Capables d'organisation ou pas ? (Libre propos de Michel Mboungou-Kiongo)

Chaque Être humain devait connaître son histoire, sa culture et son apport à l'universel, en toute conscience. Qu'en est-il de l'Homme noir en général, et de l'Africain au sud du Sahara, en particulier ?

Un Africain ou un Afrodescendant, devrait-il s'étonner que le parcours historique des Noirs soit jonché de drames, presque jamais vécus par d'autres peuples sur la surface de la terre ? Car il arrive encore qu'une catégorie de Noirs refuse de regarder en face cette histoire douloureuse afin de se "protéger", disent-ils, du sentiment de haine et/ou de vengeance à l'endroit des héritiers des bourreaux d'hier.

Or, une telle démarche, ressemble beaucoup plus à ce réflexe animalier attribué à l'autruche qui enfouit la tête dans le sable au lieu de faire face au danger. Fort d'un tel constat, il s'avère impérieux et salvateur pour l'Homme noir de s'approprier son histoire pour faire face, avec courage et détermination, aux violences de tous genres dont il l'objet de la part des autres peuples.

Certes, la haine permanente que lui vouent les autres "races" de la terre pourrait parasiter, pénaliser et paralyser son ressort d'humanité. Ce qui aurait pour conséquence le retranchement dans un comportement psychologique d'autodéfense, à l'image d'un animal traqué qui n'hésiterait pas à tuer pour sauver sa vie.

Or, nous le rappelions, en introduction de ce texte, que depuis, la "traite orientale" au Moyen-Âge, en passant par la "traite Arabo-musulmane" à partir du Viième siècle, jusqu'à la "traite transatlantique" au Xvème siècle et ses excroissances que sont le colonialisme, le néocolonialisme, l'apartheid, la ségrégation raciale, le suprémacisme ; tous ces méfaits sont la matérialisation d'un unique phénomène : le racisme.

C'est le racisme, ce montre nauséeux, né dans la conscience de l'Homme blanc qui (dans son esprit, son âme, ses pensées, etc.) s'est arrogé le droit (qu'il a attribué à Dieu) de décréter que tous les autres humains, et particulièrement le Noir, lui sont inférieurs tant génétiquement que spirituellement.

Et l'Homme blanc, qui est arrivé tardivement à la civilisation, notamment à l'écriture, s'est employé à justifier la tendance naturelle de violence et de barbarie des peuples nomades de l'Europe médiévale. Le siècle européen, dit des "Lumières" a donné un coup d'accélérateur à ce racisme naturel en l'Homme blanc, en produisant des théories fumeuses selon lesquelles l'Homme noir n'a pas d'âme. Il est donc corvéable à souhait comme un animal et que l'Homme blanc peut le soumettre en esclavage.

Considéré comme un non-humain ou comme un sous-produit de l'humanité, le Blanc peut donc "chosifier" le Noir et le traiter comme bon lui semble. Les conséquences d'un tel mépris du Noir par tous ceux qui ont une couleur de peau plus ou moins leucodermique, jalonnent la marche du peuple noir depuis que les Hyksôs, nom donné par l'historien égyptien Manéthon (IIIè.s. av. J.-C.) aux envahisseurs asiatiques qui dominèrent l'Égypte de 1730 environ à 1560 avant J.-C.

C'est comme si depuis lors, le peuple noir n'arrive pas à faire face avec courage et rigueur à ce monstre nauséabond qu'est le racisme et qui justifie qu'un tel humain soit plus humain qu'un autre. Philosophiquement parlant, ce serait un combat entre l'animalité et l'humanité. Un auteur congolais, Dominique Batota Kissala, a écrit un livre "Kuwa" dans lequel il met en lumière cette démarche philosophique ou spirituelle de "l'animalité" et de "'humanité" dans l'Homme. Il évoque, sans en citer la source, une leçon de vie, qui met en prise "un chien blanc" et un "chien noir" dans la psychologie de l'Humain.

