Congo – Message sur l’état de la Nation : Que fait-on après les applaudissements ?

Dans quelques jours, le Congo va célébrer les 60 ans de son indépendance, le 15 août prochain. Si les festivités seront d’un format à minima, covid-19 oblige, il n’en demeure pas moins que le président de la République livrera au peuple son message sur l’état de la Nation, devant le parlement réuni en congrès.

Outre les parlementaires, assurés de fait d’être dans la salle, les corps constitués, surtout nationaux s’activent déjà pour compter au nombre des personnalités qui le jour venu, franchiront les portes du Palais des congrès, pour suivre le message du chef de l’État.

Tous, responsables des institutions ou responsables administratifs, civils et militaires, personnalités de la société civile, voire leaders politiques, ne manqueront pas de ponctuer d’applaudissements, de nombreux passages du message de Denis Sassou N’Guesso, comme pour marquer leur adhésion aux propos tenus par le président de la République.

Applaudissements mécaniques suscités par un simple effet d’entrainement, confortant la théorie des apparences ou réelle adhésion à un message qui dégage les lignes directrices des actions à mener dans toutes les sphères de la vie nationale, il y a à dire que Denis Sassou N’Guesso s’est de tout temps fait flouer, par ceux-là même, qui se perdent en applaudissements, nourris et prolongés.

Le simple constat de journaliste dégage l’évidence même de ce qu’au sortir de la salle, presque plus personne ne pense aux orientations du chef de l’État. Car, qu’il s’agisse des responsables des institutions ou responsables administratifs, civils et militaires, personnalités de la société civile, voire leaders politiques, personne ne saurait produire auprès du chef de l’État, un bilan spécifié, avec un pourcentage de réalisations édictées par le message du président de la République. Pourtant au sortir de la salle, dans les médias, tous s’accordent à reconnaitre que ces messages sont de tout temps marqués par des orientations-programmes qui ciblent les différentes sphères de la vie nationale.

À défaut d’entrer dans les détails des mesures, ciblons-en une, devenue symbole de changement : la lutte contre les antivaleurs.

Le jour de son évocation, cette mesure avait valu à Denis Sassou N’Guesso, ‘’des applaudissements, nourris et prolongés’’. L’assistance euphorique et toute acquise, s’était même mise debout pour applaudir, au point que le président fut obligé de se reprendre, pour terminer sa phrase.

On se serait cru au temps de ces congrès du PCT, de l’ère monopartiste, à la seule différence qu’en ces temps là, outre la Force publique, chacune des organisations de masse devait ‘’traduire dans les faits, les orientations du président de la République et en dresser bilan de l’exécution, avant la prochaine échéance où l’on recevrait d’autres orientations.

Peut-être doit-on convenir, qu'"autre temps, autre mœurs’’. Bien sûr car sous le monopartisme, les responsables d’organisation à différents niveaux étaient on ne peut plus sincères dans leurs applaudissements engagés, car l’évaluation accompagnait l’exécution des différentes tâches accomplies et le contrôle était permanent.

Lutte contre les antivaleurs, avons-nous dit. Quelle institution peut-elle en dresser son rapport interne, dans le processus d’exécution de cette ‘’directive’’ présidentielle, que l’on avait applaudie en son temps.

Sans faire dans la délation, qu’il s’agisse de l’Assemblée nationale ou du Sénat, aucune de ces institutions ne peut évoquer un début d’ouverture d’enquête parlementaire pour des faits se rapportant à des antivaleurs, afin, le cas échéant, d’en saisir la Justice.

À propos de la Justice justement, combien d’auto saisine, les différents procureurs à travers la République, peuvent-ils brandir, montrant qu’ils ont pris le problème à bras-le-corps. Crimes économiques, atteintes aux libertés individuelles, aliénation du patrimoine public etc. Les domaines d’investigation ne manquent pas, surtout quand par sa clameur, la population crie son exaspération. Même quand certains services d’Investigations ont mené des enquêtes devant déboucher sur des interpellations par le corps judiciaire, celles-ci restent, sauf deux rares exceptions à minima, presque classées sans suite. Hélas…

Quant à la Force publique, c’est dire si son lien avec le peuple s’est renforcé ou distendu. De partout, montent les cris des populations qui subissent les méfaits des agents ripoux, qui salissent l’uniforme dont la grandeur se lit à travers le sens du devoir vis-à-vis du peuple. Tout est prétexte pour extorquer, rançonner, brutaliser, au mépris des textes réglementaires. Chez eux, l’uniforme est devenu un passe-droit et l’arme un instrument de coercition.

Que dire des Formations politiques. Depuis que leur existence se résume en la seule conquête ou la conservation du pouvoir ou encore en la quête  des postes électifs, la formation civique et citoyenne des militants a disparu des programmes d’activité, reléguant ce chapitre à l’État qui lui non plus, se défausse sur la famille, encore que…

Quelle Formation politique a-t-elle, depuis, prononcé des sanctions, vis-à-vis des militants ou autres responsables, pour des motifs autres que politiques ? 

Chez de nombreux responsables administratifs à tous les niveaux, qui souvent se battent ''bec et ongles'' auprès du protocole d'État, pour obtenir le carton d'invitation, et applaudir le président, assis dans la salle, on est pas loin des figurants qui s'en retournent à leurs occupations premières, une fois les scènes de tournage terminées. L'avant message ressemble à s'y méprendre à l'après message. Alors, entre les syndicalistes qui auront entre autres documents de travail, le discours du président et un directeur qui leur répond "ce n'est pas vous qui m'avez nommé ici", la guerre est ouverte, avec parfois une paralysie de la structure.

Même dans la sphère religieuse, malgré la multiplicité des églises au mètre carré, avec parfois des statuts flous, les mœurs se sont dangereusement dépréciées chez les fidèles, alors qu’au moins six citoyens sur dix sont adeptes d’un groupe spirituel ou religieux quelconque.

Quand il professe la morale du bout des lèvres, le pasteur insiste sur d’illusoires miracles et surtout la dime et les offrandes, une manne non déclarée et dont la gestion est des plus opaques. Qu’importe si les donateurs sont ‘’Ananias ou Saphira’’.

Qualifiée de quatrième pouvoir, la Presse non plus, n’est pas exempte de tout reproche. Après les commentaires et les analyses du message du chef de l’État, ne devrait-elle pas en mesurer la pérennité dans les actes, au besoin, en interpelant les différents acteurs ? C’est elle qui devrait appuyer ou désamorcer la clameur publique, voire faire déclencher des actions correctives ou de justice, dans cette lutte contre les antivaleurs, avec des analyses, des enquêtes ou autres débats menés sans fioriture, mais avec la simplicité des faits. Pourtant, cette presse semble dans l’expectative, en s’interdisant, par autocensure ou crainte de représailles, l’investigation journalistique sur des sujets désormais marqués du sceau « sensibles », alors que leur mise à nu et surtout, leur présentation au grand public, en démêlant le vrai du faux, pourrait faire bouger les lignes…

Dans quelques jours, les responsables des institutions ou responsables administratifs, civils et militaires, personnalités de la société civile, voire leaders politiques, applaudiront le message de chef de l’État. Sera-ce pour flouer une fois de plus Denis Sassou N’Guesso ?

Jugement aux résultats, à travers les mesures qui résulteront de l’après message du président de la République.

Comme le disait le journal Mwéti en son époque, nos yeux sont grands ouverts.

J’ai vu !

Bertrand BOUKAKA/Les Échos du Congo-Brazzaville