Libre tribune : Pour une relation ambitieuse entre l’Afrique et la France !

«La facilité avec laquelle nous renonçons, souvent, à notre culture ne s’explique que par notre ignorance de celle-ci, et non par une attitude progressiste adoptée en connaissance de cause. » mettait en garde Cheikh Anta Diop. Et pourtant, aujourd’hui, l’ambition française de faire rayonner la francophonie en Afrique semble totalement abandonnée. Le sommet Afrique-France de Montpellier, clôturé le mois dernier, a remis à l’ordre du jour l’absence de vision sur la francophonie et la perte évidente de l’influence de la France sur le continent. L’absence des chefs d’État africains exacerbe une ambiance de « dégagisme » de la France qui touche aujourd’hui la société africaine. La France est définitivement sur la sellette, et la glorification de la société civile africaine ne change pas la donne.

La France et l’Afrique ont un passé commun, une histoire commune – parfois tumultueuse certes –, sources d’un lien unique qui ces dernières années s’est distendu. Brazzaville a ainsi été la capitale de la France libre durant la seconde guerre mondiale. L’histoire de la France et du Congo sont tout spécialement liée, par cet héritage culturel en commun.

Cependant, la France n’a pas su construire un héritage culturel partagé en Afrique, en prenant en compte à la fois l’histoire et les traditions locales. À chaque fois, la France fait face aux critiques : néocolonialisme et erreurs du passé en tête. Il est vrai que la France a commis des erreurs, en n’appréciant pas à leur juste valeur les évolutions du continent africain et les aspirations de sa jeunesse. Car, aujourd’hui, l’avenir est en Afrique.

Dernièrement, le Forum économique mondial a sélectionné sept entreprises africaines parmi les 100 start-ups considérées comme pionnières sur le plan technologique. Le symbole est fort.

La France reste, sur le papier, très active sur le continent africain. Elle y a ainsi mené une cinquantaine d’opérations militaires depuis la décolonisation. Paris a souhaité ne plus jouer le rôle de « gendarme » de l’Afrique et a opté, à cet égard, pour une triple inflexion de sa politique : intervenir avec de solides mandats internationaux, tenter de contraindre l’Union européenne à s’impliquer davantage et, enfin, contribuer au renforcement des armées nationales et à la coopération entre États. La France n’a pas hésité à répondre à l’appel du Mali, avec l’opération Barkhane menée contre les djihadistes du Sahel.

Cependant, l’influence française s’est érodée : en premier lieu, à cause du déficit budgétaire qui a rendu nécessaire des réductions de crédits concernant les opérations militaires.

En second lieu, l’opération Barkhane est un échec et n’a pas réussi à stabiliser la zone Sahel. Le Président Emmanuel Macron a en effet annoncé, en juin 2021, la transformation de l’opération sur fond de sentiment anti-français sur place.

En troisième lieu, la montée en puissance d’autres acteurs, comme la Chine et la Russie, réduit considérablement les marges de manœuvre.

Sur le volet économique, par exemple, l’Afrique fait partie intégrante de la stratégie des nouvelles routes de la soie permettant à la Chine, au moyen d’un plan d’investissement en infrastructures, d’assurer une influence financière redoutable.

Sur le plan militaire, l’arrivée de l’entreprise privée russe Wagner au Mali signe un changement d’alliance stratégique important, au détriment de la France.

Le Sommet Afrique – France, par l’absence des chefs d’Etat africain, ne fait que souligner le divorce palpable. Si inviter la société civile, est lors d’un forum international, toujours une bonne idée, cela ne peut se faire en opposition avec ses dirigeants. Ce sont les dirigeants politiques qui soutiennent la société civile, par les politiques publiques mises en œuvre.

Les exemples sont très nombreux : dernièrement la volonté du Président Denis Sassou-N’Guesso de digitaliser le système éducatif congolais et la suppression immédiate des frais de roaming téléphonique entre régions du Congo démontrent la nécessité de disposer d’un gouvernement stable pour développer un tissu économique et des entrepreneurs. La 5e édition du salon des entreprises innovantes a démontré toute la richesse et l’ambition des startups du Congo.

La France doit rester une puissance importante en Afrique, et un ami. La France conserve des atouts, étant toujours l’un des principaux investisseurs et l’un des plus importants partenaires commerciaux du continent. Surtout, c’est par le biais de la francophonie qu’il est nécessaire de refonder la relation entre l’Afrique et la France. Compte tenu des évolutions démographiques des pays francophones d’Afrique, le français pourrait gagner des centaines de millions de locuteurs au cours du XXIe siècle. Ce fait statistique doit se situer au cœur des préoccupations stratégiques de la France.

D’ici 2050, 70% des francophones vivront sur le continent africain. Cette évolution est théorique, car si la France ne se réengage pas davantage dans la coopération, via l’envoi de professeurs, le soutien aux institutions scolaires ou autre, cette progression de la langue française ne se concrétisera pas. L’exemple du Rwanda nous démontre, à cet égard, qu’un pays africain peut se défaire aisément de la langue française sans en pâtir.

Pour cela, le français doit s’adapter à la société africaine, et non l’inverse. Ce que les francophones africains veulent, c’est une langue qui sache épouser les spécificités de chaque pays tout en gardant son homogénéité. Une langue qui exige que l’on s’engage avec conviction. À court terme, la France doit augmenter l’offre d’enseignement en français partout dans le monde.

Cela implique de renforcer les politiques d’intégration par l’apprentissage de la langue en direction des communautés immigrées, et de promouvoir la création d’un grand groupe privé d’écoles en français comme le suggère le rapport Attali. Il est aussi nécessaire d’approfondir et d’étendre l’aire culturelle francophone, grâce notamment à la construction de salles de cinéma par des entreprises tricolores et la programmation d’un quota de films en langue française.

La France doit donc tenir ses promesses, sinon elle risque d’être traitée d’arrogante, et ainsi se mettre à dos les dirigeants africains, qui sont les principaux vecteurs de la francophonie.

La France peut compter pour cela sur le Président Denis Sassou-N’Guesso pour véhiculer la francophonie.

L’avenir de la France et des États ayant en partage une histoire et une langue communes sera immanquablement lié, tant nos destins économiques et politiques sont interdépendants. Les gouvernements français qui se sont succédés depuis de nombreuses années, par peur de la critique du néocolonialisme, se sont dessaisis de la francophonie et de la coopération. Il est plus que jamais question de faire face aux enjeux majeurs des prochaines décennies, de reprendre la politique francophone de la France à bras-le-corps et d'en redevenir le moteur.

Nous exhortons donc le Président Emmanuel Macron, ou son successeur, à aller plus loin.

Les co-signataires de la Tribune :

Pierre Emanuel Kentouri Bonod, Membre du Conseil d’administration des Maisons de la francophonie,

Nabil Lakhal, ancien chargé de mission du Président de la République français,

François Hollande Araby Niasse, Ancien conseiller du Président de la République du Sénégal,

Bastien DuPont, Membre de l’Ordre africain des experts internationaux (OAIE),

Romain Renard, entrepreneur dans la santé en Afrique, fondateur de la startup Meditect

Les Echos du Congo-Brazzaville