Congo : La démocratie est encore loin d'être un instrument de développement local (Le maire de Mossendjo)

Au Congo-Brazzaville, la loi sur la décentralisation peine encore à prendre corps. Baisse des moyens, multiplication des obligations, de nombreux maires, confrontés à des difficultés croissantes, se disent pris à la gorge. Alors que le développement des collectivités locales nécessite des moyens supplémentaires, les recettes des communes diminuent. L'exaspération touche particulièrement le maire de Mossendjo dans le Niari (sud), Erick Valtazar Ngouloubi qui estime, dans une interview exclusive accordée aux Echos du Congo Brazzaville, que la démocratie est encore loin d'être un instrument de développement local car les élections ne sont encore qu'un simple moment de partage de fonctions électives.

Les Echos du Congo Brazzaville : Comment êtes-vous arrivé à la tête de cette prestigieuse ville de Mossendjo ?

Erick Valtazar Ngouloubi : Nous sommes arrivés à l'issue des élections législatives et locales de juillet 2017 qui consacraient notre élection en qualité de président du conseil municipal qui, suivant la loi congolaise et par dédoublement fonctionnel, faisait de nous maire de la ville de Mossendjo.

Les Echos du Congo Brazzaville : Pouvez-vous présenter à nos lecteurs l’historique de la Ville de Mossendjo ?

Erick Valtazar Ngouloubi : Carrefour géographique, socio-culturel et politique de la contrée de la Louessé, la commune de Mossendjo qui a été transformée en un poste de l'administration coloniale par Monsieur MUZON (colon français travaillant aux côtés de Pierre Savorgnan de Brazza) a été , suivant son processus de décentralisation, chef de district de Mossendjo (couvrant entres autres, les actuels districts de Moutamba, Yaya, Moungoundou-sud, Mayoko, Moungoundou-nord, Mbinda, Divenié, et Nyanga) puis capitale du département de la Nianga- Louessé (ayant une compétence territoriale sur quasiment les mêmes districts) avant de redevenir simplement district de Mossendjo puis commune de Mossendjo par loi n°26/84 de septembre 1984, érigeant en commune de plein exercice la commune de Mossendjo, et fixant les limites du périmètre urbain. Cette commune urbaine compte une population dépassant les 12.000 habitants, sans compter les non-résidents.

Le nombre des chômeurs ne cessent d’augmenter en raison de l’absence de projets pouvant ainsi absorber un tant soit peu le taux de chômage. Ce dernier dépasse largement la moyenne départementale et frôle pratiquement les 30 voire les 40%. Devant ce chômage endémique, les jeunes de Mossendjo n’ont d’autre choix que celui d’aller chercher un travail ailleurs. D’autres jeunes profitent de la moindre opportunité pour dégoter un emploi lorsqu’un projet vient à être lancé à travers la commune.

Ceci étant dit, les projets de développement accordés à la commune ces dernières années sont de plus en plus limités. Aussi, les élus en charge de la gestion des affaires de la commune sont impuissants devant cette situation qui les dépasse de loin. Car les solutions au fléau du chômage qui range cette frange de la population sont plutôt du ressort des plus hautes autorités du pays.

Les Echos du Congo Brazzaville : A votre prise de service, quelle a été votre priorité ?

Erick Valtazar Ngouloubi : Notre priorité, dès notre entrée en fonction, a été, comme l'exigent les règles de management contemporain, de faire une évaluation préalable (un état des lieux) en vue d'élaborer une feuille de route (un plan d'actions). En faisant cet état des lieux, nous sommes parvenus à des conclusions suivantes que : le processus de décentralisation de la commune n'était pas linéaire (connaissant parfois des moments d'arrêts et de relance pour une raison politique ou économique), que la démocratie était encore loin d'être un instrument de développement local, car les élections ne sont encore qu'un simple moment de partage de fonctions électives, les élus locaux ne sont pas choisis suivant des bases objectives, et que les institutions locales payent encore le prix des contraintes rédhibitoires qui caractérisent la majorité des vies communautaires dans les pays en apprentissage de la démocratie comme le Congo.

De même que la commune jouit encore d'une autonomie de façade. Car, 95% des ressources de la commune dépendent des dotations de l'Etat ( ce qui la soumet à un rythme de stop and go suivant que l'Etat est en situation de récession ou d'embellie financière).

Aussi, les charges de la commune, notamment les charges sociales et fiscales sont de nos jours insoutenables à cause d'une masse salariale exorbitante (conséquence d'un recrutement sauvage opéré par l'exécutif municipal courant 2011 et des effets d'une gestion des carrières biennale imposée par la tutelle).

Il faut aussi noter que le cadre de la vie est très pauvre à cause notamment de l'enclavement de la commune, de l'absence de l'activité économique, du manque d'eau potable et d'électricité, de la vétusté du plateau technique au sein du district sanitaire, et de l'absence de personnel qualifié dans les domaines notamment de la santé et de l'éducation où l'école est vieillissante, et que certains écoliers, à l'image de l'école de Mossendjo gare, fréquentent à ciel ouvert. Bref une situation du moins difficile de nos jours.

A propos, nous avons proposé un plan d'actions dont l’essentiel se résume à : améliorer le dispositif organisationnel et mettre en place des techniques de gestion de la commune (procédures de travail et plans d'actions), sensibiliser les populations sur les concepts de démocratie et de citoyenneté locale, intégrer lesdites populations à la gestion du territoire, procéder à des aménagements pour ce qui est des dotations de l'Etat et des fonds propres de la commune, alléger les principales charges déductibles du budget de la commune notamment les charges sociales et fiscales, et les frais de fonctionnement du Conseil municipal.

