Congo – Malades mentaux : Les parents pauvres de la médecine et des pouvoirs publics congolais

Les malades mentaux vivent dans l’extrême détresse. Quasiment rejetés de tous ils déambulent à travers les rues et avenues des villes congolaises, fouillant poubelles et immondices, à la recherche de quoi se nourrir. Parfois ces fous, ainsi qu’on les nomme sont victimes des agressions de toutes sortes et même sexuelles pour les femmes qui bien souvent se retrouvent enceintes des inconnus. Cette situation interpelle autant les parents des malades, les citoyens que les pouvoirs publics.

« Missontsa qui nous soignait était décédé. Depuis, nous sommes des enfants orphelins et n’avons plus personnes pour s’occuper de nous. Nos parents nous ont abandonnés (yanbirika) et nous dormons dans les rues.

Même l’État nous a méprisés (niékona) parce que nous ne sommes pas rentables. Une personne dite folle, (lawouki) quel bénéfice (ndandou) peut-elle procurer ?

Nous, nous sommes malades. Mais, beaucoup de ceux qui nous rejettent et nous méprisent sont fous, car ils ont perdu toute humanité (tchimountou), pour nous venir en aide.

J’ai juste dis ce que je vois. Chacun de nous attends le jour que Dieu lui a réservé.

Tu peux tomber sur un homme au bon cœur (mounfwa tchari) qui peut t’acheter à manger. Auquel cas tu fouilles les poubelles. Mais, c’est de plus en plus difficile d’y trouver de quoi manger. C’est à travers cela que nous sentons que la disette (moundjala) sévit dans le pays.

Ne tiens pas compte de ce que j’ai dit. Ce sont les propos d’un fou (lawouki).

Tu peux me prendre en photo. Que tu prennes mon ombre (tchïni) pour en faire la magie ou que tu l’envoies en Europe, quelle importance pour moi. Je suis déjà mort. Je n’attends que de décomposer ( bolâ ).

Mais sachez que ce qu’est devenu quelqu’un, quelqu’un d’autre peut également le devenir. Jamais je ne savais qu’un jour je serai fou, dormant à même la rue. Issu d’une famille (kanda) sans argent, il n’y eût personne pour me soigner. Peut-être que j’allais guérir. J’avais juste déclaré souffrir des maux de tête (moutou). Puis j’entendais des voix. On a essayé de me soigner, mais ça demandait beaucoup d’argent, jusqu’au moment ou j’étais devenu fou.

Au début, mes frères venait me donner à manger. Ils pleuraient la plupart du temps. Depuis, ils ont cessé de veiller sur moi. J’ai compris que pour eux, comme pour mes parents, je suis considéré comme mort.»

Ces propos tenus en lari par un malade mental, la quarantaine, croisé aux abords d’un pont de Moungali à Brazzaville, à qui je demandais la permission de le prendre en photo, m’ont ému jusqu’aux larmes, moi qui envisageait d’écrire un article sur la situation des malades mentaux que je croisais de ci de là, à travers la ville.

Sans me regarder un seul instant, l’homme avait déversé son discours aux propos bien lucides, au point que je m’étais demandé, qui de lui et de cette société qui lui était indifférente est bien fou ?

Combien sont-ils ces malades vis-à-vis desquels notre société s’est simplement détournée, sinon débarrassée, avec la belle excuse, qu’ils sont fous ?

Convaincus qu’il n’y plus rien à faire, de nombreuses familles ont vite fait de baisser les bras, face à la cherté des soins.

D’autres ont stigmatisé le malade, rendu responsable de ce qui lui arrive, suite à certaines pratiques inavouées.

D’autres encore se sont convaincus du fait accompli, par obscurantisme, plutôt de d’engager des soins pour le malade.

« Nous sommes les enfants orphelins de Missontsa ». Ce rappel comparatif fait par un malade, montre combien la prise en charge des personnes souffrant de maladie mentale est quasi inexistante. Leur internement remonte du temps du médecin colonel Durant Abel Missontsa qui avait fait de cette catégorie de malades une affaire personnelle.

Désormais, l’asile psychiatrique dit « cabanon » où ils étaient systématiquement internés, ne paye pas de mine. Médecins et malades sont abandonnés.

Fini également le temps où les services de l’État dit de «Protection civile » recueillaient les malades mentaux à travers les villes, pour leur internement à l’asile, en vue d’une offre de soins entièrement à la charge de l’État.

Même quand ils n’avaient pas recouvré la santé, ces malades préféraient y rester, parce qu’il y avait au moins de quoi manger. Et puis, cet internement préservait les autres citoyens de la dangerosité de certains malades.

L’OMS rappelle que la plupart des individus présentant des troubles mentaux n’ont pas accès à des soins efficaces. Nombre d’entre eux sont également victimes de stigmatisation ou de discrimination et subissent des violations de leurs droits.

Dans le cas du Congo, cette pathologie se devrait d’être déclarée cause nationale par les pouvoirs publics pour placer les malades souvent abandonnés, sur le chemin de la guérison, pourquoi pas.

« Ce qu’est devenu quelqu’un, quelqu’un d’autre peut également le devenir ». Ces mots du malade mental de Moungali devrait résonner en chacun de nous.

Bertrand BOUKAKA/Les Échos du Congo-Brazzaville