Paru en janvier 2024 aux éditions Maïa, ce court récit découle de quatre voyages superposés. Voire cinq : les voyages physiques et le voyage intérieur de l’auteur. Un nectar littéraire qui se boit d’un trait, tant chaque page tournée accroche encore et encore.
Thierry-Paul Ifoundza est médecin-pneumologue d’origine congolaise, exerçant en France. Passionné par le Sahel dès son adolescence au Congo, il décide de le découvrir au moment où le Sahel est en proie à des attaques terroristes qui n’en finissent pas. C’est que la passion de l’aventure sahélienne lui est dévorante. Un nom le hante à jamais, celui de Thomas Sankara.
« Longtemps, j’ai rêvé de ce pays (Le Burkina Faso, ndlr), sans savoir pourquoi. Est-ce parce qu’il a connu à sa tête un homme devenu historique, voire légendaire ? Peut-être », écrit-il dès l’ouverture du récit.
Alors tel un photographe, il désire saisir « les instants qui se trouvent juste sous la surface des choses ».
De ces instants tapis sous la surface des choses et avant qu’elles surviennent. » « Comment vit-on dans un pays comme le Burkina Faso en proie au terrorisme ? C’est l’une des nombreuses questions à laquelle l’auteur, épris du « pays des hommes intègres », espère trouver des bribes de réponses durant ses nombreux voyages au Burkina Faso… » Des voyages qui seront aussi l’occasion de sa propre pérégrination intérieure. Car oui, le but de tout voyage n’est pas de changer d’espace, mais de regard vis-à-vis de l’autre et de soi-même. « En fin de compte, je me découvre une âme d’observateur», avance-t-il.
Et que voit-il ? Qu’entend-il ? Que sent-il au bout de ces voyages circulaires puisqu’il y a des départs et des retours ?
« Excité à l’idée de fouler la terre rouge de ce quartier en baskets, j’entends le premier chant de coq. Puis le deuxième. Aussitôt, je me téléporte vers mon enfance au Congo-Brazzaville.
Ces bruits matinaux annonçaient, telle une horloge, le début de la journée. S’ensuit toujours la rumeur du voisinage, qui signifie l’amorce du labeur, quel qu’il soit. Ici aussi à Zogona, je découvre le même rituel, comme immuable et, finalement, traversant l’Afrique d’Ouest en Est.
Certaines personnes commencent leurs journées par balayer devant leur cours et/ou la portion de rue, devant leurs parcelles, tandis que d’autres vaquent à des occupations du genre la vaisselle et la lessive. Ou à des tresses. L’odeur des marmites et des grillades, sans compter les cris des commerçants ambulants, envahissent déjà mes sens. Au milieu de ce remue-ménage matinal, je perçois distinctement celui des motos, très dominant, au contraire de celui des voitures. Oui, je suis au pays des motards… »
La vie paraît normale, mais ça n’est qu’un semblant de normalité, car la question majeure reste celle de la sécurité. « La question qui m’enserre depuis mon arrivée, tout en silence, est celle de savoir comment les Burkinabè expliquent cette recrudescence des attaques « terroristes ». Est-ce parce que l’armée a entrepris une contre-offensive que les populations sont exposées à des massacres ? Je veux savoir… Absolument ! Je suis quasi certain de ce qu’on va me fournir quelques bribes de réponses… Comme par pudeur ou par peur d’aviver la psychose, je m’abstiens toutefois d’employer le mot « terroriste ». Je procède toujours par allusions. Les Burkinabé avec qui j’échange n’usent d’ailleurs pas de ce mot. C’est leur façon à eux de ne pas trop y penser. Mais, au fond de moi, je sais qu’à un moment ou à un autre, je lâcherai le mot. Par maladresse peut-être. Ou par clairvoyance : il ne sert à rien de se voiler la face. Le pays souffre réellement des attaques terroristes. »
Thierry-Paul Ifoundza a une autre idée en tête : rencontrer les jeunes pour saisir leurs ressorts moraux ou leur perception des attaques terroristes. Et, dans une moindre mesure, leurs impressions sur le pouvoir militaire en place… Alors, de temps en temps, il conçoit aisément que le climat de grande insécurité, qui prévaut actuellement au Burkina, les désoriente. Mais, ô miracle, les jeunes ne se laissent pas intimider aussi facilement par les terroristes.
C’est vrai que les attroupements nocturnes dans des lieux publics sont déconseillés !... Mais certains jeunes, sinon une grande partie, ne renoncent pas pour autant à leurs activités favorites. Sous aucun prétexte, ils n’ont pas manqué de suivre la Coupe du monde de football de novembre et décembre 2022 au Qatar. Les matches, l’auteur les suit en leur compagnie, dans un restaurant du quartier, où un écran géant a été installé. L’ambiance y est parfois électrique, parfois euphorique, oubliant que la menace terroriste plane telle une tornade. Puis, à la fin des matches, les pas traînent, commentant telle ou telle autre prestation d’un joueur marocain ou français.
Subrepticement, l’un d’eux hurle : « Mourir peut attendre » ! Cette phrase, le titre d’un épisode de James Bond, tout le monde ou presque la prononce pour tenter d’oublier la menace terroriste.
Florence Banzouzi & Vivianne Bantsimba/Les Échos du Congo-Brazzaville
« Cher Burkina » de Thierry-Paul Ifoundza, éditions Maïa, 82 pages, 17 euros