Congo – Évocation : Le testament républicain de Placide Lenga, grand commis de l’État

Ancien Premier président de la Cour Suprême, Placide Lenga s’est éteint le 5 septembre 2019, en Afrique du Sud. Après plus de vingt ans à la plus haute juridiction nationale en qualité de premier président, Placide Lenga a passé le témoin le 20 mars à son successeur, Henri Bouka, qui l’a suppléé pendant autant d’années. Lors de la célébration de la proclamation de la République, le 28 novembre 2010, l’éloge qu’il lut avec une voix emprunte d’émotion, pour une invite au sursaut républicain, dans une Nation réconciliée avec elle-même, sonnait comme un testament. Voici le texte intégral.

‘’PLACIDE LENGA PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR SUPRÊME DE LA RÉPUBLIQUE DU CONGO

Discours sur l'éloge de la République prononcé à l'occasion de la journée commémorant la proclamation de la République, à Brazzaville, le 28 novembre 2010

Excellence, Monsieur le Président de la République, Chef de l'État, Madame l'Épouse du chef de l'État, Monsieur le Président du Sénat, Monsieur le Président de l'Assemblée Nationale, Mesdames et Messieurs les membres du gouvernement, Messieurs les Présidents des Institutions constitutionnelles, Excellences, Messieurs les Ambassadeurs et Chefs de Missions diplomatiques,

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Chers collègues de la Cour Suprême, membres du Conseil d'État.

Lorsque, il y a quelque temps déjà, son Excellence Monsieur le Président de la République m'a confié la mission de faire ce jour, sous sa très haute autorité, l'éloge de la République, je me suis senti comme profondément honoré que ce choix ait été porté sur ma modeste personne.

Même si le développement du sujet (ô combien sensible), peut contenir des aspects suicidaires, je réalise, comme je comprends, que c'est le devoir d’un grand commis de l'État, que de pouvoir mourir de quelque chose.

Alors, je fais, en ce lieu chargé d'histoire, tout en vous exprimant très respectueusement, Monsieur le Président, l'expression renouvelée de ma gratitude infinie...

La République, est, littéralement, la chose publique, la RES PUBLICA des latins, et on sait, d'expérience, combien elle a été adoptée par des régimes politiques divers, et combien elle n'induit pas nécessairement la démocratie, pas plus que la démocratie ne suppose la République...

Alors, il faut donc savoir l'interpeller, pour déceler ses mérites, lesquels, dans notre contexte en développement, ne peuvent être perçus que par leur cheminement historique.

C'est pourquoi, sans autre transition, j'interpelle la République, en lui disant :

Madame la République, je vous salue. Je suis un de vos serviteurs fidèles. Sur le plan du concept, vous étiez née avant que je fusse né...

Mais je me demande d'où vous venez, ce que vous faites sur la terre, où vous allez, si vous avez une fin probable, et laquelle ?

Ce concept est important à étudier, pour connaître ce qu'il est devenu, chez nous, au Congo, avec les mutations de l'esprit de l'Homme...

Autant de questions multiples, souvent complexes, que je me pose à votre sujet, Madame...

Vous m'avez appris que vous étiez née, depuis des temps immémoriaux, dans l'esprit de gens généreux à la recherche d'un bon modèle de gouvernement, le meilleur choix possible parmi les systèmes d'administration de la cité...

Vous m'avez parlé de Platon et de Cicéron, le premier dans le monde grec, et le second dans l'empire romain. Ce sont de grands maîtres à suivre dans ce domaine, comme vous me l'avez conseillé...

Selon vous, la République de Platon repose sur la recherche d'une plus grande justice dans la cité; Ce grand Maître affirme qu'il faut dire la vérité et donner à chacun son dû, son dû, c'est-à dire donner le bien aux amis, et le mal aux ennemis, même si cela doit rendre les ennemis plus méchants, et même si le mal dont souffrent les hommes doit s'accroitre de ce fait, la pire des choses étant de subir une grave tyrannie.

