Mbinda abandonnée : un peuple oublié qui attend enfin le courage politique

Au cœur du département du Niari, dans le sud du Congo, la ville de Mbinda, l’ancienne cité Comilog, vit dans une attente qui s’étire et qui épuise. Ici, le développement demeure un mirage, une ligne d’horizon qui recule à mesure que les promesses se répètent. À chaque campagne électorale (présidentielle, locales ou législatives), la population voit revenir les mêmes engagements, les mêmes discours, mais jamais les actes. Mbinda apparaît alors comme une communauté urbaine abandonnée, où l’ombre du désenchantement semble s’être solidement installée.

Le paysage lui-même raconte cette histoire de renoncement. La route, jadis axe vital, n’est plus aujourd’hui qu’un souvenir : une piste de terre défoncée, impraticable selon les saisons. Elle isole, elle use, et symbolise mieux que tout la rupture entre Mbinda et le reste du pays.

Il y a quelques mois, face à cette négligence, les jeunes de la localité ont tenté de relever cette dignité perdue. À mains nues, avec pierres et graviers, ils ont essayé de combler les nids-de-poule, disons mieux des nids d’oie pour permettre aux véhicules de franchir la montagne de Mikouagna après les pluies diluviennes. Mais on leur a ordonné d’arrêter.

Accusés à tort d’agir pour des intérêts politiques, ils ont dû cesser d’agir, pendant que ceux qui devraient agir restent immobiles, indifférents, presque lointains.

Pendant ce temps, la scène politique continue de suivre son rituel bien huilé : distribution de petits billets de banque, des tee-shirts, des pagnes, des casiers de boissons, des cacahuètes, des chips, des biscuits au chocolat…

En somme, des actions éphémères, sans impact réel sur la collectivité, qui masquent mal l’absence totale d’engagement durable.

Ailleurs dans le pays, on voit des élus locaux réhabiliter des tronçons de routes, construire des ponts sur des petites rivières, des forages dans des quartiers, faire dons d’ambulances, approvisionnés les hôpitaux en médicaments, créer des unités de production…

Quand il pleut, la population est coupée du monde. La route, artère vitale de toute communauté, est à Mbinda une veine obstruée. ‎

L’eau et l’électricité, ces droits fondamentaux, restent ici un luxe inaccessible. Les points d’eau sont rares, souvent insalubres.

Le soir venu, l’obscurité n’est chassée que par la lueur vacillante des lampes-tempête.

« Comment voulez-vous que nos enfants étudient ? Comment voulez-vous qu’un commerce prospère dans le noir ? », s'interroge une mère de famille à Mbinda.

L’énergie, source de progrès, est absente, laissant la communauté urbaine de plus de 5000 âmes en suspens dans un siècle qui file à toute allure. ‎

Au collège Raymond Kouedé de Mbinda, un autre drame silencieux et lourd de conséquences se joue. Les enseignants sont en nombre dérisoire, souvent surchargés, parfois découragés. Les salles de classe, quand elles existent mais sont dans un état qui nous laisse sans mots, pourtant à Mbinda il y a des élèves brillants, et assoiffés de savoir. Mais comment leur donner les armes pour affronter l’avenir sans professeurs ni moyens ?

L’école, ce temple de l’émancipation, risque de devenir ici le symbole d’une génération sacrifiée encore. ‎

Les infrastructures la Mairie, l'hôpital, la sous-préfecture, le marché municipal… ne sont plus à l'image d'un Congo qui avance. Le centre de santé le mieux équipé est une longue marche vers Dolisie sur des sentiers difficiles. Ici, on guérit par la grâce de Dieu ou on meurt par son abandon.

Gardez espoir. C’est la seule et unique phrase qu’on répète aux habitants de Mbinda. Un espoir qui sonne parfois comme une cruelle ironie à la veille de chaque scrutin.

Le bâton de Moïse, censé fendre la mer de leurs problèmes, n’a toujours pas frappé le sol de Mbinda.

‎Le récit biblique de l’Exode est dans toutes les bouches, devenant une puissante métaphore de leur condition. Les populations de Mbinda attendent leur traversée vers la « Terre Promise » du développement, de la dignité promise par le contrat républicain. Mais les eaux de l’indifférence et de l’oubli systémique ne se sont pas ouvertes. Elles les enferment au contraire.

L’espoir, à Mbinda, n’est pas mort. Il est durci, trempé dans la résignation active de ceux qui n’ont que leur ténacité pour seul bien.

‎Vivement que le « bâton de Moïse » symbole de l’action publique décisive frappe ici, à Mbinda, pour ouvrir la voie vers la délivrance et le progrès tant attendu.

La réponse ne se trouve pas dans les discours mielleux et bien rodés, mais dans le bitume des routes, dans le courant des lignes électriques, dans les cahiers des élèves et dans les regards perdus des habitants.

Jean-Jacques DOUNDA / Les Echos du Congo-Brazzaville