Congo : Jacques Chirac n’est pas étranger à la défaite militaire de Pascal Lissouba en 1997 (Claudine Munari)

Pascal Lissouba est-il tombé en 1997 parce qu'il avait défié une grande compagnie pétrolière française ? Claudine Munari, directrice de cabinet du président Lissouba, qui préside aujourd’hui la Fédération de l'opposition congolaise, a déclaré, dans une interview exclusive accordée à nos confrères de Rfi, que « Jacques Chirac est bien responsable ».

Claudine Munari, votre réaction au décès du Président Lissouba ?

Écoutez, je suis sous le choc parce que c’est un grand homme qui nous quitte. C’est mon mentor qui part, qui nous quitte et c’est difficile. C’est sûr qu’il était très malade ces derniers temps, on s’y attendait plus ou moins mais enfin, malgré tout c’est un choc.

Quel est pour vous le grand souvenir que vous garderez de Pascal Lissouba ?

Son grand amour pour notre pays. Sa grande foi dans les Congolais pour faire de ce pays, comme il le disait lui-même, « une petite Suisse ».

Une petite Suisse...

Il disait que nous avions et les moyens et les qualités pour faire de notre pays une petite Suisse. Il suffisait d’y mettre de la volonté et de l’amour et nous y parviendrons. Avec la science et la technologie, il nous disait, et il avait raison, que nous pouvions développer notre pays très rapidement, en copiant, comme il disait, l’intelligence des autres.

Parce qu’avant d’entrer en politique, il avait fait des études scientifiques. Il était ingénieur agronome.

Oui c’est un généticien d’abord, ingénieur agronome, il a longtemps travaillé à l’Unesco aussi. Il a vraiment fait la promotion de la science et de la technologie dans notre pays. Je me souviens qu’au début, quand il en parlait, ça faisait rigoler un peu tout le monde qui lui disait « oui bon ça va… ». Mais quand on voit ce qu’il se passe aujourd’hui, on est obligés de reconnaitre qu’il avait raison sur les sciences et la technologie. Il disait par exemple que « bientôt vous verrez que les mamans auront le téléphone dans les plantations » et les gens rigolaient. Mais aujourd’hui, c’est ce que nous vivons au quotidien, donc il avait une vision. Il avait une vision pour le pays. Il avait une vision pour l’Afrique. Et c’était un bon guide.

Dans les années 1960, il avait été Premier ministre puis en 1992, à l’issue de la Conférence nationale, il a été démocratiquement élu président de la République. Pourquoi est-ce lui que les Congolais ont choisi en 1992 ?

Parce que d’abord c’est un démocrate. Il inspirait confiance, le président Pascal Lissouba. Parce que c’est quelqu’un d’accessible, malgré son intelligence, malgré toutes ses connaissances, c’était quelqu’un de prêt à partager ses connaissances avec les autres. Et puis bon à la conférence nationale, on en avait un peu marre du pouvoir au bout du fusil. On voulait un pouvoir civil pour le coup et il avait un projet de société qui était séduisant.

Et il savait parler avec des mots simples malgré sa science, malgré sa grande culture ?

Il savait partager et il savait se mettre à votre niveau pour que vous compreniez de quoi il parle. Il avait les mots qui touchent. Par exemple, je me rappelle d’une phrase qu’il disait souvent : « La femme devient l’amour à qui va l’amour ». Quand il disait par exemple « Je comprends les femmes. C’est parce qu’elles donnent la vie qu’elles sont les plus promptes à la défendre ». Vous savez, quand on parle comme ça devant les mamans, ça les touche. Quand on donne à la femme la place qui est la sienne en tant que pilier de la société, ce sont des choses qui ont beaucoup marqué et je crois que son succès en 1992 dépend de tout cela. Il a fédéré les gens autour de son projet, les femmes se sont levées.

Alors son mandat a bien commencé mais très mal terminé. Comment expliquez-vous la guerre civile de 1997 ?

Vous savez, les guerres chez nous, elles sont souvent préparées d’ailleurs. C’est des complots politiques, parce que ceux qui voulaient à tout prix en découdre ont mis le feu au pays et puis voilà.

A l’époque on lui reprochait peut-être de trop avantager les gens du Nibolek, du Sud-ouest du Congo comme lui.

