Congo – Incivisme juvénile : Et si on repartait à la croisée des chemins ?

« … Jeunes donnez vos mains, ne remettez pas à demain. Nous n’avons qu’un seul chemin, celui de notre avenir. Pionniers nous servirons, pionniers veillerons, pionniers nous bâtirons notre cher beau pays. »

Ainsi chantait depuis 1963, et ce jusqu’en 1992, l’adolescent congolais dont le processus d’édification de la personnalité se faisait au travers d’un moule politique, à travers un code éthique dit loi du pionnier, qui définissait le cadre de vie et en régulait le quotidien.

Entre la famille, l’école, et les activités sociopolitiques, culturelles ou sportives, jusqu’aux loisirs, les jeunes et adolescents bénéficiaient d’un encadrement rigoureux qui finissait par s’enraciner dans les mœurs et s’imposer en norme sociale, la règle pour tous.

C’était le temps où l’action politique plaçait la formation multiforme de l’homme au centre des programmes du Parti unique, insistant sur le militantisme, le civisme, le patriotisme, la citoyenneté, l’ardeur au travail.

Quoique présenté comme « un militant conscient et efficace de la jeunesse », le pionnier jouissait d’une éducation qui se définissait à travers le triptyque École – Religion et Famille.

Outre ce civisme teinté de militantisme, la formation de l’adolescent bénéficiait également d’un apport religieux, même si le pays se voulait marxiste et révolutionnaire.

Toutes les confessions religieuses dispensaient quasiment un catéchisme aux adolescents et veillaient à leur encadrement et un accompagnement à la vie. Ainsi aux cotés des lois du pays dispensées à travers les articles du pionnier, se complétaient celles de l’Église qui assurait un équilibre spirituel à travers les commandements de Dieu. Un programme là aussi, réduit depuis au stricte nécessaire.

Des deux programmes précités, la Famille assurait la mise en commun harmonieuse en veillant à ce que les enfants soient assidus et performant autant à l’école qu’au catéchisme, le tout se vivant dans une émulation tant familiale que sociale, un sain prestige en somme et cela faisait la fierté des parents. Toute la société en était quittes et les faits d’incivilité étaient marginaux et parfois bien ciblés au point que les services compétents y intervenaient et œuvraient sans trop de difficultés à les éradiquer. La croissance démographique a certes décuplé le phénomène, mais la démission collective a favorisé son expansion.

Conscient du fléau qui gangrène la jeunesse dans presque toute son entièreté, le Congo a institué une journée nationale du civisme, célébrée le 11 janvier. L’objectif visé est de vulgariser la politique nationale en matière d’éducation civique, de promouvoir les activités socio-éducatives, culturelles et sportives en vue d’éveiller et d’affermir la conscience civique ainsi que la stimulation de l’esprit patriotique, la conception et la mise en œuvre des actions de formation pour le développement de la conscience civique. Mais peut-on réduire ce vaste chantier à une journée ?

De nombreux jeunes ne respecteraient plus l'ensemble des règles de vie en communauté telles que le respect d'autrui, la politesse ou la courtoisie. Ils sont simplement inciviques, et cella semble devenir « une marque de fabrique » qui épouse les contours d'une société, d'un « monde qui s'effondre ». En ces jeunes, beaucoup d'adultes ne retrouvent plus les valeurs essentielles qui fondaient l'Homme ou la Femme et forgeaient en eux des qualités d'une citoyenneté convenable, dans le « commerce social », tel qu'il en fut dans leur jeunesse.

Il est vrai, « autres temps, autres mœurs ». Mais, les mœurs sur lesquelles reposent les bases éthiques et morales d'une société se transmettent de génération en génération et deviennent l'essence même d'un peuple.

La formation de la personnalité humaine est l’œuvre de plusieurs influences. Dans les pratiques juvéniles désormais décriées au Congo, il va s'en dire que tous, parents, acteurs politiques, pouvoirs publics et société civile ont des responsabilités partagées.

Avec la « révolution » d’août 1963, les mouvements de jeunesse des scouts ou autres « louveteaux » qui contribuaient à l'encadrement moral et multiforme des jeunes furent remplacés par d'autres, dits révolutionnaires, le Mouvement National des Pionniers, sous la conduite de l'UGEC puis de l'UJSC.

À la Conférence nationale, tout cet édifice de formation morale et civique de l'individu, quoique sur fond de considérations politiques, fut détruit, sans solutions de remplacement. Depuis le gouffre s'est creusé. Peut-être est-il temps de repartir à la croisée des chemins, tout en adaptant les contours de la question à la donne actuelle et à l'ère du temps.

Bertrand BOUKAKA/Les Échos du Congo-Brazzaville