Ainsi, Platon enseigne que l'État doit être analysé comme cet « homme en plus grand »; il dit que la communauté primitive est simple, saine et heureuse, parce qu'elle est née de la nécessité de pourvoir aux besoins fondamentaux, la force des soldats dans l'État devant être surtout civique et devant consister à savoir ce qu'il faut oser, la sagesse étant dans la modération et l'esprit d'ordre des gouvernants et des gouvernés, tandis que la justice doit être dans l'harmonie de l'ensemble, chacun étant à sa place pour accomplir normalement sa fonction...

Quant à Cicéron, vous m'avez dit, Madame, que son modèle a été construit sur celui de Platon, mais qu'il évite tout ce qui lui paraît utopique. Ce visionnaire romain distingue trois formes de gouvernement : la monarchie, l'aristocratie et la démocratie, qui ne doivent pas être isolées mais groupées, pour qu'elles portent l'organisation politique à une perfection achevée. Pour atteindre ce but, il faut que le législateur ne soit pas seul à bâtir une constitution, celle - ci devant être modelée par le peuple après des siècles d'expérience.

Vous m'avez révélé, Madame la République, que par le fameux « songe de Scipion », Cicéron expose la théorie de l'immortalité de l'âme, celle des bienfaiteurs de la patrie qui sera spécialement récompensée dans l'au-delà...

Cette immortalité de l'âme est une notion capitale parce qu'elle est l'émanation de l'histoire des hommes qui auront brillé, toute leur vie durant, dans la pratique du bien, au profit de leur peuple...

Madame la République, vous avez ajouté que nous avons reçu, par la colonisation subie, cette notion de « Bienfaiteurs de la Patrie », qui nous permet de retenir des gouvernants de bonne extraction aujourd'hui...

À ce moment-là, je peux dire que c'est beau, que c'est bon, que c'est généreux, la République...

Voilà, Madame la République, en ce qui concerne les sources possibles du concept « République »...

Mais, dans notre contexte en développement, J'essaye de comprendre comment ces idées généreuses ont pu prendre corps; après tout, en ce qui nous concerne, la République n'a pris naissance que le 28 novembre 1958. D'aucuns ont même dit, sans sourciller, que nous sommes venus en République par succession d'État, parce que, colonisés par la France, celle-ci, en nous quittant, nous aurait forcément laissé sa forme de gouvernement, que nous aurions reçue de la sorte en héritage...

On peut dire effectivement qu'il y a, aussi, de cela, sans doute, mais pas seulement...

Si la chose pouvait être expliquée irréversiblement de la sorte, les anciennes colonies britanniques d'Afrique seraient toutes devenues des monarchies à leur indépendance, les îles britanniques étant une monarchie.

Non, Madame la République. L'explication est ailleurs. Il nous faut revenir au siècle des lumières, le XVIIIème, où des esprits visionnaires comme Diderot, Voltaire, Rousseau... ont propagé des idées politiques nouvelles, proposant de nouvelles formes de gouvernement. Avec eux, Montesquieu rendait compte à l'opinion publique de l'utilité du principe de la Séparation des Pouvoirs au sein de l'État, pour que, au moyen de contrepoids, le Pouvoir arrête le Pouvoir, pour empêcher l'arbitraire du gouvernant...

C'est beau, c'est bon, c'est généreux, la liberté !

Quand, au XIXème siècle, Savorgnan de Brazza est venu nous coloniser au nom de la France, celle-ci vit sa IIIème République, mais, déjà, nous en savions des choses, notamment sur notre droit à l'émancipation. Voilà tout...

C'est pourquoi, nous avons de bonnes raisons d'exprimer toute notre satisfaction...

Seulement, tout le monde veut savoir pourquoi la République, chez nous, est née et a grandi dans la douleur, à partir du 28 novembre 1958 ?

