Congo - Évocation : Marien Ngouabi et la marche du 27 juin 1966

Notre confrère Adiac a publié un texte qui nous paraît de haute portée historique. Aussi, le reprenons-nous. La cause du capitaine Ngouabi semblait perdue quand, le 27 juin, Brazzaville se transforma subitement en un théâtre d’événements civils et militaires qui eurent pour résultat d’annuler sa rétrogradation.

La diffusion à la radio toute l’après-midi du 26 juin de la sanction frappant le capitaine Marien Ngouabi fut une piètre performance de la communication gouvernementale. Elle voulait frapper les esprits par la terreur et montrer à tous ceux qui tenteraient de défier l’autorité présidentielle qu’à Sparte on ne badinait pas en matière de discipline. Ce fut l’effet inverse qui se produisit ! À l’époque, le grade de capitaine pouvait être assimilé actuellement à celui de colonel. Casser un officier ayant atteint ce sommet devait être justifié par un tort indiscutable parce qu’inqualifiable. Ce qui, en l'occurrence, dans le cas d’espèce, n’était pas du tout évident aux yeux de la population.

Le décret lu plusieurs fois à la radio avait soulevé une grande émotion dans la population tant la disproportion entre la faute et la sanction semblait sans mesure. On s’indigna profondément dans les quartiers populaires de Brazzaville. Dans l’air du temps, on promit sans atermoiement d’aller le faire savoir à Massamba-Débat devant son Palais, même s’il était absent du pays !

Toujours dans l’après-midi du 26 juin, Marien Ngouabi trouva un soutien inespéré. Céline Yandza ayant appris par la bouche du concerné lui-même autour de quoi tournait l’affaire se braqua immédiatement. Présidente de l’Union révolutionnaire des femmes du Congo, un des organes du pouvoir, l’injustice subie par l’officier Ngouabi semblait si flagrante à ce cœur de femme qu’elle décida de prendre les choses en main. Jeune femme d’une beauté remarquable, pimpante et pleine d’avenir, Céline Yandza joua un rôle de premier plan dans la marche du 27 juin. « Nous voulons la paix, plus de sang au Congo » fut le slogan crié par les femmes.

La marche partit du rond-point Poto-Poto en direction du Palais présidentiel dans le quartier du Plateau en passant par le centre-ville. La progression des marcheurs fut stoppée à la hauteur de l’actuel ex-Trésor par un cordon des miliciens de la Défense civile. Frustrés et furieux, les marcheurs se vengèrent aussitôt en saccageant et en incendiant les locaux du Bureau politique du Mouvement national de la révolution (MNR), situés en arrière de l’actuel bâtiment de passation des Marchés publics. Ambroise Noumazalay, Aubert Lounda, Maurice Ognami et d’autres membres du Bureau politique se refugièrent au stade de la Révolution où un bataillon de la Défense civile siégeait à côté de la piscine olympique.

La fébrilité des civils avait atteint les casernes où, dans les différents corps, la situation était explosive. Au bataillon des Paras, en particulier, le chef d’état-major de l’armée, le commandant David Mountsaka, fut molesté et séquestré. Michel Mbindi, commissaire général de police et homme de main du président Massamba-Débat, fut fait prisonnier par les gendarmes. Cependant, aucun chef militaire ne prit l’initiative d’aller plus loin, c’est-à-dire de renverser le gouvernement.

Dans la soirée, la Défense civile et la police, le bras armé du pouvoir, se déployèrent dans la ville où trois cent et une personnes furent capturées. Céline Yandza née Eckomband figurait dans cette cohorte, unique femme prisonnière. Son mari, Gérard, subissait les mêmes représailles mais fut élargi peu après. Le couple ne résista pas à cette épreuve. Céline fut libérée le 2 août 1968 au moment de la chute de Massamba-Débat.

Dans son journal « Dipanda » de juin 1967, Ndalla Graille, idéologue du régime, écrivait : « Certains militaires ont voulu abuser les soldats et les entraîner à renverser la Révolution et ses acquis. (…) ; La jeunesse congolaise obéissant strictement aux ordres du grand MNR a (…) fait échec aux tentatives insensées des militaires aux grands sabots mais aux petits cerveaux ».

Quasiment une année après cette diatribe, l’idéologue Ndalla, son ami Noumazalay et la Défense civile étaient passés corps et biens du côté des militaires aux gros sabots mais aux petits cerveaux. Le 1er août 1968, celui pour qui les marcheurs du 27 juin 1966 étaient allés réclamer la réhabilitation du galon avait dépassé l’étroitesse des honneurs de l’épaulette pour lever un toast sur les honneurs des allées du pouvoir.

La Rédaction/Source Adiac