Interview exclusive Les Echos du Congo-Brazzaville : notre tête-à-tête avec Mama Colonel Julia la Fée

Son nom ne vous dit encore rien ? Ça ne va pas durer. Mama Colonel Julia la Fée. L'unique. Celle qui rend tout le monde hystérique. Celle qui affirme que sa voix est un don de Dieu et qui transforme en beau, en sincère et en or tout ce qu'elle touche, est une femme forte, fière et jamais fatiguée de prouver son intérêt pour la musique congolaise. La nouvelle devrait ravir ses très nombreux fans congolais et africains. Elle revient sous les feux des projecteurs avec son dernier single « ZAYI », qui séduit les critiques musicaux les plus pointus. Un single éclectique qui va être un gros tournant dans sa carrière musicale. En pleine promotion, l’artiste chanteuse, comédienne congolaise, a accepté notre invitation. Pas de tenue de gala, mais une djellaba brodée. Une larme a coulé au coin de notre œil.

Qui est Mama Colonel, votre parcours et comment expliquez-vous votre intérêt pour la musique ?

Je suis une artiste chanteuse, comédienne congolaise. Je chante depuis mon jeune âge. Comme la majorité de beaucoup de chanteurs, j'ai commencé à chanter à l'école pilote d’Ouest, ensuite à l'église.

En 1987, j'ai intégré l'orchestre Kamikaze de Youlou Mabiala où je suis restée un an. En 1988, j'ai intégré l'orchestre Télé Music et j’ai fait deux ans. En 1990, j'ai chanté avec l'orchestre Chic Sonore, et deux ans après, j'ai décidé de faire une carrière solo. En 1993, j'ai enregistré un titre « Publicité » avec Freddy Kebano comme arrangeur. C'est cette chanson qui m'a fait connaître du public congolais.

En 1995, je fais la rencontre D'Asie Dominique De Marseille, journaliste et animateur à Radio-Congo. Il me présente alors à sa collègue journaliste de l’OZRT aujourd'hui RTNC. Je voyage pour la première fois à Kinshasa et cette dernière me présente à Bozi Boziana. Benz Bozi Boziana me propose de chanter avec son orchestre juste en collaboration pour me faire connaître du public kinois. J’ai donc fait des concerts et une tournée avec son groupe Anti choc.

Après j'ai fait la rencontre de mon manager Serge Kayembé. J’ai décidé donc de m’installer à Kinshasa où ma carrière musicale a pris son envol. J’ai fait des podiums avec plusieurs artistes de la RDC : Gatho Beevens, Mbilia Bel qui est d’ailleurs ma marraine, JB Mpiana, Werason, Pépé Kallé, Defao, Koffi Olomidé, Sam Mangwana, Dindo Yogo, Ok Jazz, Afia Mala, la chanteuse togolaise…

J'ai fait des voyages, dans le cadre de la musique, en France, Hollande, Autriche, Gabon, RCA, Burkina Faso, Lomé, Abidjan…

Quand vous êtes-vous sentie assez confiante pour prendre totalement les rênes de votre parcours en tant qu’artiste chanteuse ?

Avec le temps, je comprends de mieux en mieux ce que je vaux. Je me suis rendu compte que je devais prendre le contrôle total de mon travail et de mon héritage, parce que je voulais être capable de m’adresser à mes fans d’une façon sincère et sans intermédiaires. Je voulais que mes mots et mon art viennent directement de moi. J’ai fait des choses dans ma carrière parce que j’étais incapable de dire non. Nous avons tous plus de pouvoir que ce que nous croyons.

Vous composez votre propre musique ? Comment faites-vous ?

C’est différent à chaque fois, je ne suis pas un schéma fixe. Je travaille sur un thème. Ou j’écris un poème que je convertis ensuite en paroles. Je peux aussi m’installer au piano sous le coup d’une émotion pour écrire une chanson dans la foulée. Le processus d’écriture peut être très émotionnel. Il m’arrive également de collaborer avec des gens qui me soumettent des idées. Je prends place devant le micro et je commence à chanter sur la musique que j’entends pour la première fois. C’est la seule façon de rester spontanée et créative.

À quel point est-ce important pour vous de vous réinventer ?

C’est une question que je me suis déjà posée. Je ne connais pas la réponse. Je pense avoir reçu un don de Dieu en ce qui me concerne. Ma voix limpide et mélancolique est un don du ciel. Et je ressens le besoin de le partager avec le Congo, l’Afrique et le monde entier.

Vous êtes fière aujourd’hui de votre carrière musicale ?

