’Vouo a annoncé une auto saisine de son institution, aux fins de l’ouverture d’une procédure juridique et administrative concernant une prétendue suspension du journaliste Rocil Otouna.
En l’absence d’une version officielle, les réseaux sociaux ont fait un large écho de la suspension du journaliste présentateur Rocil Otouna.
Sur le motif de cette suspension, d’aucuns évoquent une question inconvenante et embarrassante, posée au ministre Aimée Wilfrid Bininga, invité à commenter le discours du président de la république, notamment sur le volet relatif à l’état d’urgence sanitaire.
En fait de question, le journaliste aurait relayé à l’endroit du ministre, cette question que tous les congolais se posent : « pourquoi ne voit-on pas les malades hospitalisés, atteints du covid-19 ».
Cette question aurait été interprétée comme une négation de la pandémie, et donc une faute déontologique, car ce prétendu scepticisme de la part d’un journaliste serait de nature à créer le doute dans les esprits et susciter la mise en danger de la vie d’autrui.
Si l’argument est recevable, dans sa forme tout aussi simpliste, celle des raccourcis pleins de susceptibilités, il est cependant déconnecté des us journalistiques, surtout en cette année où le thème de la journée internationale de la Presse est : «le journalisme sans crainte et sans complaisance ».
« Il n’y a pas de mauvais sujets, il n’y a que de mauvais traitements », tout comme « le problème n’est jamais dans la question, mais dans la réponse », est-il rappelé dans les rédactions des organes de Presse. Et pour un journaliste digne de ce nom, au moment où le Président de la République venait de relever le fait que de nombreux congolais doutent encore de l’existence de la maladie, il eût été de bon aloi de lever l’équivoque en posant cette question au seul ministre présent sur le plateau. Et pour le ministre, les angles d’attaque ne manquaient pas afin d’éclairer la lanterne des congolais sur ce que en dépit du fait qu’ils ne voient pas les images des malades, cela ne signifie pas leur non existence.
Plutôt que de sécher comme l’a fait le ministre, celui-ci pouvait bien évoquer, dans le cas d’espèce, le parallélisme de deux pratiques : la pratique journalistique qui a pour preuve, l’exposition du sujet de l’action, et la pratique médicale qui protège le sujet malade d’une quelconque communication sur sa maladie, sauf cas exceptionnel. L’autre aspect purement conjoncturel qu’aurait pu évoquer le ministre, c’est la dangerosité du virus et le fait que les lieux d’hospitalisation en sont fortement infectés, et outre le protocole drastique mis en place pour y accéder, y conduire des journalistes serait prendre des risques incommensurables, au point de souiller jusqu’aux caméras et micros.
À ce que l’on voit, le ministre n’était visiblement pas préparé à affronter des questions pertinentes. Il misait sans doute sur la complaisance notée bien souvent en de pareilles occasions, avec des interviews qui laissent auditeurs et téléspectateurs sur leur faim, car déconnectées des attentes réelles des millions de personnes à l’écoute.
Ce n’est ni une faute déontologique, ni faire l’apologie des fake news que de poser une question que tout le monde se pose. C’est bien au contraire une façon pour le journaliste, de soulager sa conscience, face à ceux dont il est la bouche et la voix.
C’est du manque d’information, du manque de communication sur les questions que se pose le plus grand nombre, que naissent les fake news, quand les non professionnels juxtaposent des bribes d’incertitudes nées du flou communicationnel que s’entourent parfois les institutions.
Bien souvent, les fake news suscitent la communication ou le démenti, pour restituer la vérité sur les faits erronés. Alors, plutôt que de courir après des démentis parfois maladroits, il est plus adroit, en ces temps de floraison des médias sociaux, de communiquer par anticipation, afin de contrecarrer toute manipulation communicationnelle sur un sujet donné, surtout qu’un démenti ne suffit pas à effacer tout le tort que peut causer une nouvelle erronée.
En ayant demandé et obtenu la suspension de Rocil Otouna, ce qui reste à prouver, il y a lieu de dire qu’à défaut de la force des arguments, les initiateurs de la sanction ont utilisé les arguments de la force. Libre à chacun de juger de la diète argumentaire dont ils font montre.
Quoi qu’il en soit, dans une mise au point (dont notre confrère le Troubadour a reçu copie), le cabinet du ministre de la Communication et des médias précise que "M.Otouna n'a jamais été sanctionné ou relevé de sa fonction de présentateur du journal télévisé de 20h de télé Congo" et qu'il "demeure également attaché de presse et coordinateur de la cellule communication du Ministre de la Communication et des Médias ".
Entre des propos tenus au journal télévisé de 20 heures du dimanche 3 mai 2020 et la mise au point du ministère de la Communication, il y a de quoi se perdre en conjectures, pour démêler le vrai du faux. Pourvu que s’éteigne alors le fait de la cause.
Bertrand BOUKAKA/Les Échos du Congo-Brazzaville