La gifle de Will Smith à Chris Rock (Par Michel Mboungou-Kiongo)

En analysant cet événement, Chris Rock et Will Smith, sont tous les deux, victimes et responsables de violence structurelle suscitée par le système socioculturel et politique de l'Homme blanc.

D'un côté, l'artiste-humoriste a utilisé la violence verbale, en empruntant le vecteur de l'humour. C'est, ici, l'occasion de pointer le système social ségrégationniste américain dans lequel il est né. Mais aussi, dans quel type de famille a-t-il grandi. N'a-t-il pas été le type d'enfant battu, maltraité qui, en se frayant un chemin dans les arts du spectacle, notamment la comédie et l'humour, trouverait là, la soupape de sécurité qui lui permettrait de prendre sa revanche sur cette société l'ayant ostracisé et mis la tête sous l'eau ?

C'est ici, l'occasion de mettre le curseur sur la différence qu'il y aurait entre l'humour et la raillerie. Le premier, par définition, porte un regard [de] critique sur ses propres travers et faiblesses (ceux de l'humoriste). Le second, en revanche, pointe un œil critique et blessant sur les travers et les faiblesses des autres (les tierces personnes). Les fans de l'humour ont certainement apprécié la position de Chris Rock, selon le "sacro-saint" principe de la liberté d'expression ; d'après lequel l'art peut se moquer de tout, même de la souffrance humaine. Mais, Chris Rock pouvait-il avoir cette liberté de ton, ce débordement de raillerie, si Jada Pinkett Smith était une Blanche et épouse d'un Blanc ? Cette éventualité aurait été un observatoire intéressant de voir la réaction des Blancs dans la salle. Malheureusement, Chris Rock et Will Smith, ont donné au monde le sempiternel cliché des Noirs qui "s'étripent" entre eux en se donnant en spectacle puéril à la face du monde.

De l'autre côté, l'artiste-acteur et comédien a fait usage de violence physique, en utilisant sa force physique comme véhicule de l'expression de sa colère. Il serait judicieux de connaître, la aussi, quel a été le parcours familial et socioculturel de Will Smith. N'a-t-il pas vécu et accumulé les frustrations occasionnées par l'Amérique blanche, qui constituent le lot de la jeunesse noire américaine ?

Il y a eu, sans aucun doute, des tenants de cette tendance musculaire, qui ont considéré la réaction de Will Smith comme légitime pour défendre sa femme, mais surtout pour défier cette oppression psychosociale de la prison de verre aux murs invisibles instituée par l'etablishment blanc sur les Noirs en Amérique du Nord et dans le reste du monde où le Noir(e) est ostracisé(e).

Cela dit, Will Smith pouvait-il gifler un Blanc, au cours de cette cérémonie des Oscars, si l'humoriste "irrévérencieux" avait été un Américain blanc ?Pourquoi, alors, cette promptitude à la violence à l'endroit de son congénère Chris Rock ?

En guise de synthèse, les deux protagonistes ont fait preuve de violence, à plus d'un titre, dans cette affaire. Mais ils ont fait amende honorable, en se demandant pardon, l'un et l'autre. Seulement, quelque chose paraît bancale dans cette façon de faire, après coup ! Pourquoi, ne pas anticiper ce que pourrait être les comportements des uns et des autres dans ce genre d'événements ? Les préparateurs ne manquent aux USA pour coacher un artiste à faire face à ce type d'imprévu. Ceci, serait autant valable pour Chris Rock que pour will Smith.

Quelles pourraient être les leçons à tirer ?

S'agissant des conséquences des deux attitudes, l'on peut relever que le comportement, non moins irresponsable, de Chris Rock, a infligé une triple souffrance à au moins trois catégories de personnes :

1- de la souffrance psychologique à Jada Pinkett Smith, l'épouse ;

2- de la peine morale à Will Smith, l'époux ;

3- du malaise mental à quelques milliers de spectateurs présents dans la salle des Oscars et, probablement, à de millions de téléspectateurs qui ont regardé cette cérémonie à travers la télévision le monde; et dont certains se sont, à coup sûr, identifiés à Jada Pinkett Smith, en écoutant les moqueries qui pleuvaient sur la tête de cette femme souffrant d'alopécie.

L'autre versant de la violence, c'est bien entendu la gifle flanquée par Will Smith à Chris Rock. Ce geste, qui relève de la violence physique, a amené l'acteur a utilisé son grand et puissant physique comme "véhicule" de transport de sa colère.

Les adeptes de la non violence physique, se plairaient bien au rappel du dicton qui dit que la colère est une courte folie ! Sur cette scène, Will Smith n'a pas fait preuve de sang froid. Il n'a pas été maître de son émotion ; et celle-ci a débordé sa raison.

Or, le contexte des retrouvailles était bien défini, et le décor avait donc été planté: il s'agissait d'une cérémonie des arts, mais pas un ring de boxe. Ainsi donc, la gifle de Will Smith, qui est devenu un événement dans l'événement, devrait permettre de réfléchir davantage sur la double problématique que ça soulève :

1- Est-ce que le du Noir est l'ennemi du Noir ?

2- Quels sont les mécanismes de fonctionnement d'un humain lorsqu'il (ou elle) se retrouve, tout à la fois, être un personnage de l'univers artistique et une personne de la vie réelle ?

En conclusion !

En parlant du caractère du Noir vis-à-vis d'un autre Noir, que l'un ou l'autre soit puissant ou non, le débat de fond peut se formuler en : Comment un Noir, traite-t-il un Noir ?

C'est toute la problématique de la psychologie du Noir. Malheureusement, il y a une évidence qui semble invariable au caractère du Noir(e): son émotion semble, constamment, déborder sa raison.

Léopold Sedar Senghor, avait déjà épinglé cet état d'esprit et ce niveau de conscience dans sa grande production intellectuelle, lorsqu'il écrit que "l'émotion est Nègre, et la raison Hellène".

Cependant, le professeur Cheick Anta Diop, a refusé et réfuté le concept de Léopold Sedar Senghor ("l'émotion est Nègre"). Car Cheick Anta Diop a passé sa vie intellectuelle à prouver que le Nègre a fait preuve de raison dans sa marche dans l'histoire.

En m'intéressant à l'histoire, et surtout à celle de l'antiquité africaine, j'ai toujours pensé, et je travaille là-dessus pour démontrer, que le Nègre, tout comme le Blanc, est un humain fait d'émotion et de raison.

Comme le nez au milieu d'un visage, est-ce que l'impulsivité dont fait preuve le Noir(e) à l'endroit de son frère et de sa sœur, serait-elle à chercher du côté de sa psychologie ?

Cette violence aveugle ne serait-elle pas favorisée par les profondes blessures marbrées dans sa chair et dans son âme tout le long d'une histoire faite de nombreux traumatismes occasionnés par les longues périodes d'esclavage (Arabo-musulmen, européen), la colonisation, l'apartheid, la ségrégation, le racisme, etc. ?

Le Noir(e) n'est-il pas, sous tension permanente, en se campant dans une posture psychologique défensive pour se protéger contre tous les dangers précédemment mentionnés ?

Je pense qu'il y a lieu, pour bon nombre de Noirs (es) de se pencher sur l'œuvre du psychiatre et écrivain martiniquais Frantz Fanon qui a analysé les mécanismes comportementaux du colonisé africain - et par filiation historique du caraïbeen; tout en prolongeant notre propre réflexion sur la problématique de l'Homme Noir.

Michel Mboungou-Kiongo ancien DG de Télé Congo (1994-1997)