C’est une scène surréaliste qui dépasse l’entendement des congolais en ce moment. Une jumelle décédée à Makélékélé dans le 1er arrondissement de Brazzaville et portée par les siens à la morgue municipale de la capitale congolaise, ce n'est pas de la fiction, au moment où la famille revient quelques jours plus tard pour son embaumement, le corps de l’illustre défunte était porté disparu. Sa famille ne le retrouvait plus dans la morgue où elle l’avait placé.
« Corps ebima », « Sortez le corps », lançait en chœur la famille et autres badauds présents à la morgue municipale de Brazzaville. L'enterrement programmé ce jour là, n'a pu avoir lieu, faute de cadavre. D'ou le courroux de la famille.
Les responsables de la morgue, incapables de répondre à la famille cruellement sinon doublement éprouvée, ont appelé la police pour sécuriser les lieux et maîtriser la foule en effervescence.
À la grande stupéfaction générale, succèdent pour notre part ces questions lancinantes : Sachant tous qu’un mort ne peut plus bouger de lui-même mais qui, diantre, a pu faire sortir le cadavre de la morgue ? Les gardiens en permanence à la porte de la morgue, où étaient-ils au moment de la rapine du cadavre ? Et l’administrateur de ladite morgue sensé en vérifier quotidiennement les entrées et les sorties, pourquoi n’a-t-il rien vu ou n’a-t-il voulu rien voir ? Pourquoi, au milieu de tous les corps inertes, avoir choisi de dérober le cadavre d’une femme et non celui d’un homme ? Pour quelle raison bon sang, peut-on porter un si grand intérêt sur le corps inerte d’une femme ?
Autant de questionnements qui ouvrent béante la plaie puante de l’occultisme qui se retrouve en plein essor ces temps derniers un peu partout à Brazzaville et à l’intérieur du pays. Une pratique qui est devenue l’appât facile de ceux des nôtres qui ont vendu leur âme au diable pour l'ambition du pouvoir, de l’enrichissement et de la célébrité.
Ces quatre sphères politiques, commerciales, musico-sportives ou religieuses se télescopent dans un mix du capitalisme néolibéral et du capitalisme de l’occultisme.
Le troisième millénaire que nous avons amorcé porte la signature de la diffusion des principes régissant la philosophie du capitalisme néolibéral qui veut que « Tout soit marchandise ». Tout, mais alors tout, y compris l’être humain. Ainsi donc, en passant de la traite des êtres humains au trafic des organes humains, cette économie du marché dérégularise le quotidien des citoyens et institutionnalise de nouvelles modalités de vie où l’être humain n’est plus ni le centre ni la primauté d’une politique communautaire mais plutôt un moyen parmi tant d’autres entre les mains des plus pernicieux pour parvenir à leurs propres fins.
Pour ce faire, beaucoup de congolais ont versé dans l’idéologie de marchandisation de la mort ou de toute autre vie assassinée. Jamais la vente des "pièces détachées" ou "l'or blanc" disons mieux des membres du corps humain n’aurait été autant prisée que de nos jours.
L’on observe çà et là un intérêt accru pour les cadavres via la profanation des corps humains inertes dans les morgues voire des tombes dans les cimetières du pays. Ces nombreuses profanations mettent en exergue « un véritable marché occulte et illégal de production et de vente du corps humain sous forme de « pièces détachées ».
Ce grand marché des parties du corps humain dénommée improprement « pièces détachées » telles que les cheveux, les fémurs, les mains, le cœur, le foie, le crane, le clitoris, le penis, les testicules, les phalanges, les langues etc. est destiné à alimenter des filières entières de magies noires, des fétichismes et d’autres pratiques maraboutiques instituant la mort d’êtres humains comme source principale de sa propre puissance.
Au Congo, ce marché de la mort s’est constitué en un vaste réseau mercantile digne d’être qualifié de capitalisme de l’occultisme dans le registre duquel le récent vol du corps à la morgue municipale de Brazzaville trouve sa probable grille de lecture.
Drôle de société !
Jack MAÏSSA / Les Echos du Congo Brazzaville