La chronique du saltimbanque : « la protocolaire »

La chronique du saltimbanque : « la protocolaire »

Amis de la chronique du saltimbanque salut !

« Plaisir d'amour dure un moment. Chagrin d'amour dure toute la vie. »

Samedi dernier, c'est tout penaud que je suis rentré de chez Josiane, l'épouse de mon ami Antoine, ou tout au moins ce qu'il en reste.

Chez Josiane dis-je, car il y a bien longtemps que mon ami Antoine ne créchait plus au domicile conjugal. Ça remontait à huit mois déjà, depuis ce temps où la vie lui avait enfin sourit, après une rude traversée du désert. Cette odyssée, c'est en couple qu'ils l'avaient pourtant vécue. Mais, ça c'était avant. Entre temps, tout avait changé.

Maintes fois, Josiane avait attiré mon attention sur le comportement de mon ami Antoine. Hélas, même mes conseils n'y avaient été d'aucun effet sur la vie de Sardanapale qui rythmait désormais son quotidien.

Un jour, alors que j'insistais à lui faire entendre raison, mon ami Antoine me dît qu'il était désolé. Que je ne pouvais pas comprendre ses pratiques parce que désormais nous n'appartenions plus au même monde et que nos réalités étaient bien différentes. « Tu dois le comprendre une fois pour toute mon cher, si tu tiens à ce que nous restions amis. Seuls les oiseaux de même plumage volent ensemble. Ce n'est pas parce que Josiane a recours à toi que je vais me plier à sa volonté. » 

 

Mon ami Antoine avait osé m'éconduire ainsi. Moi, son plus que frère. Depuis, je m'étais quasiment écarté de tout ce qui touchait à la vie de mon ami Antoine. N'avait-il pas dit que nous n’avions pas le même plumage ? Désormais, c'est à travers le petit écran que j'avais de ses nouvelles.

Il passait beaucoup à la télévision, mon ami Antoine. Il en était carrément devenu une vedette. Il meublait le journal télévisé par les nombreuses activités qu'il patronnait.

Josiane m'avait donc invité à leur domicile. Je m'y rendais un peu contraint et forcé. Josiane voulait me voir avant de prendre la décision qui trottait en elle.

« Je ne t'apprends rien sur ce qu'est devenue ma vie de couple avec Antoine. »

Je savais tout de l'histoire. Pourtant, Josiane me la rappela quand même.

« Après ses études et malgré les diplômes qu'il avait amassés, Antoine ne trouvait pas d'emploi. Il arpentait les bureaux à déposer les demandes d'emploi. Partout on lui répondait : « on vous recontactera ». Jamais, il ne fut contacté.

Avec mon salaire de caissière, j'assurais toutes les charges du foyer. Je ne m'en plaignais pas. Quand nous nous fûmes engagés devant le maire et l'église « pour le meilleur et pour le pire », je savais que la situation d'Antoine était précaire et je priais Dieu pour qu'elle change un jour.

Antoine recherchait un emploi de cadre. Pourtant, faute de moyens, il était toujours vêtu comme un godillot. Son attrait physique ne cadrait pas d'avec le profil de l'emploi recherché. Sans lui dire quoi que ce soit, j’entrepris de verser des arrhes pour l'achat d'un costume de belle facture afin que pour Antoine, l'habit fît le moine. Je ne dis pas que ceci induisit cela. Quoi qu'il en soit, toutes les démarches qu'entreprît Antoine ainsi vêtu furent fructueuses. Il dû choisir le poste qui seyait le mieux au plan de carrière auquel il rêvait et qui eût pu nous sortir de la situation qui était la nôtre.

Antoine avait trouvé un emploi de rêve. À peine arrivé dans la fonction, fort de ses références, il avait été nommé chef de projet aux zones économiques spéciales. Je ne pouvais espérer mieux et je bénissais Dieu pour avoir exaucées mes prières.

L'ascension professionnelle d'Antoine a été pour moi un véritable chemin de croix. Quelques mois après sa prise de fonction, Antoine commença à rentrer de plus en plus tard à la maison. Il se justifiait d'un volume de travail tel qu'il lui valait à contrecœur, rogner sur le temps dévolu à la famille.

