Guyane : Le maire de Grand-Santi Félix Dada se positionne sur l’ordonnance du Sénat coutumier

Monsieur Félix Dada, maire de Grand-Santi, dans une interview exclusive accordée aux Echos du Congo-Brazzaville, se positionne sur l’évolution statutaire en Guyane et sur l’ordonnance du Sénat coutumier qui va se mettre en place au sein de la communauté Guyanaise.

Pouvez-vous nous parler de vos origines ?

Je suis bushinenge et fier de l’être. En quelques mots, concernant mon peuple je peux vous dire qu’au sein de la communauté des bushinenge, il y a des ethnies est la mienne se nomme N’Djuka. Aussi, je suis en accord avec cette classification.

Que pensez-vous de la place de chaque ethnie au Sénat coutumier ?

Il est important que je dise que je ne m’oppose surtout pas au fait que les alukus soient dominants dans ce conseil car il s’agit d’une action consultative, qui n’empêchera en aucun cas le développement économique et social de Grand-Santi, ni de Maripasoula, Papaichton, ou encore Apatou, communes dans lesquelles on retrouve un grand nombre de bushinenge. Cependant, pour le Sénat coutumier, il faudra juste trouver le bon équilibre.

Quels sont vos souhaits face à l’ordonnance du Sénat ?

Me concernant, j’ai demandé que soit mentionné notre volonté de nous unir sur l’ordonnance du Sénat coutumier. L’Assemblée aussi souhaite corriger un certain nombre de choses. Pour ma part, je n’ai pas d’opposition avec la création d’un collectif guyanais où l’on retrouvera différentes ethnies. En effet, je connais parfaitement mes terres. Personnellement je suis allé au collège à Maripasoula et je n’ai jamais eu de problèmes avec les Aluku, d’ailleurs tous les ans, j’y retourne environ quatre ou cinq fois. Et je me positionne en tant qu’allier, en accord avec toutes les ethnies Guyanaises.

Que manque-t-il au peuple Guyanais pour qu’il puisse se développer positivement ?

La réalité incontestable est que nous devons nous unir, pour construire le peuple Guyanais de demain. Donc créer le Sénat coutumier si c’est créer quelque chose qui nous rassemble, pour moi c’est une bonne chose, par contre si c’est pour nous diviser ce n’est vraiment pas intéressant. En effet nous avons aucunement besoin de séparation ou de « batailles ». Là intervient nos rôles de conciliateurs. Nous, hommes et femmes politiques, devons véhiculer un vrai message pacifique en disant : « Les alukus sont arrivés en Guyane avant les N’Djuka, cette réalité on ne va pas l’effacer, et elle ne va pas nous empêcher de vivre ensemble ».Nous sommes tous entrés à l’époque au Surinam par les Néerlandais qui nous ont amenés sur notre terre actuelle. A cette époque quand nous nous sommes réfugiés dans la forêt nous n’étions toujours pas en république. En 1975, le Surinam est devenu un pays. Mais tout ceux qui sont partis du Surinam pour aller dans la forêt n’ont pas acquis automatiquement la nationalité Surinamienne. Sauf, ceux restés dans le pays dernièrement cité. Nous sommes des noirs marrons à la base et c’est ce que je retiens.

On peut entendre une volonté d’unité, y’a-t-il aussi un désir de connaître la source ?