La philosophie qui sous-tend cette assertion consiste en ceci : Si un Humain, s'applique à faire du bien dans ses pensées et dans ses actes, il nourrit le "chien blanc" qui est en lui. Et celui-ci, devient de plus en plus robuste et fort, au point d'occuper toute la conscience et le comportement de l'humain. En revanche, si un Humain, s'applique à faire du mal dans ses pensées et dans ses actes, il nourrit le "chien noir" qui est lui. Et ce dernier, devient de plus en plus robuste et fort, au point qu'il occupe tout l'être qui est en l'humain.

Soit dit en passant ; une remarque, non moins teintée de préjugé mérite d'être pointée dans cette assertion : selon l'origine de cette leçon de vie, l'on notera que tout ce qui est négatif renvoie à la couleur noire.

Et c'est sur ce terreau des préjugés que se nourrit le racisme qui conduit les humains à inventer des théories, des doctrines et des moyens matériels ayant favorisé le déclenchement et la pérennisation d'un modèle de "civilisation" qui a installé l'Homme noir dans la catégorie de "sous-produit" de l'humanité, d'Être "sans âme", "d'erreur" de la nature, de "bien-meuble" au service de l'Homme blanc.

C'est pourquoi une conscience historique, sociale, politique, économique et spirituelle est plus que nécessaire pour empêcher que l'histoire repasse pas les plats ! Cette prise de conscience stratégique s'impose chez les peuples noirs pour que ces drames ne se répètent pas et pour que les racistes révisionnistes ne continuent pas de nier cette réalité qui n'a que trop duré et prône continuellement la falsification des faits historiques ou carrément l'effacement mémoriel au nom de "l'universalisme d'un vivre-ensemble" qui ferait table rase du passé.

Est-ce à dire que les peuples noirs, devaient-il s'interdire de mettre en lumière ce passé qui les interpelle, en premier ? Car, que les Noirs le veuillent ou non, ils sont les premiers responsables de la débâcle dans laquelle ils se retrouvent ; parce que, à l'évidence, l'Homme noir n'a pas été prospectif et vigilant pour penser la ou les stratégies efficientes qu'il devait adopter lorsqu'il rencontrerait d'autres peuples, fussent-ils à l'apparence paisible ou belliqueuse.

A-t-il été un doux rêveur, un naïf et l'est-il toujours dans son rapport à l'Autre ? En fait, s'il avait été prévoyant, en serait-on au constat d'un parcours historique de jonché de drames incomparables à ceux qu'auraient vécus d'autres peuples. Et ce, il faut le souligner constamment à l'attention de l'Homme noir, que c'est depuis le Moyen-âge, avec la "traite orientale", le Viiè siècle avec la "traite Arabo-musulmane" et le Xviiiè siècle avec la "traite transatlantique".

C'est à s'étonner que les peuples noirs ne tirent ni enseignants ni modèle de vie de la fameuse sagesse de Socrate, la Maïeutique, qui dit : "connais toi, toi même". Or, pour peu qu'on connaisse quelque peu les grands axes de l'histoire humaine, l'on ne pourrait pas être taxé "d'Arias qui a tout lu et tout vu", en stipulant que la sagesse africaine est plus ancienne que la sagesse helléniste. Et pour cause, la Mâat est née, dans l'ancienne, le Bumuntu, Kimuntu, Umuntu, sont nés dans l'Éthiopie des territoires arrosés par les grands fleuves comme le Nil, le Zambèze et le Congo.

Pourquoi et comment la Maïeutique a-t-elle pris plus de prépondérance chez les Africains et les Afrodescendants que la Mâat, le Bumuntu, le Kimuntu ou l'Ubuntu ; alors que Socrate n'a jamais écrit une seule ligne de sa vie, car il était aussi analphabète que tout individu qui n'a jamais appris à écrire et à lire. Car à l'époque de Socrate, l'écriture était inconnue dans cette partie du monde. Et pour cause, l'écriture n'est pas un fait culturel inventé par les Européens dont le nom Europe est typiquement africain, parce que Europe est la petite sœur de Cadmos, l'Africain, qui a introduit l'écriture en Grèce (cf. Kalala Omutundé sur l'origine africaine de l'écriture/Les lettres élamites ; lire aussi le livre Sagesse du philosophe français Michel Onfray qui parle de Cadmos, mais sans en indiquer ses origines).