Une seule explication est plausible à cet égard :

En 1958, le Territoire du Moyen - Congo, qui va se muer en République autonome, est une colonie et une entité décentralisée de l'Afrique Équatoriale Française ;

il comporte un territoire délimité par rapport aux futurs Etats voisins, par des traités ou des actes administratifs ;

il comporte un Pouvoir organisé, qui est constitué par une Assemblée territoriale et un Conseil de gouvernement présidé par le Gouverneur Chef de Territoire ;

il comporte enfin une population, qui, malgré sa division interne en diverses solidarités traditionnelles partisanes, éprouve le sentiment d'appartenir à un ordre social, politique et juridique sinon particulier, du moins distinct de celui des colonies voisines...

Au départ, la réalité politique congolaise est que la population de l'État en formation est divisée contre elle-même. Diverses solidarités nationales traditionnelles et des solidarités partisanes modernes la divisent, les solidarités traditionnelles constituant, de leur côté, la matière réelle des solidarités partisanes. C'est une constante de la société congolaise, depuis que le nationalisme matsouaniste s'était trouvé, de force, réduit, pour survivre, à une seule région, le Pool-Djoué ; il n' y a plus désormais de solidarité partisane permanente possible que si elle s'appuie sur les solidarités traditionnelles. Avec le choix de la conception normale de la Nation, on se trouve théoriquement dans un véritable cercle vicieux : les partis politiques modernes doivent surmonter les solidarités traditionnelles pour que la population de l'État parvienne à la solidarité nationale ; mais ils doivent s'appuyer sur ces solidarités traditionnelles pour assurer leur propre existence...

Nous parlons de la conception normale de la Nation : c'est pour nous rappeler celle qui a été brillamment formulée par Ernest RENAN, en 1882, quand il écrivait, je cite :

« Une Nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire n'en font qu'une constituent cette âme. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent, avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà la condition essentielle pour être un peuple ».

Magnifique formule, Messieurs !

Magnifique formule, en effet, C'est beau, c'est bon, c'est généreux, la République et la Nation !

Les nécessités de l'évolution politique interne vont imposer le parti unique comme moyen de sortir de ce cercle vicieux. Ce n'est pas un choix à priori, mais un choix imposé par les méfaits historiques des solidarités traditionnelles coulées dans le moule des solidarités partisanes.

Tout commence avec les élections de mars 1957, à l'Assemblée Territoriale, en application de la loi -cadre Gaston DEFFERRE de juin 1956. Deux pôles d'attraction mobilisent l'opinion publique congolaise :

- L’Union Démocratique de Défense des Intérêts Africains (UDDIA), créé en mai 1956 par l'Abbé Fulbert YOULOU, et - le Mouvement Socialiste Africain (MSA), dont Jacques OPANGAULT est le chef. En gros, les solidarités traditionnelles du nord vont au MSA et celles du sud à l'UDDIA. Un parti politique du sud, le Groupement pour le Progrès Economique et Social (GPES), dirigé par KIKOUNGA NGOT et implanté dans une partie de la vallée du Mari perturbe cet ordonnancement général en apportant la solidarité traditionnelle, qui le porte, au MSA.

À la suite des élections territoriales, 23 sièges de conseillers territoriaux vont au MSA et 22 à son concurrent. En conséquence, le chef du MSA prend la vice-présidence du Conseil de gouvernement mis en place en application de la loi - cadre et dont le gouverneur Chef du territoire est le Président.

Mais en 1958, la majorité MSA devient minorité à la suite de la défection d'un conseiller GPES qui adhère à l’UJDDIA. Rien n'est changé à la direction du gouvernement. Le changement survient à la première occasion : l'installation des institutions de la communauté créée par la constitution de la République française et de la communauté de 1958, à la suite du retour aux affaires du Général Charles de Gaulle.

Le 28 novembre 1958, après la création de la République, la majorité UDDIA forme le gouvernement provisoire de la République. Cette majorité en confie la direction à son chef, tandis que la minorité MSA s'était retirée de la salle des délibérations de l'Assemblée territoriale, à Pointe-Noire, la majorité ayant refusé de tenir compte de ses exigences présentées préalablement à la formation du gouvernement provisoire.