La situation évolua ainsi, jusqu'au jour où Antoine ne rentra pas de la nuit. Le lendemain, il argua qu'une séance de travail qui avait tiré en longueur, avait obligé le staff à prendre chambres dans un hôtel. De toutes les façons, me dit-il, « avec la fonction que j'occupe, je ne m'appartiens plus, ni à ma famille. J'appartiens à l'Etat que je sers avec abnégation. »

Antoine, lui naguère si soucieux des enfants et de leur travail scolaire s'en détourna carrément.

Antoine, mon Antoine m'échappait au jour le jour, jusqu'au jour où il m'avoua, comme pour me narguer, qu'il avait une maîtresse « plus protocolaire » que moi. Aurore qu'elle s'appelait. C'est avec elle qu'il s'affichait désormais. Avant, avec moi, il existait simplement. Désormais, aux côtés de la protocolaire, il vivait. Il était libre d'user de son argent comme il l'entendait. Et si d'ailleurs, je le trouvais redevable pour ce que j'avais fait pour lui, il me revenait de lui présenter la facture pour services rendus afin qu'il s'en acquitte.

Huit mois que je vivais en ascète. Les quelques rares fois qu'il dormait à la maison, Antoine n'osait pas me toucher. Huit mois que je refrène mes ardeurs de femmes, au point que mon corps et mon cerveau s'y sont accommodés. Huit mois que je ressasse des souvenirs hélas enfuis. Oui, depuis huit mois, l'amour s'en est allé.

Antoine avait soutenu le vice au point de l'entretenir au-delà de ses capacités financières réelles. Une ''protocolaire'', ça a ses exigences. Son standing à maintenir. Antoine dû piocher dans la caisse. Celle de l'Etat.

Les chapardages répétés pour assurer le rythme d'entretien de sa protocolaire finirent par creuser un trou si grand que désormais, ce trou était difficile à dissimuler.

L'inspection d'Etat s'est saisie de la question. En attendant la procédure judiciaire, Antoine a été suspendu de ses fonctions. Tous les véhicules ont été saisis.

Antoine, dis-je. Comme Icare, il a voulu voler bien haut, préjugeant de ses capacités. Il s'est brûlé les ailes.

Josiane, l'épouse de mon ami Antoine ou tout au moins ce qu'il en restait rectifia. « Qu'il se fût simplement brûlé les ailes passerait. Le pire, c'est ce qui va suivre ».

Il y a trois mois, notre médecin de famille m'a appelé. Après des consultations d'Antoine pour lesquelles il avait des doutes, il me prescrivit des examens sanguins aux fins de vérifier ma sérologie. Après trois examens espacés d'un mois chacun, aboutissant au même résultat, il a dû m'avouer qu'il ne comprenait pas comment ma sérologie était négative alors que mon mari était séropositif. Je me suis vue obligée de lui avouer que depuis huit mois, Antoine et moi n'étions conjoints que de nom, pour sauver les apparences.

Tu comprends qu'Antoine s'est brûlé dans l'immensité de la clarté de son aurore. Oui, son Aurore était atteinte de cette affaire-là. En plus de le ruiner, elle l'a contaminé.

Hier, Antoine est revenu à la maison comme l'enfant prodige. Redevenu sans le sou, son Aurore l'a éconduit. Antoine m'a dit l’immensité du chagrin qui l'habite. Sa quête d'une vie aux plaisirs exquis et plus raffinés l'aura carrément desservie.

Hier soir, Antoine a couché dans le garage. J'y avais entreposés ses quelques vêtements qui traînaient encore dans la chambre. Pourtant, je n'ai pas fermé l’œil de la nuit, à l'idée de le savoir malade et d'avoir dormi sous le froid. Moi qui pensais à divorcer, je me demande si c'est vraiment le moment de quitter Antoine. En ces moments de pire cauchemar pour lui.

Oui Antoine, dis-je. Pourquoi ?

« Plaisir d'amour dure un moment. Chagrin d'amour dure toute la vie. » Que ceux qui ont des oreilles entendent.

Pourvu que ceux qui entendent comprennent.

À bon entendeur, salut !

Benoit BIKINDOU