Écoutez, moi j’aimerais qu’on prenne les statistiques de cette époque-là et que l’on prenne les statistiques d’aujourd’hui. Ce moment-là me fait bien rire. Aujourd'hui, 99% des directeurs généraux de notre pays sont originaires du Nord. Plus des trois quarts des généraux de l’armée sont du Nord. Alors on accuse souvent Lissouba d’avoir mis les Nibolek, moi je voudrais que l’on me donne les statistiques. Franchement là, non, non !

À la fin de la guerre civile, son adversaire, le général Sassou-Nguesso a été soutenu par l’Angola d’Eduardo Dos Santos et aussi politiquement par le Gabonais Omar Bongo. Comment expliquez-vous l’isolement alors du président Lissouba ?

C’était sous l’instruction de qui, à votre avis, que l’Angola et le Gabon ont soutenu Sassou-Nguesso ? C’est sous l’instruction de la France et de Elf. À l’époque, c’était encore Elf.

La société pétrolière française Elf.

Voilà, c’est des faiseurs de rois. C’est-à-dire qu’il a demandé que l’on revisitât la part du Congo dans le pétrole. Mais il n’y a pas un truc qu’il a fait tout seul dans son coin. Il l’a fait avec un pétrolier de la maison Elf. On a fait un procès à Pascal Lissouba en disant qu’il menaçait les intérêts de la France. Mais vous pouvez me croire, le partage de production sur le pétrole a été dicté par Monsieur Tarallo. Et j’étais assise à Paris rue de villersexel, où l’on avait mis un local à la disposition du président Pascal Lissouba pour préparer sa campagne et cela a été fait avec Tarallo. Donc quand le président Lissouba parle du partage de production, il ne prend pas les pétroliers en traitre. Mais on lui en a voulu comme ce n’est pas permis.

Ensuite ?

Ensuite ils [les gens de Elf] nous ont bloqué. On n’avait rien. D’abord on avait trouvé les caisses vides. On était au mois de septembre, il y avait déjà quatre mois sans salaires.

De quelle année ?

De 1992, l’année de son élection. Il arrive, les caisses sont vides, il ne peut pas payer les salaires. Elf ne veut rien entendre pour aider. Elf qui a l’habitude de gager le pétrole sur des années et des années comme ils le font aujourd’hui. Ils refusent et on est aux abois. D’où la signature de ce contrat avec Oxy, qui nous a valu tous les malheurs du monde. Et on s’est rendus compte par la suite que l’on condamnait le régime de Pascal Lissouba parce qu’il avait signé avec les Américains.

Vous pensez que c’est donc la décision de Pascal Lissouba de signer avec l’Américain Oxy qui lui a été fatale sur le plan politique en 1997 ?

Oh oui, c’était les prémices, c’était ça. C’est l’affaire Oxy qui a plombé le régime de Pascal Lissouba.

Donc pour vous, Jacques Chirac n’est pas étranger à la défaite militaire de Pascal Lissouba ?

Oh non, pas du tout. Jacques Chirac est bien responsable. C’est un secret de polichinelle, puisque quand l’Angolais et le Gabonais rentrent dans la danse, c’est parce que le parapluie de Paris est ouvert. L’ordre leur a été donné.

Est-ce qu’à l’époque, Pascal Lissouba n’a pas manqué de sens politique pour conserver l’amitié d’un Omar Bongo qui avait quand même été très proche de lui les années précédentes ?

Je souris en vous écoutant puisqu’Omar Bongo, jusqu’à la fin, est resté son ami. Ils sont même parents. Mais le président Bongo avait quand même, dans sa maison, dans son palais, la fille de Sassou. Quand le président Lissouba lui a dit « Mais qu’est-ce que tu me fais là ? », il disait « Ah mais toi tu es mon parent ». Il touchait son alliance, comme pour la sortir de son doigt, en disant : « Le mariage, c’est l’alliance, je peux l’enlever. Mais toi, tu es mon parent et je ne peux rien changer à cela ». Mais le Canard enchaîné l’avait annoncé à l’époque [en août 1997], les armes transitaient par le Gabon pour alimenter Sassou, donc Bongo avait choisi son camp.

Omar Bongo jouait double jeu ?

Oui, tout à fait. A Lissouba, il faisait des grands sourires et derrière, il facilitait le transport des armes pour armer Sassou-Nguesso.

Et aujourd’hui avec le recul, qu’est-ce que Pascal Lissouba aura apporté à votre pays ?

Que la démocratie est possible. Que quand le peuple se lève, les choses peuvent changer. Le président Lissouba a été élu dans une élection démocratique qu’il a gagnée proprement. Je ne sais pas si dans notre pays il y a eu beaucoup d’élections aussi propres.

Source : RFI.