De même qu'il nous faut passer des budgets de gestion jusque-là mise en place, à la programmation budgétaire (en effet, les budgets doivent cesser d'être des simples paieries de salaires des agents municipaux et des fournisseurs). Au-delà, il nous faut tant soit peu améliorer les infrastructures de bases et créer une corrélation entre le plan national de développement (PND) et le plan local de développement (PDL) dont la priorité sera celui d'améliorer tant soit peu le cadre de la vie en apportant des solutions sur les questions de l'école, l'eau, l'électricité, la santé, et l'assainissement de la ville.

Les Echos du Congo Brazzaville : Qu’avez-vous apporté de plus à l’administration de la ville?

Erick Valtazar Ngouloubi : Depuis que nous sommes arrivés, la commune est en situation de blocage du fait de la congruence de ses fonds propres (soit 2% seulement des ressources attendues au budget) et l'absence des dotations de l'Etat (qui représentent +95% des ressources attendues au budget de la commune). Du coup, nous sommes contentés d'assurer le service public au strict minimum et mettre en place des instruments de pilotage dans un environnement où les habitudes ont été converties en des normes. On ne peut donc se satisfaire d'un tel bilan !

Les Echos du Congo Brazzaville : Peut-on savoir le montant de votre budget et qu’est ce qui est prévu comme activité phare en 2019 ?

Erick Valtazar Ngouloubi : Les prévisions budgétaires, tout au-moins pour celui de 2017, étaient de 1.110.000.000 FCFA (2018 étant une année blanche), attendons de soumettre notre plan d'actions au plénum du Conseil (en février 2019 si les conditions le permettent). Au regard de notre plan d'actions, ce budget est forcément à réviser.

Les Echos du Congo Brazzaville : Sur quels prochains projets pensez-vous mener une concertation incluant un volet numérique ?

Erick Valtazar Ngouloubi : Les priorités de Mossendjo ne sont pas encore celle d'une ville intelligente ou numérique, mais s'il est vrai qu'il nous faut procéder à l'informatisation de certains services clés notamment l'Etat civile, la recette municipale, le cadastre, et la gestion des ressources humaines.

Les Echos du Congo Brazzaville : Quelles sont vos joies et vos peines à la tête de cette ville ?

Erick Valtazar Ngouloubi : A ce jour aucune joie si tant notre désire a été de contribuer au développement tant soit de la commune de Mossendjo qui est non-seulement la ville de mes parents, mais aussi la ville de mes études. Notre crainte, ben-entendu, c'est de faire un passage à vide contre notre gré. De nos jours, il y'a lieu de dire que nous payons le prix de la démission de l'Etat (acteur principal de la décentralisation de Mossendjo tout au moins à ce stade embryonnaire) et des effets cumulés des mauvaises politiques de gestions mises en place par certains de nos prédécesseurs notamment ceux qui ont géré la période de 2003 à 2014 car, c'est la période , au regard des indicateurs de gestions, résultat de notre audit réalisé, de l'embellie financière. Cependant cette période est aussi celle de ce recrutement sauvage dont nous avons évoqué supra, celle des budgets de gestion en lieu et place des budgets programmes, celle de la destruction de certaines infrastructures de base dont la résidence des maires, et celles de la fermeture de quelques unités de production de la mairie pourtant mises en place vers les années 1984 avec très peu de moyens.

Les Echos du Congo Brazzaville : Vers où souhaitez-vous aller ? Quel futur ?

Erick Valtazar Ngouloubi : Je souhaite aller vers une démocratie locale assise sur des bases objectives, les populations doivent savoir que les acteurs du développement local sont l’État, elles-mêmes, et les élus. Tant que les élections seront les simples moments de partage de postes ou de règlement de compte aux élus, tant que nous n’allons pas assainir les règles de gestion de la commune, et tant que la gestion de la commune restera assise sur des contraintes subjectives, il n'y aura pas de développement local.

J'appelle donc à une conscience citoyenne, le lobbying, le plaidoyer, et la maturité politique (celle qui taxe d'inéligibilité ceux des nôtres qui ont mis la commune par terre) pour les années à venir.

Les Echos du Congo Brazzaville : Enfin, Avez-vous un message à adresser en ce début d’année aux ressortissants de Mossendjo de par le monde ainsi qu’aux partenaires nationaux et internationaux de votre ville?

Erick Valtazar Ngouloubi : Les ressortissants de Mossendjo doivent savoir que le sort de Mossendjo dépend de l'Etat en priorité, de sa population et de ses élus. Chacun de ses composantes doit donc jouer son rôle. De même que les partenaires sont des leviers nécessaires au développement local.

Les Echos du Congo Brazzaville : Merci Monsieur le maire. Bonne et heureuse année 2019 et surtout plein succès.

Erick Valtazar Ngouloubi : Merci infiniment pour ce privilège. Vivement que Mossendjo retrouve son lustre d'antan et que souffle de nouveau un vent de modernité, naïvement proclamé, sur cette communauté urbaine où disparait lentement toute source de vie nécessaire. Une ville en sommeil avec ou sans soleil.

Propos recueillis par Germaine MAPANGA/ Les Echos du Congo Brazzaville