Emmanuel Macron : «Si je suis élu, je défendrai le respect des principes démocratiques fondamentaux partout en Afrique »

Si l’Afrique est « le continent de l’avenir » pour Emmanuel Macron, sans doute le candidat le plus consensuel, ce dernier a pris l’engagement, dans une interview accordée à nos collègues de Jeune Afrique, de défendre le respect des principes démocratiques fondamentaux partout en Afrique.

Sur le plan des relations internationales, et en particulier vis-à-vis de l’Afrique, qu’est ce qui changerait avec vous ?

Dans la politique étrangère que je conduirai, je veillerai à défendre partout les intérêts stratégiques de la France, et en priorité la sécurité des Français.

A cet égard, en Afrique, je mènerai une action déterminée, avec nos partenaires africains et internationaux, contre le terrorisme et les trafics qui menacent la stabilité de plusieurs pays.

Mais je souhaite aussi que la France, l’Europe et l’Afrique saisissent ensemble les opportunités de ce continent d’avenir. Nous devons refonder notre relation avec l’Afrique pour créer un nouveau partenariat équilibré, de confiance et de croissance.

Le doublement de la population africaine et l’émergence de plusieurs pays africains dans les 30 prochaines années pourrait en effet s’apparenter à celle des dragons asiatiques au 20e siècle.

Mais pour surmonter les éléments de fragilité du développement africain – sécurité, jeunesse peu formée, inégalités, dégradation des sols et réchauffement climatique – nous devons mettre en place un partenariat stratégique entre les Unions (européenne et africaine), qui renouvelle complètement les politiques existantes, pour sortir des logiques de charité ou de clientélisme, et bâtir une relation politique et économique véritablement partenariale.

C’est ainsi que l’Europe et l’Afrique pourront prospérer ensemble, défendre leurs intérêts mutuels et peser sur l’avenir de notre monde, aux côtés des États-Unis, de la Chine et d’autres puissances émergentes.

Dès les premières semaines de mon mandat, j’engagerai une nouvelle politique en direction du continent africain, fondée sur la liberté et la responsabilité, avec des priorités claires : la sécurité, la lutte contre le changement climatique, les droits des femmes, l’éducation et la formation, les infrastructures, notamment pour l’accès à l’énergie et à l’eau, et le développement du secteur privé, notamment des PME africaines qui sont créatrices d’emploi.

Dès le G20 de juillet prochain en Allemagne, je mobiliserai les institutions et nos partenaires internationaux pour faire du développement durable des États et des économies africaines une priorité majeure de l’agenda international.

Quels sont les pays africains que vous connaissez le mieux ?

J’ai vécu plusieurs mois au Nigeria, ce qui m’a permis de découvrir le pays d’Afrique le plus peuplé du continent et l’une des premières économies africaines, qui fait jeu égal avec l’Afrique du Sud. Cela m’a donné une bonne compréhension des défis auxquels sont confrontés les États africains, et des opportunités d’avenir qu’ils recèlent.

J’ai par ailleurs rencontré de nombreux chefs d’entreprise et responsables politiques africains dans le cadre de mes fonctions de ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, ainsi que les actuels présidents du Nigeria, de l’Afrique du Sud, de la Côte d’Ivoire et du Sénégal.

Les relations entre chefs d’État sont importantes pour les défis que nous avons à relever ensemble, et je serais heureux d’aller à la rencontre de mes homologues africains rapidement après mon élection.

Mais les liens entre l’Afrique et la France dépassent le seul cadre des relations d’État à État. Environ 10% de la population française a des origines africaines et 300 000 ressortissants français résident en Afrique. Ces liens humains sont un atout pour la France. C’est pourquoi je veux approfondir nos relations au niveau des acteurs de la société civile et des acteurs économiques. C’est vital pour aussi en terminer avec certains réseaux de connivence qui n’ont plus lieu d’être.

Si vous deviez résumer la future politique africaine de la France, relativement absente des débats lors de la campagne, sur quels principes s’appuierait-elle ?

Je veux écrire une nouvelle page dans notre relation avec l’Afrique et pour cela conduire un véritable aggiornamento de notre politique en direction du continent, pour répondre à sa vitalité et contribuer à libérer son potentiel.

C’est pourquoi, je lancerai une initiative ambitieuse entre la France, l’Europe, le sud de la Méditerranée et l’Afrique, les routes de la liberté et de la responsabilité, pour renforcer nos intérêts mutuels, dans tous les domaines – sécurité, climat, commerce, emploi, innovation.

Dans le cadre de ce partenariat pour l’avenir, j’apporterai plusieurs inflexions à notre politique africaine.

Tout d’abord, je tiens à agir dans la transparence, loin des réseaux de connivence franco-africains et des influences affairistes dont on a vu que, malheureusement, ils subsistent encore dans le système politique français, en particulier à droite et à l’extrême-droite.

Dans cet esprit, je veux m’appuyer sur les forces vives africaines et françaises : les intellectuels, les ONG, les entreprises françaises et africaines, la diaspora française en Afrique et africaine en France.