Remémorons-nous un peu l’histoire. Le peuple bushinenge a été enlevé d’Afrique, mais nous ne savons pas exactement de quel pays nous venons, donc par exemple moi aujourd’hui, je ne peux pas dire : « je ne suis pas aluku, je ne suis pas saramaka, car en réalité, quand mes ancêtres sont venus, je ne sais pas quel bateau les a emmenés, quel mélange il y a eu lorsque nous sommes partis d’Afrique ». Mais avec le temps les choses se sont éclaircis. On nous a dit que nous étions N’Djuka. Ceux qui étaient sur le haut Maroni, du côté de Papaichton, Maripasoula portent le nom d’alukus. Nous sommes tous bushinenge, et ce n’est pas la peine de nous diviser, car je pense qu’on peut vivre ensemble, et de toute façon jusqu’à maintenant c’est ce qui se passait. Les N’Djuka sont restés majoritairement sur le Tapamahoni ; Je suis née à Grand Santi sur la rivière Lawa donc même si les alukus sont arrivés avant les N’Djuka sur nos terres, par la suite, avec le temps il y a eu réconciliation. Mais sachez qu’il y a des N’Djuka sur le Tapamahoni en grande majorité car le Grand Pays se trouve là-bas. Avec le temps une commune s’est créée et 90% de la population est N’Djuka. Cette dernière vit sur la même rive que les aluku et moi je comprends qu’il y a des liens très forts entre aluka et Djuka parce que comment se fait-il que ces deux sous-groupes se soient installés sur la rive Lawa particulièrement à Grand-Santi, Apagui, c’est surement qu’à l’origine ils venaient de pays d’Afrique proches.

Qu’attendez-vous de la nouvelle gouvernance ?

Il en ressort de notre responsabilité de comprendre que quand les autorités ont créé le grand conseil coutumier des businenges et des amérindiens, l’Etat l’a mis en place, mais n’a incontestablement pas mis les bons moyens permettant un bon fonctionnement de ce conseil. De plus Il n’y avait même pas de budget car on nous consultait que de temps en temps. Et ceci représentait un vrai problème pour nous les bushinenge. La nouvelle gouvernance va créer deux sénats : Un pour les amérindiens et un autre pour les bushinenge. Et ça fait déjà une division car nous étions ensemble et là il se peut qu’il y ait deux ordonnances, ce qui présuppose que nous ne nous entendons pas avec les amérindiens, mais ceci est faux.

En plus ce Sénat sera consultatif car il y aura un Sénat pour les bushinenge dans lequel prendront place des aluku donc ce sera par exemple sous l’autorité du Grand Man aluku, et on retrouvera aussi, un ou deux capitaines N’djuka, saramaka, pamaka. Donc qu’est-ce que cela change concrètement ? C’est juste une formulation, juste quelque chose de consultatif.

Que retenir de ce collectif qui va voir le jour ?

En somme, ce qu’il faut garder en mémoire, c’est que nous devons créer un peuple, on ne peut pas créer plusieurs peuples si on veut aboutir au statut d’une communauté guyanaise, aussi, nous sommes particuliers, par conséquent nous devons avoir un statut du même ordre. Et moi je pense que c’est une richesse pour nous mais aussi pour la France. Dans cette configuration de création d’un peuple unique avec plusieurs tribus dans lesquelles on retrouve différentes traditions coutumières, je pense que ça peut être une richesse pour la France et pour nous, créer un modèle Guyanais. C’est-à-dire que lorsque les gens viendront en Guyane, ils sauront qu’ils peuvent rencontrer les N’Djukas, les saramakas, les paramakas, les alukus, qui ont un intérêt commun qui est « le vivre ensemble ». Il faut faire évoluer les choses car il ne faut pas oublier qu’on est juste de passage sur cette Terre. Nous ne sommes pas éternelles.

Et pour ma part, je ne suis pas rentrée en politique pour des conflits mais pour faire avancer mon peuple.

En définitive, ce collectif ne devrait pas nous séparer. Comme je l’ai déjà dit en préambule ça ne va pas constituer un frein pour le développement économique, ni social. Quand on arrivera à la fin du processus à obtenir ce statut, au moment où l’Etat fera des projets sur le territoire, il faudra nous consulter. En effet, il sera nécessaire de faire appel à cette expertise consultative mais ce ne sera pas une instance décisionnelle car nous aurons notre mot à dire.

Enfin, le plus important pour conclure est de retenir que ce statut ne devra pas nous diviser, mais bien plus, nous unir.

Propos recueillis par Doris Mandouélé Sociologue/Ecrivaine