Maitre Aimé Emmanuel Yoka est décédé vendredi 18 avril à Rabat au Maroc où il avait été évacué pour des soins. À 93 ans, ce serviteur assidu de l’État, qui avait le Congo chevillé au corps s’en est allé.
Il est des hommes dont l’action, l’engagement et le dévouement pour leurs semblables, tracent des sillons qui dans la mémoire collective et s’inscrivent en références pour leurs contemporains mais aussi pour la postérité.
Aimé Emmanuel Yoka est un de ces hommes. Celui qui à l’instar de l’interrogation de John Fitzgerald Kennedy, ne se demande pas ce que son pays fait pour lui, mais œuvre chaque jour davantage pour le servir de toute son âme, de toute son intelligence et de toutes ses forces.
Le destin de ces hommes se dessine tôt. Et Aimé Emmanuel Yoka n’a pas attendu longtemps pour traduire de l’excellence de son rendement à la tâche, dans les missions qui lui sont confiées.
Membre du Parti Congolais du Travail, Aimé Emmanuel Yoka fait son entrée en politique en 1968 comme jeune chef de cabinet du ministre de la Justice Aloïse Moudileno Massengo rencontré à la Faculté de Droit de Nancy.
Relever les défis visiblement sans issue, Aimé Emmanuel Yoka en a presque toujours fait une cause personnelle. C’est pourquoi l’homme se lance sur ce qui est quasiment un terrain en friche où tout est à reconstruire, en acceptant de devenir maire de Brazzaville de 1997 à 1999. La ville qu’il reprend a été ravagée par les affres de la guerre. Il se met à l’œuvre, ravivé par son sens de l’engagement qui anime les anciens scouts : « à cœur vaillant, rien d’impossible ». Et avec lui, Brazzaville renaîtra bien de ses cendres.
Ambassadeur du Congo au Maroc de 1999 à 2002, Aimé Emmanuel Yoka marque également de son empreinte son séjour dans ce pays. Il pose les bases d’une relation fructueuse entre le Congo et le royaume chérifien, avec des retombées diplomatiques et économiques qui témoignent désormais d’une coopération agissante et gagnant-gagnant.
Disponible et au service de la Nation, Aimé Emmanuel Yoka, n'hésite pas à répondre à l'appel de la République et à servir partout où le devoir l'appelle. Il devient ministre d'État directeur du cabinet du président de la République de 2002 à 2007.
Comme rappelé à ses premières amours, il retrouve bientôt sa maison-mère, le Corps de la Justice. Il est nommé ministre d'État, garde des Sceaux, ministre de la Justice et des droits humains. Il le restera du 3 mars 2007 au 30 avril 2016.
Dans ce secteur, pilier des fondements même de la société, beaucoup est à refaire.
En mars 2015, lors d’un séminaire axé sur la révision et l’élaboration des codes civil, de procédure civile, de la famille, pénal, de procédure pénale, pénitentiaire, administratif et le code de l’organisation judiciaire et des modes alternatifs de règlement des litiges, parlant de la justice congolaise, le ministre de la Justice, Aimé Emmanuel Yoka fit le constat d’un système judiciaire « faible » et « démissionnaire ». De même, pour le garde des sceaux, le vide juridique en matière économique ne motive pas les investisseurs et crée cependant un climat d’insécurité économique.
D’où le chantier quasiment herculéen qu’il y engagea, conforté par le fait que « Plus de cinquante ans après, le Congo continue de rendre sa justice sur la base des codes issus de la période coloniale, du fait souvent de l’absence d’une législation adaptée à l’évolution des mœurs. Cette situation de vide juridique a abouti à un véritable reniement de la loi dont le résultat désastreux pour l’unité de la nation est le concours de deux systèmes juridiques, moderne et coutumier. (…) Il est donc temps de rechercher les voies et moyens permettant de récréer la confiance de la société dans sa justice pour sécuriser les partenariats, de même que nos relations internationales. Une voie pour gérer au mieux les griefs qui sont élevés contre la justice, procède de l’ajustage conséquent de nos instruments juridiques de manière à améliorer la qualité de l’offre de justice en toutes matières ».
De fait, le ministre Aimé Emmanuel Yoka expliquait que réformer l’État semblait s’imposer comme une nécessité fondée sur le processus de réforme des contextes et des structures, de la préparation de l’avenir et de la création de meilleures conditions sociales et d’une insertion qualitative dans la mondialisation.
Quoi de plus naturel, qu’il fût le principal artisan de la constitution promulguée le 25 octobre 2015, convaincu que « sa valeur pédagogique, au sens premier du mot, est d’être le vecteur des valeurs de paix, de fraternité, de solidarité, de justice, de dialogue et de tolérance. Elle est le centre des valeurs sans lesquelles la République serait une nébuleuse et la démocratie un miroir aux alouettes. »
En août 2012 Aimé Emmanuel Yoka est élu député de la circonscription de Vindza. Face à la crise qui secoue le Pool en cette période, il déploie toute son énergie et ne se perd pas dans les faux-fuyants, martelant qu’il s’agit d’un drame national qui outre mesure, affecte le pays tout entier.
« Même si la situation du Pool devient comme une épine dans le pied, il faut enlever cette épine, sinon vous marcherez mal ou pas du tout. C’est simple, il suffit seulement de situer les responsabilités sur le fait de savoir quelle est la nature des intérêts gérés par les tiers. Si on répond à ce questionnement stratégique, on a un début de réponse ou une solution à ce problème. Nous sommes une nation, nous devons nous mettre ensemble autour de ce malade récurrent qui est le Pool, et s’attacher à trouver la cause de cet éternel recommencement. » La suite des évènements lui donna raison.
Dire qu’il est un homme accompli qui aura joué sa partition avec l’élan d’une volonté et d’un engagement qui ne reculent pas devant la peine.
Homme de Droit, Aimé Emmanuel Yoka œuvrait toujours pour le juste droit pour tous, avec rectitude.
Quand on a le pouvoir, disait-t-il, la question qui reste à évoquer, est celle de son utilité sociale. Et de rappeler Jean Jacques Rousseau qui déclare qu’il est dans l’ordre naturel des choses qu’un grand, commande un petit. Puis de nuancer : Et Aristote d’ajouter que la fonction de la cité est de faire le bonheur des citoyens.
En acteur de la cité, Aimé Emmanuel Yoka a usé de sa fonction avec talent et humilité, investi du sens du devoir, avec pour idéal, le bien-être de ses semblables, pour construire l’avenir et le devenir de ce Congo qu’il a tant aimé et auquel il aura consacré l’essentiel de sa vie.
Avec son décès, le Congo perd un serviteur de l’État, le Président Denis Sassou N’Guesso perd non seulement un parent, mais aussi un fidèle compagnon.
Bertrand BOUKAKA/Les Échos du Congo-Brazzaville