Il en résulte un complexe de frustration, qui exaspère les solidarités tribales sous-jacentes aux solidarités partisanes et les lancent dans des réactions violentes.

Le jour même de la proclamation de la République, les clientèles électorales des partis se heurtent. Il y a des morts et des blessés. Des habitations sont incendiées. Les violences se poursuivent à Dolisie, au début de 1959, pour culminer, peu après, à Brazzaville.

L'ampleur des dégâts épouvante les chefs des partis et leurs clientèles politiques. On réagit en élaborant la mystique de l'unité nationale pour assurer la paix. On adopte donc la conception normale de la Nation en vue de transformer les solidarités traditionnelles en solidarité nationale. 11 faut apaiser les esprits et agir en commun pour déboucher sur la Nation et la paix :

C'était beau, c'était bon, c'était généreux, la République !

L'apaisement des esprits et l'action en commun des partis se traduisent par l'amnistie des violences politiques, en juin 1959 ;

la négociation de l'indépendance se fait par une délégation commune du MSA et de l’UDDIA, et dirigée par le chef du gouvernement, en 1960 ;

l'entrée du chef du MSA dans le gouvernement dirigé par l'Abbé Fulbert YOULOU, au cours de la même année, et enfin l'élection, en 1961, au suffrage universel, en qualité de Président de la République, du candidat unique du MSA et de l’UDDIA, coalisés, et qui font une campagne électorale commune :

C'était beau, c'était bon, c'était généreux, la République !

L’apaisement des esprits est effectivement réalisé, en même temps que l'action politique commune des partis. La coalition des solidarités partisanes entraîne, en fait, la collaboration des solidarités traditionnelles dans la participation à l'exercice du pouvoir politique :

C'était beau, c'était bon, c'était généreux, la République !

Mais cette unité dans l'action est jugée insuffisante et aléatoire. Elle peut rencontrer bien des traverses, notamment du fait des ambitions personnelles. On est convaincu qu'elle doit être confortée par une unité organique, pour éviter un retour éventuel aux violences politiques du passé. On estime que la fusion des partis coalisés entraînera la fusion des solidarités traditionnelles qui les soutiennent, et qui les transformera en solidarité nationale.

C'est ainsi qu'en 1963 le parti unique s'impose au Congo comme technique de la création de la Nation et, par conséquent, de l'État national.

Ce parti présente une double caractéristique : il est unique et de type africain.

En tant que parti unique, il est seul autorisé à mener officiellement une action politique organisée. Par conséquent, deux effets sont obtenus : les solidarités traditionnelles qui pourraient nuire à l'établissement de la solidarité nationale n'ont plus de moule officiel des partis politiques pour nuire à la cohésion nationale et les solidarités traditionnelles sont contraintes de collaborer au sein de la seule institution qui a le droit de mener officiellement une action politique organisée.

En tant que parti unique de type africain, il est ouvert à la généralité des citoyens, sans aucune discrimination, et leur offre ainsi un cadre où ils peuvent faire naître et entretenir le vouloir vivre ensemble, qui fait la Nation :

C'était beau, c'était bon, citait généreux, la République !

Or, un tel parti est celui qui a été décrit brillamment par Ahmed MAHIOU, le parti unique de type africain. Il a le monopole de l'action politique. Il a pour but de rassembler l'universalité des citoyens en ne tenant compte que de leur qualité de citoyens; II a pour but d'offrir un cadre ou la Nation se crée en brassant les solidarités traditionnelles au profit de la solidarité nationale et où s'entretiennent la volonté des citoyens de vivre ensemble et de développer économiquement leur État dans les frontières héritées de la colonisation.