Je veux aussi que la France accorde plus d’attention et de place à la jeunesse africaine, qui est dynamique et créative, et au développement du secteur privé. Un des grands défis pour nous tous, c’est de créer en Afrique des emplois pour la jeunesse africaine. Il faudra pour cela que chacun prenne sa part, l’aide internationale, les gouvernements nationaux et les investisseurs privés, nationaux et internationaux, pour financer les infrastructures productives (électricité, eau, communications) et les entreprises, notamment les PME.

Enfin, je veux encourager la francophonie, qui est un atout pour la France dans la mondialisation, et qui sera très africaine, puisque 75% des francophones dans le monde seront africains d’ici à 2040. Nous devons développer ensemble un espace économique et un fonds d’investissement francophones.

Dernier point : je suis conscient des soupçons d’ingérence que notre présence militaire peut susciter. Je veux souligner que ces forces jouent un rôle essentiel aujourd’hui dans la lutte contre le terrorisme et la prévention de crises, pour notre bénéfice collectif. Je souhaite qu’elles travaillent au renforcement des capacités sécuritaires africaines nationales et régionales.

L’aide publique doit-elle être conditionnée à des critères démocratiques ou de respect des droits de l’homme ?

Notre aide au développement n’est pas suffisante, particulièrement en Afrique. Nous devons l’augmenter pour atteindre, comme nos partenaires européens, l’engagement de 0,7% de la richesse nationale, entre 2017 et 2030, en fonction de nos marges budgétaires.

Cette aide au développement renforcée devra se concentrer sur l’Afrique et l’espace francophone, pour appuyer les priorités que j’ai déjà évoquées : lutte contre le dérèglement climatique, droits des femmes, éducation et formation, infrastructures, bonne gouvernance, développement du secteur privé et de l’emploi.

L’aide humanitaire et l’aide directe à des populations en situation difficile doivent évidemment être préservées, particulièrement dans les situations de crise, mais nous devons être prêts à reconsidérer notre soutien aux gouvernements qui bafouent les droits les plus fondamentaux.

Je compte proposer un programme de renforcement des capacités des sociétés civiles dans toutes leurs composantes : fondations locales, organisations de droits de l’Homme ou de protection de l’environnement, médias, partis politiques, syndicats.

Modification des Constitutions pour rester au pouvoir, élections tronquées, régimes autoritaires, justice partiale : quel doit être selon vous le rôle pour la France face à ces dérives ?

Les États africains ont adopté une Charte africaine pour la démocratie, les élections et la gouvernance, qui requiert le respect de principes démocratiques fondamentaux. Pouvons-nous nous-mêmes renier les principes que les États africains se sont eux-mêmes donnés ? A l’évidence, non. Si je suis élu, je défendrai le respect des principes démocratiques fondamentaux partout en Afrique, en lien avec l’Union Africaine et les organisations régionales qui ont un rôle majeur à jouer pour faire respecter ces principes de bonne gouvernance démocratique que les pays d’Afrique ont définis. Je salue d’ailleurs à ce titre le rôle très important joué par la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) dans la résolution de plusieurs conflits notamment au Burkina Faso ou plus récemment en Gambie.

Le Franc CFA, dont la persistance est l’objet d’un vif débat, a-t-il toujours un avenir ?

Je le crois, mais c’est un choix qui appartient d’abord aux Africains eux-mêmes. Je note qu’en général les gouvernements africains restent, avec raison, attachés aux deux espaces monétaires (Afrique centrale et Afrique de l’Ouest) qui constituent la zone du franc CFA et qui contribuent à la stabilité économique et à l’intégration régionale.

Immigration concertée, immigration choisie… Quelle est votre position sur cette question sensible ?

La France doit tenir ses engagements en matière d’accueil des réfugiés, tout en se montrant, dans des conditions toujours dignes, inflexible avec les personnes qui ne remplissent pas les conditions de séjour sur notre territoire.

Mais pour mieux gérer ces flux migratoires, il faut travailler en amont : contre les réseaux criminels des passeurs, dans les pays d’origine et de transit ; contre les causes des migrations, en aidant les pays d’origine des migrants à offrir à leurs habitants un avenir sur place Et je veux m’appuyer sur l’échelon européen, qui est le bon niveau pour agir fortement, en portant le corps européen de police des frontières à 5 000 agents, en renforçant la lutte contre les passeurs dans les pays de transit, et, en traitant, avec l’aide au développement européenne, les causes profondes de l’immigration. L’Europe pourra proposer aux pays africains des accords mutuellement bénéfiques, pour accompagner une politique migratoire maîtrisée et humaine.

Je veux par ailleurs attirer en France les meilleurs talents du monde entier (créateurs d’entreprises, investisseurs, chercheurs ou artistes), et développer les visas de circulation pour les professionnels (entreprises, scientifiques) qui contribuent à notre développement scientifique et économique partagé.

Source Jeune Afrique/ Germaine Mapanga