La documentation scientifique existe. Des Savants africains et afrodescendants en ont produit et en produisent encore au travers des travaux de qualité scientifique incontestable. De ce nombre de chercheurs, on peut citer, entre autres, led professeurs Cheick Anta Diop, Théophile Obenga, John Henrick Daniel, Runoko Rashidi, Kalala Omutundé, etc.

Ayant à sa disposition une palette d'instruments des savoir et des connaissances, comment l'Africain peut-il encore végéter dans la méconnaissance de lui-même, au point de ne faire confiance qu'à ce que dit un Caucasien, mais pas à ce peut dire ou écrire un Noir ? ! Nombreux parmi les Africains et Afrodescendants, préfèrent être des gens qui vivent par procuration de ce que les Blancs leur concèdent comme vision du monde et modèle de vie. Les Noirs, qu'ils soient du continent africain ou de la diaspora, vivent d'emprunts, de copies, de calques des modèles de penser et d'agir des autres peuples sur le monde visible et Invisible.

Pourquoi ? Parce que le "culte" du mépris de soi, se transmute en complexe d'infériorité "du Blanc a déjà tout trouvé ; il est donc supérieur au Noir". C'est ainsi que le Noir plonge, à corps perdu, dans la connaissance de la "culture", de la "spiritualité" et de la "civilisation" de l'Autre ; mais pas dans les siennes.

Les intellectuels noirs sont, pour la plupart, des véritables perroquets ou tchakous de l'ingénierie cognitive des autres. Ils brandissent les titres et autres diplômes qui n'ont presque jamais impulsé le développement du continent africain. Les religieux, sont des redoutables "Apocryphes" ou "Ayatollahs" des croyances des autres ; au point qu'ils "s'enrhument" facilement du cerveau, si une autre fenêtre de penser leur est proposée pour "voir" le divin. Ils ont le verbe haut, pour dire qu'ils siègent au conseil d'administration céleste et savent, à l'instant près, ce que Dieu pense et décidera de faire dans le monde entier.

Soit ! Accordons-leur le bénéfice du doute, en raisonnant par l'absurde. Disons, qu'aucun doute n'est permis dans le fait que nombreux sont les Noirs qui se sont essayés, s'essayent et s'essayeront toujours à l'exercice redoutable de chercher à être comme les Blancs. Un comportement combien absurde et puéril d'autant plus que la diversité de l'espèce humaine a typé l'humain selon les caractéristiques génétiques, biologiques et physiologiques de l'espace et du temps où il est apparu sur la terre.

Qu'il est vain de poursuivre pareille démarche. J'en connais quelques-uns, parmi les frères et sœurs Noirs (es), qui s'adonnent à cette sorte de schizophrénie de vouloir devenir quelqu'un d'autre. Mais, là où le bât blesse, c'est au niveau de l'absence quasi notoire des effets d'entraînement.

Il semble que jusqu'à preuve du contraire, on ne remarque pas un Vortex positif dynamique et durable qui se déploie du milieu des peuples africains et de sa diaspora pour apporter la "lumière" de la libération mentale au plus grand nombre des Noirs.

Alors, quelle(s) leçon(s), tirer de ce tableau qui se présente comme un miroir fendillé du cheminement mémoriel de l'Homme noir ?

1- À l'observation, le Noir ne s'approprie pas suffisamment de sa conscience historique et ne se donne pas de garanties suffisantes à apporter à la table de l'humanité en guise des apports pertinents pour être accrédité comme des humains comptables de l'avancement du monde par rapport aux autres peuples de la planète.

