Congo – Mars 1977 : Émile Biayenda et Marien Ngouabi, ultimes destins croisés pour la paix et l'amour du Congo

Le 22 mars 1977, alors que la douleur et l'émotion causées par la mort du président Marien Ngouabi ne sont pas encore retombées, les congolais apprennent l'assassinat du cardinal Émile Biayenda. 40 ans après, l'histoire retient le sens du sacrifice de deux hommes morts pour le Congo.

" Être absent de Brazzaville serait une horrible catastrophe pour l’Église du Congo. J’y suis, j’y reste. Je préfère donner ma vie comme le Christ, pour sauver mon clergé et mon Église, que d’aller me cacher, je ne sais où. Il faut un ou plusieurs sacrifiés pour la paix de la nation. Prions beaucoup Marie, Mère de miséricorde, pour obtenir la paix et l’unité nationale, notre pays lui a été confié ".

Ces propos du cardinal Émile Biayenda qui, Informé que des personnes voulaient attenter à sa vie, refusa les propositions de la délégation du Conseil Paroissial venue droit de Moungali et de nombreuses personnes de quitter le diocèse pour sauver sa peau, sont une preuve de courage face à la mort qui le guettait.

Émile Biayenda avait fait en toute innocence, comme Christ, le choix du « sacrifice expiatoire ».

À l'instar du cardinal, le président Marien Ngouabi avait, presque dans les mêmes termes, évoqué la perspective de sa mort, le 13 mars 1977, lors du discours marquant la célébration de l'anniversaire de l’union révolutionnaire des femmes du Congo (URFC), place de l'hôtel de ville de Brazzaville.  

« Lorsque ton pays est sale et manque de paix durable, tu ne peux lui rendre sa propreté et son unité qu’en le lavant avec ton sang».

À la mort du président Marien Ngouabi, les tensions sont telles que beaucoup redoutent une explosion de cette société congolaise fragilisée par les querelles tribales.

Épris de justice et de paix, voyant les Congolais en émoi et Brazzaville au bord de la guerre civile, le Cardinal Emile Biayenda, au nom de ses pairs du Conseil œcuménique des églises chrétiennes du Congo lança le mémorable appel pathétique pour exhorter tout le peuple congolais à la paix en ces termes :

 « À tous nos frères croyants, du nord, du centre et du sud, en mémoire du président Marien Ngouabi, nous demandons beaucoup de calme, de fraternité et de confiance en Dieu, Père de toutes races et de toutes tribus, afin qu’aucun geste déraisonnable ne puisse compromettre un climat de paix que nous souhaitons tous".

Marien Ngouabi président marxiste et Émile Biayenda, homme d'église avaient en partage l'amour du Congo. Leurs points de vue convergeaient et en dépit de la ligne du parti, le président Marien Ngouabi renoua les relations avec le Vatican, rompues plusieurs années auparavant.

"L’église a pour raison d’être, de promouvoir la paix, l’unité, la fraternité. Elle s’est toujours considérée comme le début d’un monde unifié, d’une humanité fraternelle, en proposant à tous les hommes le motif essentiel de notre union en unité, à savoir que tous, croyants et incroyants, tous les hommes de toutes races, langues et nationalités, nous sommes frères, tous, nous n’avons qu’un Père, Dieu. Et, c’est dans la mesure où l’Église aura les mains libres pour annoncer cette bonne nouvelle à qui veut l’entendre que notre Église contribuera encore à l’unité des congolais "  soutenait le cardinal auprès de son ami de président.

Amis, les deux hommes l'étaient devenus et le président Marien Ngouabi envisageait déjà de rendre à l'Église tous ses biens confisqués par la révolution.

Comme Marien Ngouabi, le cardinal Émile Biayenda était mort en martyr.

Le jour de ses obsèques, comme pour Marien Ngouabi, le tout Brazzaville avait convergé vers la cathédrale du Sacré-cœur, pour l'adieu à l'enfant du pays.

Le Congo tout entier porta et porte encore le deuil de son pasteur, le seul cardinal du pays à ce jour.

Bertrand BOUKAKA