Que l’on se rappelle les violences, puis la collaboration qui avait précédé la création de ce parti unique et l'on se croirait dans l'atmosphère du contrat social de Jean Jacques ROUSSEAU. Tout est traduit par ce parti unique :

- d'abord, la nécessité de la conservation de tous à la suite des malheurs publics ;

- ensuite, une forme d'association de chacun avec tous et de tous avec chacun ;

- en troisième lieu, la suppression des brigues des ambitieux ;

- en quatrième lieu, l'anéantissement des associations partielles que constituent les solidarités traditionnelles et les solidarités partisanes antérieures au parti unique ;

- enfin, l'établissement de la libre détermination individuelle des citoyens dans leur participation aux décisions de la Nation :

C'était beau, c'était bon, c'était généreux, la République !

Même si la loi-cadre du 13 avril 1963 sur le parti unique est restée au stade de projet, l'idée sera reprise au renversement de la première République, avec l'installation de la deuxième République qui va créer un parti unique de nature hybride ou mixte, avec le Mouvement National de la Révolution, le MNR.

Après août 1963, la situation politique n'est plus la même, le mouvement révolutionnaire se radicalise dès le 31 juillet 1968, et, le 31 décembre 1969, l'idéologie politique est le socialisme scientifique, c'est-à-dire le communisme qui va installer la dictature du prolétariat.

Qu'on se rappelle la définition de la République, et l'on se rend compte que ce terme a été adopté par des régimes politiques divers, de sorte que la République n'induit pas nécessairement la démocratie, pas plus que la démocratie ne suppose la République.

Mais la République, chez nous, a adopté le socialisme scientifique comme idéologie de pointe avec une construction de l'économie fondée sur la dictature du prolétariat. Les constitutions ont succédé aux constitutions avec de nombreux actes fondamentaux, tous établis dans des dispositions d'esprit de bonne foi en cherchant à saisir, autant que possible, la meilleure organisation possible de l'État, les soubresauts violents et condamnés étant ponctués de lois d'amnistie, à l'infini...

Ces violences portent des dates, comme mars 1970, comme février 1972, comme mars 1977, etc., etc.

Tout cela au nom de la République; c'était la République, même s'il a été décrié, par ailleurs, dans un long courrier de la colère, que la Révolution dévorait ses propres enfants ! C'était la République.

Dans le tumulte continu du foisonnement des idées, dans tous les élans fougueux des partisans, dans les complaintes dictées par les convictions les plus affirmées, une seule chose n'a jamais été remise en cause : cette chose c'est la République, toujours à l'origine, bonne ou mauvaise de leurs agissements. Aucun d'eux n'a jamais répudié la forme républicaine du gouvernement :

C'est beau, c'est bon, c'est généreux, la République!

En 1984, la République a sécrété une innovation majeure, sur le long cheminement de la construction de l'état de droit dans notre pays. Une ordonnance portant le n° 018/84 du 23 août 1984 a étendu la compétence matérielle des juridictions de droit commun, notamment aux actes de sabotage économique au préjudice de l'État, C'était une grande révolution en droit pénal spécial que la notion de sabotage économique. Mais écoutez plutôt :

Était définie comme actes de sabotage, toute action ou inaction ayant pour effet, en connaissance de cause» de perturber la production industrielle ou agricole, les moyens de communication, le commerce, et, d'une manière générale, une branche quelconque de l'économie nationale. Belle formule, excellences, mesdames et messieurs, belle formule en effet, surtout que l'ordonnance en question donne comme exemples de sabotage :

1°. Tout dommage intentionnel, à des biens mobiliers ou immobiliers appartenant à l'État ou à ses démembrements ;

2°. Tout détournement au préjudice de l'État ou ses démembrements des moyens de production de leur usage réglementaire ;

3°. Toute hausse illicite des prix, stockage spéculatif de marchandises, rupture volontaire de stocks de produits de première nécessité ;

4°. Toute aliénation, à. quelque titre que ce soit, de biens mobiliers ou immobiliers appartenant à l'État ou à ses démembrements ;

5°. Tout payement effectué par un comptable de droit ou de fait, avec des deniers de l'État ou de ses démembrements, contrairement aux dispositions légales réglementaires ou conventionnelles ;

6°. Tout recrutement de personnel dans l'entreprise d'État, dans l'administration publique ou dans les démembrements de l'État, pour créer des effectifs pléthoriques ;

7°. Toute augmentation anarchique des salaires, tout débours financier excessif dès lors qu'il est établi que l'entreprise déficitaire ne peut résorber ces dépenses ou que ces faits risquent de causer un préjudice financier important pour la collectivité ;

8°. Toute négligence grave de la part des agents de l'État ou de ses démembrements, si cette négligence a occasionné un dommage économique important… Les tentatives de ces infractions sont punies comme les infractions elles-mêmes.