2- Le reste du monde pense que le Noir est un Être superficiel, prompt à la superficialité. Il ne tarde pas à faire du copier-coller, à calquer, à imiter, à singer ce qui vient d'ailleurs sans en apporter une plus-value : il fait preuve d'une paresse mentale proche des pathologies du psyché, lorsqu'il faut consentir des efforts pour connaître son histoire, sa culture, sa spiritualité.

Étant englué dans une incapacité à "ressortir" ce qui fait de lui un Humain, le Noir semble éprouver toutes les peines du monde pour concevoir et formuler une doctrine propre qui lui soit salvatrice. Qu'est-ce entendre par *doctrine*. Pour moi, c'est le niveau de conscience historique auquel accède une communauté, un peuple, une "race" pour comprendre l'histoire, les moyens intellectuels, techniques et scientifiques de la production des schèmes de pensées sur la vie ; notamment sur leur existence prise comme référentiel pour se mettre en lumière vis-à-vis des autres modèles de vie proposées par d'autres peuples.

C'est dire, comment un peuple, en l'occurrence le peuple Noir, devait percevoir sa spiritualité (son rapport à Dieu), sa culture (son rapport à son environnement physique), voire sa civilisation (son rapport à son positionnement au monde) ; afin de prendre conscience qu'ils [les Noirs] sont les initiateurs, les fondateurs et les gardiens et implémentateurs de leur génie. Et qu'ils en ont implanté profondément les racines sur lesquelles ils façonnent leur conscience sociale.

Et pour réussir cette alchimie des choses abstraites comme les idées, les pensées, les spiritualités d'un côté ; et les choses matérielles comme la mise en train des cités urbanisées, des économies prospères, des armées structurées et puissantes, d'autre part ; il sied de faire preuve [d'être capables] de vision d'une société que l'on désire bâtir pour y vivre tel qu'on l'a rêvée.

Or, tous ces types d'organisation ne sauraient se mettre en place ni se déployer, s'ils ne sont pas conceptualisés, enseignés et mis en pratique par des gens conscientes qui rêvent éveillés de la place qu'elles souhaitent et veulent occuper dans la marche du monde. D'où l'impérieuse nécessité de placer le curseur de la programmation systémique sur l'éducation à large échelle où le réflexe du secret, de l'égoïsme et l'égocentrisme n'est pas permis.

À titre d'exemple, les enseignements de toutes les disciplines doivent être à la portée de toutes les strates de la société. L'émulation stratégique, donc saine pour la "race" se chargeant de tamiser les "locomotives" et les "wagons" de la structure sociale. Une telle culture éducationnelle fera de l'émulation une valeur de sélection consciente pour le bien de tous afin de faire ancrer le bien-fondé de la doctrine, notamment celle de la conscience historique dans tous les esprits des générations qui se succèdent les unes aux autres.

Ces générations se sentiront alors dépositaires et promotrices des fruits de l'héritage légué par les générations précédentes. C'est ainsi que la doctrine permet à un groupe, une communauté, un peuple ou une "race" de dire : "Nous savons qui nous sommes ; ce que nous valons par rapport à notre génie propre ; et ce que nous avons emprunté des autres, tout en y apportant notre touche personnelle sur le plan des schèmes de pensées, des idéaux, aux créations et aux productions des artefacts afin de continuer à développer notre schéma politique, économique, social, culturel et cultuel ; en travaillant sur les stratégies d'exportation de notre spiritualité au-delà de notre communauté d'origine, parce que l'esprit façonne la manière de penser les rapports humains.

Bref, la doctrine permet à une population donnée de prendre conscience et d'évaluer sa puissance de positionnement sur l'échiquier mondial. Elle permet surtout de s'organiser pour défendre ce positionnement, tout en étant dans un élan d'altérité avec le reste du monde.

Michel Mboungou-Kiongo ancien DG de Télé Congo (1994-1997)