Ma mère m’a inculqué l’idée que la créativité commence par un grand saut dans l’inconnu en veillant à tenir ses peurs à distance. Et je suis fière d’y parvenir avec ma musique et grâce à ma musique.

Qu’est-ce qui vous stresse ? Vous semblez toujours avoir le contrôle de la situation ?

Je crois que le plus stressant, c’est de trouver un équilibre entre le travail et ma vie privée. M’assurer d’être présente pour ma famille. Tout ça en étant une artiste peut être un défi. Jongler avec ces différents rôles peut être stressant, mais c’est la vie de toute femme qui travaille.

Estimez-vous que les artistes d’aujourd’hui doivent utiliser leur statut pour diffuser un message ?

C’est le devoir de chaque artiste. Je trouve effrayant de voir des stars adulées qui paradent. Ça donne une fausse idée à tous ces jeunes congolais et africains. Il faut au contraire les inciter à prendre leur courage à deux mains, à se donner un but qui dépasse de loin la beauté physique ou le nombre impressionnant de followers. Je veux avant tout porter un message d’amour et de compassion. Quand vous posez vos yeux sur vos trophées, vous dites : Ok, mais qu’est-ce que vous compter faire pour l’humanité ? 

Avez-vous été déçue de ne pas gagner un trophée dans votre carrière musicale ?

J’ai commencé à chercher un sens plus profond quand la vie s’est mise à me donner des leçons dont je ne pensais pas avoir besoin. Je ne vois plus le succès de la même manière. J’ai compris que les douleurs et les pertes sont en réalité des cadeaux. Être « numéro 1 » n’était plus ma priorité. Ma véritable victoire est de créer de chanter et de laisser une empreinte qui me survivra. C’est gratifiant.

La rumba congolaise, on en parle toujours en bien et en mal ! Aujourd’hui, on n’a pas le temps de savourer une gamme de musique que déjà s’entend, un cheveu dans la soupe, le nom d’un homme riche, d’un héritier, d’un député, Bref ! La rumba congolaise a dérapé vers une source au succès. Comme en Economie la mauvaise monnaie chasse la bonne, la musique faite par l’actuelle génération a enseveli sous les décombres de la médiocrité celle léguée par les Jean Serge Essous, Youlou Mabiala et Pamelo Mounka. De nos jours, la guerre des textes a cessé d’exister au grand dam de la vie. Verckys composa « Nakomi Tunaka », Mpassi Gongo Mermans lui répondit par « A mon avis ». Verckys dégaina de nouveau par « Sakumuna ». Pour répondre à « Pont sur le Congo » de Franklin Boukaka, African Jazz sortit « Ebalé ya Congo ». Est-ce que vous partagez cette analyse ?

(Rires). Non pas du tout. Société d’auteurs inexistante ou inefficace, piratage... Le manque à gagner est important pour les artistes congolais, qui peinent à profiter de leur succès. Depuis plusieurs années, ils manifestent toujours leur inquiétude devant la dégradation de leurs conditions de travail et de vie. Les points de cristallisation restent la perception de leurs droits, d’une part, et l’accompagnement social quasi inexistant, d’autre part.

Lassés de se retrouver toujours en situation de précarité, impuissants à la dégradation de leur vie, ils ont trouvé une solution idoine : les dédicaces (Mabanga). Le manque à gagner pour les artistes congolais du fait du non-paiement de leurs droits d’auteur est énormissime. Donc les dédicaces aident les artistes congolais aujourd’hui à se faire une petite santé financière. C’est aussi un moyen pour eux aussi de remercier leurs donateurs, mais il ne faut pas aussi exagérer, car trop des dédicaces tuent les dédicaces.

Nous sommes à la fin de notre entretien, quelle image aimeriez-vous que le public congolais ou africain garde de vous ?

Celle d’une personne courageuse. Ça me ferait plaisir évidemment qu’on se souvienne de ma musique et de mon art dans plusieurs dizaines d’années, mais je préférerais rester dans la mémoire collective des congolais et africains comme quelqu’un de courageux, qui ne mâche pas ses mots. Je ne crois pas que Dieu m’ait donné cette voix limpide et mélancolique pour que je devienne célèbre, mais pour changer le monde. C’est mon but ultime.

Merci Mama Colonel Julia la Fée et surtout plein succès dans votre carrière musicale !

Merci Jarele, merci infiniment aux Echos du Congo Brazzaville et à vos lecteurs à travers le monde.

Propos recueillis par Jean-Jacques Jarele SIKA (Les Echos du Congo-Brazzaville)