C'était un des aspects de la législation de la République révolutionnaire marxiste :

C'était beau, c'était bon, c'était généreux, la République !

II est regrettable que ce pan entier de notre législation ait été abrogé par la conférence nationale souveraine, laquelle, en s'autoproclamant souveraine, a procédé à un large rééquilibrage politique, en même temps qu'elle s'est arrogée l’entièreté des pouvoirs législatif et exécutif...

On voit là, Excellences, les limites de toute législation de circonstance, en tout régime... Puis la République a cheminé inexorablement vers les années 90. Le temps n'a point suspendu son vol, comme le réclamait Lamartine, dans un grand élan de romantisme.

Alors, ces années-là ont marqué la période dite de la renaissance démocratique, avec une constitution parlementaire, la constitution du 15 mars 1992, par laquelle le chef du gouvernement n'était pas le Président de la République...

Je me permets de dire que dans un système bantou, sous-développé en plus, c'est une grosse catastrophe que le chef ne soit pas le chef. Dans notre cas, même l'élite n'a plus compris le sens de la majorité parlementaire à l'Assemblée Nationale. Le Conseil d'État consulté, a dit que cette majorité s'exprimait à l'Assemblée Nationale pour soutenir l'action du gouvernement, et qu'elle était la moitié des députés plus un. C'est à ce moment-là que la République s'est brouillée au sein d'elle même, parce qu'elle n'a pas eu la même lecture des pièces et documents publics.

La plus haute juridiction nationale a été interpellée sur le sens de ses avis. En plus des violences verbales par médias interposés, il y a eu des morts et des blessés, des maisons incendiées, des exactions de toutes natures, la destruction du tissu social patiemment confectionné depuis l'aube des temps, le spectacle odieux de femmes violées, d'Hommes et d'enfants torturés ou mutilés, de tous autres biens détruits ou saccagés, etc., etc.

La Cour Suprême, au nom de l'indépendance de la justice, dans une République elle-même libre, usant des contrepoids nécessaires en démocratie, prenait une délibération le 09 septembre 1993, dans l’extrait significatif est le suivant :

« Sur les rapports de la Cour Suprême et de la justice nationale dans son ensemble avec les autres institutions établies par la constitution :

Attendu que les membres de la Cour Suprême observent que depuis un certain temps, l'action des juges, particulièrement celle des membres de la Cour Suprême, à l'occasion des procédures consultatives, donne lieu à des débordements, par le verbe et par l'écrit, qu'ils tiennent pour excessifs et même chargés de périls pour l'institution judiciaire ;

Qu'ils ont relevé, pour les désapprouver et les rejeter totalement, les allusions persistantes à l'affirmation de leur partialité prétendue ;

Que les avis légalement émis sont scientifiquement justifiés, en ce qu'ils puisent leur force dans les fondements du droit positif congolais ;

Qu'ils ne suggèrent, dans leur énoncé, aucune incitation prédisposant à la violence ;

Qu'aucune de leurs interprétations, même abusives, par tous partisans ou fanatiques des divers camps, ne peut justifier ni la destruction du tissu social patiemment confectionné depuis 1'aube des temps, ni les exactions de toutes natures telles qu'elles ont été constatées, ni le spectacle de femmes violées, d'hommes et d'enfants torturés ou mutilés, de maisons incendiées et de tous autres biens détruits, ni la commission de tous autres délits et crimes capitaux, etc., etc.

