Congo – Journalisme : La profession dévoyée dans une publicité de boisson alcoolisée

Les journalistes congolais seraient-ils si addictifs, au point de consommer des boissons alcoolisées en plein exercice de leurs fonctions, même pour se désaltérer en  de moments de grande chaleur? La mise en scène orchestrée par les publicistes de Ngok sur des journalistes, dévoile une image non conforme à l'éthique professionnelle et appelle tout de même un avis de l'organe de régulation qui reste étonnamment muet.

Depuis quelques jours, une publicité ventant la noblesse de la bière Ngok, met en scène une équipe de journalistes qui, voulant se désaltérer à la bière Ngok sur les lieux d'un tournage, dévoile l'objet rare que le roi recherche en échange de la main de sa fille.

Même si l'action relève de la fiction car présentée dans une publicité et que cela peut donner lieu à un ''débat d'écoles'', il n'en demeure pas moins que toute production à caractère publicitaire aux apparences journalistiques ou mettant en scène des journalistes, bien que n’émanant pas de journalistes doit être faite de façon à préserver l'image d'une profession bien codifiée. Hélas dans le cas d'espèce, cette publicité heurte les valeurs professionnelles et l'éthique même du journaliste dont la probité est l'une des qualités que promeut la profession.

Cette scène renvoie dans l'opinion l'image du « journaliste poivrot, adepte de Bacchus, même en plein travail ». Paradoxe, car c'est une addiction fort blâmable pour laquelle il encourt à l'évidence des sanctions de sa hiérarchie.

Dans ses carnets sur la déontologie, le Conseil de Déontologie journalistique français, détaille entre autres directives, la distinction entre journalisme et publicité. La juxtaposition de journalisme et de publicité doit donner lieu à une différenciation formelle de nature à éviter toute confusion dans l’esprit du public, quel que soit le support : écrit, télévision, radio, site web…

Cette obligation est non seulement déontologique, mais aussi légale. Un rappel à l'ordre de l'organe de régulation qu'est le Conseil Supérieur de Liberté de Communication s'impose, pour encadrer les choses et veiller entre autre, au caractère policé de ce qui se diffuse, surtout aux heures de grandes audiences avec un public de tous âges.

Même si la diffusion des supports publicitaires est d'un apport financier conséquent pour les médias publics ou privés, il est de règle que leur contenu ne trahisse pas les aspirations de la chaîne diffuseuse, à moins de vouloir saborder l'essentiel du message qu'elle véhicule.

Alors que les pouvoirs publics venaient de prendre des textes de loi portant restrictions de l'usage du tabac dans les lieux publics, au moment où dans l'opinion, de nombreux citoyens dénoncent la propension effrénée des jeunes à l'alcool, dans lequel ils baignent leur oisiveté, voici que les publicistes de cette brasserie congolaise « désacralisent » une profession qui a toujours suscité du respect, au moins dans ses principes, même si cela permet de véhiculer un message qui influencera et incitera de nombreux jeunes à l'alcoolisation à outrance, à l'image du journaliste qui ne peut s'en passer, même pendant son travail.

Oui, à outrance, car aucune mention n'est faite de ce que « l'abus d'alcool est dangereux pour la santé ».

Dans d'autres pays, le langage publicitaire sur l'alcool est extrêmement limité. Il est par exemple interdit de représenter quelqu’un en train de consommer de l’alcool, seule l’origine, le nom et les composants peuvent être évoqués.

Loin de nous toute idée de censure. Cependant, les dérapages liés à un excès de liberté sont nuisibles à une presse qui se veut de qualité, avec un rôle civique qui fait d'elle une des « sentinelles des équilibres sociaux et de la démocratie  ».

Nous voulons juste rappeler que même dans la publicité, il est de bon aloi de faire sa réclame sans heurter la société dans ses valeurs fondamentales. Il ne s'agit ni de censure, ni d'autocensure, seulement de juste mesure à respecter.

Bertrand BOUKAKA/Les Échos du Congo-Brazzaville