Littérature : « Lumières de Saint-Avold », un roman empreint d’humanismes signé Thierry-Paul Ifoundza

Médecin-écrivain originaire du Congo-Brazzaville et basé en France, Thierry-Paul Ifoundza persiste dans sa veine humaniste, distillant son sens de la transmission. Dans sa dernière publication de 148 pages intitulée : « Lumières de Saint-Avold » (Éditions Paari), il est surtout question d’humanismes. Ou d’humanité tout court. Il est question de ces moments insaisissables, ces moments qui échappent à l’extériorisation, aux opinions et à la race… De ces moments d’espoir où la maladie s’éteint, mais aussi de désespoir où on n’a pu rien faire. En somme, il s’agit dans ce roman de femmes et d’hommes qui donnent le meilleur d’eux-mêmes.

Vous l’aurez compris, le décor de ces moments uniques n’est autre que l’hôpital. Et le fait que l’auteur soit lui-même médecin a toute son importance, sinon cela change tout. On ne lit pas ce livre ; on le vit.

A fortiori quand on découvre que l’histoire se passe durant la période de la pandémie à Coronavirus – bon un prétexte pour la réflexion sur la transmission.

«J’ignorais que tant d’amour pût naître de la souffrance.» Cette phrase extraite de « Lit 54, retour de l’enfer », un roman qui a aussi pour cadre l’hôpital, aurait bien pu être l’épigraphe, à tout le moins indiquer l’esprit de « Lumières de Saint-Avold » de Thierry-Paul Ifoundza, un témoignage d’amour sur la vocation, l’humanisme… C’est dans des moments difficiles, parfois de désespoir, que naît en effet l’amour du prochain, que s’accentue le sens du devoir, quel que soit le lieu. Cela, l’auteur le suggère magistralement à travers l’interaction entre les deux principaux personnages...

De quoi s’agit-il au juste ?

Un médecin-pneumologue originaire du Congo-Brazzaville est licencié d’un hôpital de Lille sans raisons valables. À quelque mois de l’apparition du Covid, il est cependant embauché loin de sa résidence, à Saint-Avold en Moselle. Malgré l’éloignement, ce qui met sa compagne – habituée à l’attendre dans tous ses états – , il éprouve une grande sensation de bien-être dans son nouveau service où, entre autres missions, il s’occupe d’un jeune interne qui a peur d’être au contact de la mort. Petit à petit, le docteur Pierre Chala va pousser le jeune interne à accepter la réalité de la mort : la médecine a aussi ses limites... S’établit entre eux un rapport de transmetteur à récipiendaire – même si la mère de ce dernier, bourgeoise, ne l’entend pas de cette oreille.

« – Pour moi, reprend Pierre, « Transmission » constitue depuis toujours une conviction d’abord éthique, morale ensuite dans la mesure où je ne suis pas un tout mais le maillon d’une longue chaîne. Maintenant, dans ce genre d’exercice, la balle est toujours dans le camp de celui qui veut recevoir. – C’est là tout le problème, en effet ! Suis-je en mesure d’accepter ce qui chez moi passe crème mais qui vient d’un autre ?

Que reste-t-il de ma personnalité ? Pierre approuve de la tête, partageant les questionnements d’André. Un point de marqué dans sa démarche qui consiste à l’accompagner, ou plutôt à lui transmettre leur vocation commune, dans son aspect concret. Si tous les deux conviennent que ce qui nous est important doit l’être aussi pour les générations futures, ça semble clocher en revanche sur la personnalité, voire l’égo. En matière de transmission, pense Pierre, la personnalité doit s’effacer quand il s’agit de recevoir. Il faut, dans la chronologie d’une tentative de transmission, du désir – « révolutionnaire par essence » –, de la vocation et de la rigueur. Sans quoi cette tentative de donner et de recevoir est vaine. – En somme, reprend André, dans cette affaire chacun est à sa place. – C’est le moins qu’on puisse dire. Un seul préalable : le désir. Le désir de générer, je veux dire, comme quand on a envie d’enfanter. Ce que nous sommes toi et moi aujourd’hui, d’autres personnes l’ont voulu, désiré. On ne naît pas et on n’est pas dans un archipel, mais dans un environnement continu, hérité… Je cite Sartre : « Tout nous vient des autres. Être c’est appartenir à quelqu’un. » – Pour résumer cet échange, je pourrai citer le Nouveau Testament, notamment l’Évangile selon Matthieu : « Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit », ou à l’apôtre Paul écrivant aux Corinthiens : « Je vous ai transmis en premier lieu ce que j’avais reçu moi-même. » C’est comme une course de relais… » (P37) Et, en lisant entre les lignes, on découvre que la relation de confiance est bien établie et que celui qui transmet rencontre la liberté de celui qui reçoit.

Transmettre ce que l’on n’a soi-même reçu, tel est en définitive le leitmotiv du personnage principal, qui, ce faisant, s’affranchit du regard intolérant des autres, dans un environnement parfois hostile. Sa démarche s’inscrit dans un présent qui se tourne vers l’avenir. « Transmission » donc, plutôt que « formation » parce que le premier concept englobe largeur et transversalité, au contraire du second qui rime avec « formatage ».

Pour tenter de parvenir à ses fins, du moins d’éprouver la sensation du devoir accompli, l’auteur recourt à l’humilité. Il ne manque pas d’aborder au demeurant les limites de tout Système de santé, aussi performant soit-il. À l’image de l’humain finalement. De fait, il est important de se remettre continuellement en cause, afin de repousser les limites contingentes. Moralité : on reste toujours impuissant de sa puissance.

BB / Les Echos du Congo-Brazzaville