Congo – Madame Elise Thérèse Gamassa : Ma maîtresse d’école au CP2 contribua à mon orientation professionnelle

Madame Gamassa s’en est allée. L’annonce de sa mort en ce samedi 23 septembre, m’a autant bouleversé, au point qu’elle m’a soudain fait remonter le temps. Elle a ramené au temps présent ces souvenirs qui jamais ne me quittent, car ma maitresse d’école au cours préparatoire deuxième année, (CP2) contribua à imprimer en moi l’orientation professionnelle qui depuis est la mienne et pour laquelle je lui resterai à jamais reconnaissant.

J’étais enfant et j’avais à peine 7 ans, quand j’accédais au cours préparatoire deuxième année, (CP2).

Mon père était gendarme et nous habitions le Camp du Plateau, plus connu sous le vocable ‘’Camp de la Milice’’.

Ainsi, nous fréquentions l’École des Cadres’’ qui plus tard devint l’École du Stade, avant d’être débaptisée en ‘’École de la Fraternité’’ car à cette époque, entre les années 1968 voire jusqu’en 1971, l’école recevait les élèves des diplomates en poste à Brazzaville, avant que ne soit ouverte l’école consulaire Saint Exupéry.

Nous étions donc au CP2. Madame Gamassa était notre maîtresse et nous avions pour directrice d’école madame Castanou.

C’était du temps d’un inspecteur très célèbre nommé Théous. Il suscitait presque la terreur auprès des enseignants qui le craignaient au point que sa venue à l’école pour une inspection, créait un calme inhabituel dans l’établissement, que seuls troublaient, ces oiseaux qui voltigeaient au dessus des arbres bois-de-fer qui parsemaient l’école.

Notre classe, celle de Madame Gamassa, était une classe pilote. Nous n’en connaissions pas la signification, mais c’était cela. Et bientôt, nous vîmes la mention École pilote sur nos carnets de notes.

À la radio nationale, Radio-Congo, était diffusée tous les jeudi à 19 heures, une émission didactique intitulée « l’école des maîtres », produite par l’INRAP. L’indicatif de l’émission était « Mwana nzessi », la célèbre chanson de la chorale ‘’Les Piroguiers’’. Madame Gamassa était chargée de l’animation de cette émission.

Tous les jeudi, aux environs de 8 heures 30, nous marchions de l’école à la radio, à quelques encablures de là, ce bâtiment qui abrite actuellement le ministère de l’Enseignement primaire et secondaire.

Nous longions le mur du Stade Marchand en silence, car la maitresse qui encadrait tout son beau monde, la trentaine d’élèves que nous étions, veillait à ce que nous n’abimions pas nos voix, parce que nous devions parler à la radio.

À la radio, nous intégrions un studio où étaient rangées une quinzaine de table-bancs que nous occupions par deux. Puis, la maitresse commençait son cours, selon les matières choisies. La morale, l’hygiène, le calcul, la lecture ou encore l’élocution.

Elle posait des questions auxquelles nous répondions à l’interpellation de notre nom et il fallait presque un miracle pour y échapper car nous étions à peine une trentaine d’élèves.

Cette émission qui dura toute mon année de CP2 mit en lumière autant notre maitresse d’école que les élèves que nous étions, car nos parents qui la suivaient, voyaient en nous les ambassadeurs de la famille.

Je me souviens qu’au cours d’une émission dans laquelle je m’étais repris pour donner la bonne réponse, mon père me sermonna avec dureté, alors que nous suivions l’émission en famille.

C’était pour nous une saine émulation, cette émission. Autant que je me souvienne de mes collègues de classe : Andéké Catherine, son nom était le premier sur le registre d’appel. Suivait celui de Assah Hervé. Il est représentant d’un organisme des Nations-Unies en Afrique de l’Ouest. Je peux encore citer entre autres, Diaboua Abdon, Gamassa Alain, vis-à-vis de qui la maîtresse était très dure, à notre grand étonnement, alors qu’il était son fils. Mankondi Yolande, Sangou Jean Roger ou encore Penzi Yvette. Je ne m’oublie pas bien-sûr, moi, Bikindou Benoît.

Avant chaque émission, les journalistes de la radio venaient nous entretenir. Ils nous demandaient d’évacuer notre timidité. De parler naturellement, comme si nous étions en classe. De ne pas prêter attention à cet homme et cette femme qui tenaient les micros au bout de longues perches.

À la fin de l’émission, d’autres journalistes arrivaient pour nous féliciter de notre prestation. Ils se présentaient à nous.

Parmi eux, j’avais mon idole. Un certain Gislain Joseph Gabio. Tout enfant que j’étais, sa voix me fascinait. L’homme que j’écoutais, assis à coté de mon père, retransmettre le match depuis le ‘’Stade de la Révolution’’ ou encore déclamant cette publicité de la boucherie Albert Kindou du marché Total, était là, devant moi, en chair et en os. Chaque fois que je le voyais, je me répétais au fond de moi : ‘’je serai comme lui’’. Je ne suis certes pas « devenu comme lui », mais j’ai choisi la même orientation professionnelle que lui, grâce à lui (j’ai souvent eu l’occasion de le lui rappeler, surtout quand nous étions à la Télévision congolaise) et madame Gamassa en aura été le catalyseur.

Madame, la maitresse, au moment où vous vous en allez, je vous dis toute ma reconnaissance pour ce sens du devoir avec lequel vous vous appliquiez à la tâche à notre endroit.

De jeunes pouces, sachant à peine parler, auxquels vous avez appris à compter, à  lire et à écrire correctement.

De votre règle graduée, vous tapiez parfois sur nos doigts, non pour nous infliger une correction, mais pour nous rappeler à la tenue du crayon, délicatement disposé dans notre main pour que notre écriture fût également présentable et lisible.

Parfois, votre règle graduée atterrissait sur notre dos. C’était pour nous rappeler de nous conformer à cette posture assise que vous nous aviez recommandée.

Vous aviez le sens des détails. Ces détails dont nous n’avions saisi le sens qu’une fois devenus adultes.

Dire que vous aviez placé un chacun de nous ce terreau sur lequel ont pris corps le savoir et les connaissances qui ont bâti la vie et le destin de chacun de vos élèves. Alain Gamassa, mon collègue de classe, votre fils et élève que vous êtes allée rejoindre, vous le rendit bien, en devenant un brillant médecin. 

Madame, mon grand regret est que ces mots vous parviennent à titre posthume, vous qui avez tant fait pour la formation de l’élite congolaise, et avez tant donné à votre pays, qui je n’en doute point, saura vous le rendre.

Pourtant, je me console de ce qu’un jour où, à mes début dans le journalisme, je vous interviewais, en votre qualité de membre du directoire de l’Union révolutionnaire des femmes du Congo (URFC). À l’évocation de mon nom, vous m’aviez reconnu en me disant que j’étais fils de gendarme et que vous m’aviez enseigné à l’École des cadres. Vous étiez heureuse de ce que j’étais devenu. Merci Madame.

Que la famille Gamassa trouve ici, l’expression de mes sincères condoléances.

Allez, Madame Gamassa. Allez Madame, notre maitresse d’école. Dans le cœur de vos élèves, vous demeurez à jamais.

Allez et reposez en paix.

Votre élève.

Benoît BIKINDOU/Les Échos du Congo-Brazzaville