Ibanga, la prison et un guérisseur nommé Pascal Lissouba (Par Papou Bonal)

Début mai 1997, dans le cadre de son programme d'activités annuelles, l'Association Jeunesse et Avenir (AJA) que dirige Mme Albertine Dibebeke et proche de la galaxie présidentielle, décide de voler au secours des populations vivant dans les villages et contrées les plus éloignées, dans la "région" de la Likouala, frontalière avec la RCA, à plus de 1000 kms à l'extrême nord de Brazzaville.

Au programme, distribution de produits alimentaires et vestimentaires, mais surtout dispensation des soins de santé de première nécessité, avec le concours du tout nouveau département ministériel dédié à la médecine ambulatoire, confié à M. Gaston Baboka.

Populations cibles, les pygmées qu'on ne désignait pas encore par le couple vocable de "Populations autochtones" vulgarisé à partir du milieu des années 2000. Des populations, comme on le sait, qui affectionnent vivre retirées des zones occupées par les bantus et pour la Likouala, leurs hameaux sont disséminés dans les zones inondées, accessibles uniquement par embarcations, situées très loin des principaux centres urbains de la "région" de la Likouala que sont Epena, Dongou et Impfondo - Chef-lieu de la région- où la mission établira son camp de base.

Pour mener à bien la mission et révéler au grand public les réalités et besoins d'existence les plus vitales et élémentaires de ses compatriotes parmi les couches sociales les plus vulnérables, la Présidente de l'AJA requiert la participation d'une équipe de journalistes et professionnels de l'information des organes du service public: radio et télé Congo. Elle jette alors son dévolu sur deux jeunes professionnels à peine sortis d'école, Jean-Jacques Jarele Sika et moi-même.

Et puis un jour, alors que nous entamons la 3ème semaine de cette mission de collecte d'information sur les réalités quotidiennes de la vie, les modes d'existence et les façons de vivre des pygmées, qui m'étaient particulièrement étrangères, mission qui se révèle singulière difficile et physiquement éprouvante pour le jeune reporter que je suis, nous voici au village Ibanga. Une petite bourgade qui n'abrite pas plus d'une trentaine d'âmes, perdu dans la grande forêt équatoriale et qui affiche un paysage de néant.

Les habitants d'Ibanga semblaient s'être précipitamment retranchés en forêt à la perception des vrombissements des moteurs hors-bords de la caravane de la mission socio-sanitaire et humanitaire de l'AJA. Il a fallu toute la sagesse et la connaissance des codes des originaires de la "région" pour décrisper l'atmosphère et ramener chez "eux", les habitants du cru.

Mais Ibanga, c'est plus qu'un simple village de pygmées, puisque dans la foulée des réjouissances et quelques gâteries à eux faites par la Présidente de l'AJA, ces derniers nous révéleront les vestiges de la prison exclusivement construite, en pleine forêt et exclusivement dédiée à l'étroite surveillance du prisonnier politique Pascal Lissouba, condamné entre 1977-1979, dans la foulée des arrestations qui ont suivi l'assassinat du Président Marien Ngouabi.

Un pénitencier construit essentiellement en matériaux locaux et visiblement à la hâte pour un seul prisonnier, perdu dans la grande forêt équatoriale; le jeune reporter que j'étais, à la fois ému et passionné par cette découverte, au-delà de la prise de notes et des images à immortaliser, était, en tant qu'humain, face à la cruauté de l'homme, et son extraordinaire capacité de virer à l'animosité.

Les autochtones eux, racontaient l'histoire singulière qui les liaient au prisonnier devenu Président de la République, détendus, nostalgiques et un brin de soulagement. Nos interlocuteurs, adolescents où jeunes adultes à l'époque devenus notables de la localité, l'appelaient "Monganga". Deux ans durant, le Professeur généticien et ingénieur agronome s'était en effet reconverti en "Monganga". Il soignait et guérissait les villageois et même ses geôliers à l'aide des potions à base de plantes et racines sans oublier le miel et le citron.

La prison se transformait en hôpital et Pascal Lissouba occupait ainsi ses journées et s'était installé allègrement dans les cœurs et prières des populations du cru et de toute la région de la Likouala.

A Ibanga, tous les arbres fruitiers portent le nom de Pascal Lissouba.

Je n'aurais malheureusement pas eu le temps et l'opportunité d'exploiter toutes mes notes et images de cette longue mission de reportage auprès des peuples pygmées et autres populations des confins de la "région" de la Likouala. Le reporter n'aura donc pas eu le temps et l'opportunité de conter au grand public et lever un coin de voile sur cette partie de la vie du Pr Pascal Lissouba, "Monganga".

Le sort en décidera autrement puisque la mission sera brutalement interrompue.

Le Président de la République avait dépêché un avion sur Impfondo, le 1er ou le 2 juin 1997 si mes souvenirs sont bons, pour rapatrier les membres de la caravane socio-sanitaire et humanitaire de l'Association Jeunesse et Avenir. À quelques jours du 5 juin et la suite vous la connaissez.

J'oubliais, leader du mouvement étudiant, porte-parole du Collectif des étudiants au début des années 90 -à peine majeur- j'avais été coopté comme membre à part entière du CRESEC, le Comité de réflexion pour la réforme du système éducatif congolais, co-piloté par un français, M. Jacques Renou, un des anciens collègues de M. Lissouba à l'UNESCO, M. Martial De Paul Ikounga, ancien Directeur de Cabinet du Pr Pascal Lissouba et M. Naasson Loutete Dangui, Ministre de l'éducation nationale. Au sein de ce comité, les membres avaient le statut de Conseiller du Président de la République. C'est précisément ce comité qui a été à la manœuvre dans le dossier de la délocalisation de certains établissements et facultés universitaires. Le point de vue des étudiants dont je portais le plaidoyer, à travers un document d'orientation collégialement conçu avec mes pairs, avait souvent été pris en compte.

Je fais ce témoignage pour les besoins de l'histoire, mais j'aime autant le préciser, je n'ai jamais eu aucun lien particulier avec l'illustre disparu. Et pourtant, l'histoire a voulu qu'il y ait des points de convergence.

Au moment où la dépouille de l'ancien Président de la République s'apprête à être ensevelie, loin de la terre de ses ancêtres, je voudrais m'incliner devant sa grandeur et le recommander au Grand Architecte de l'Univers pour un repos mérite.

J'aimerais enfin exprimer toute ma compassion auprès de ses familles biologiques et politiques.

Papou Bonal / Les Echos du Congo-Brazzaville