En conséquence,

Chacun a le devoir de ne rien dire contre un juge qui a fait normalement son travail ; qu'il y va de l'intérêt de notre justice, et donc de notre société libre et démocratique, etc., etc.

Relève avec force que le juge, qui a dit le droit dans les circonstances de l'espèce, ne saurait voir sa responsabilité engagée dans les actes attentatoires aux libertés publiques constatés à l'occasion des récents événements.

Qu'aucune décision de justice, qu'aucun jugement ni arrêt, ni délibération, ni avis, ne saurait être pris pour prétexte par quiconque pour troubler l'ordre public...

Ainsi délibéré, etc., etc. »

Voilà...

Ce que tout le monde craignait malheureusement est arrivé : Ce sont les guerres successives, aussi fratricides que dévastatrices, dont les stigmates demeurent encore en nous...

Aujourd'hui, la République est debout, affirmant et exerçant son autorité partout, digne et solennelle, une et indivisible :

c'est beau, c'est bon, c'est généreux, la République !

Aujourd'hui, la fidélité d'un soldat se mêle à celle de son peuple, pour drainer ensemble, les tâches multiples de notre développement : C'est beau, c'est bon, c'est généreux, la République ! Aujourd'hui, nous demeurons fidèles à l'esprit de paix et d'harmonie qui marque une page du Congo, une page, qui semble arrachée aux temps héroïques, où la fidélité de nos soldats se confondait à celle des vivants et des morts, pour puiser leur force dans notre antique patriotisme.

Les morts ne sont pas morts, chez nous. Nos chants et nos danses ont célébré souvent, à l'occasion de ces décès, le triomphe et la vigueur de la vie. Au-delà de l'épreuve de la mort, la vie a toujours continué, splendide et inaltérable, épanouissante et orgueilleuse.

Nos cérémonies mortuaires ont signifié un solennel hommage aux disparus d'une part, et, de l'autre, ils ont préfiguré, par la mimique, les séquences d'expressions diverses, à travers la tristesse, le chagrin, et enfin la joie communicative, toutes choses qu'on prévoit pour eux dans l'autre vie.

Petit à petit, notre pensée s'est tournée de la nostalgie du passé vécu avec les défunts, vers l'avenir à partager avec eux dans la vie quotidienne. Du souvenir de nos morts à l'espérance de la vie future à vivre ensemble, en union constructive, le cheminement aura été douloureux, chargé de reliefs, mais combien consolant...

Ce sont là des valeurs génétiques propres à notre République :

C'est beau, c'est bon, c'est généreux, la République !

Aujourd'hui, tous ensemble, dans la communion des héros et des martyrs de notre pays, nous tous, nous prions, à genoux, pour qu'un autre malheur ne vienne pas s'ajouter aux nombreux malheurs précédents...

Puissions-nous, tous ensemble, au sein de notre République, retenir ce legs du passé, ce legs frémissant du passé, ce passé plein d'honneur et de gloire, ce passé des divers pays du Congo...

Plus tard, quand nous ne serons plus, plus tard, quand nous serons ensevelis dans la poussière des générations, n'oublions jamais, chers parents, tous membres de la République une et indivisible, que la postérité se lèvera, et elle se lèvera, comme toujours, pour juger, d'abord les Chefs ; ceux qui auront pris ou n'auront pas pris la décision, au temps des grands drames de la Nation ; ceux qui auront évité de remplir leurs obligations légales ; ceux qui n'auront pas exercé leurs pouvoirs régaliens ; ceux qui auront refusé de porter le drapeau...

Aujourd'hui, sous votre impulsion, Monsieur le Président de la République, nous sommes tous en marche serrée, pour qu'au bout de la nuit, s'éveille et se renouvelle en nous, cette énergie créatrice, qui nous aura permis de vaincre, de faire naître, de vivre, de survivre et d'espérer...

Je vous remercie...

Brazzaville, le 28 novembre 2010

Placide LENGA’’

Retranscription de Bertrand BOUKAKA/Les Échos du Congo-Brazzaville