Les nouvelles technologies déstabilisent les familles congolaises

Smartphone, tablette, ordinateur, télévision… Une famille congolaise passe entre quatre et huit heures par jour devant les uns ou les autres, selon les âges. Aujourd’hui, les nouvelles technologies permettent de maintenir le lien avec la famille à distance mais grignotent le temps des échanges entre parents et enfants. Au point que plusieurs Congolais s’inquiètent des conséquences sur la qualité du lien et de nos us et coutumes.

Dans les villes et villages du Congo, les occasions où toute la famille est réunie deviennent de plus en plus rares, en raison des horaires décalés des parents, des temps de transports ou des activités extrascolaires des enfants. Si, pendant ces rares moments, chacun est devant son écran, le temps d’échange et d’attention n’existe tout simplement plus en ville ou au village.

Les conséquences peuvent être particulièrement graves chez les tout-petits qui ont besoin du regard, du sourire et de la voix de la mère pour intérioriser un sentiment de sécurité et développer des capacités à communiquer. Lorsque ces moments d’échanges sont régulièrement entrecoupés par un coup d’œil au smartphone, le lien mère-enfant risque d’être fragilisé.

Le portable, doudou des adultes

Il faut dire que le portable est devenu un véritable doudou pour les adultes qui chaque jour, en moyenne, le regardent 221 fois et le touchent 2 600 fois.

Une dépendance dont Solange Nzila, maman de trois ados, a conscience et qui lui fait dire aujourd’hui qu’elle a « eu de la chance » d’avoir ses enfants avant l’arrivée du smartphone au Congo-Brazzaville : « J’ai le sentiment d’avoir profité pleinement de chaque moment avec eux lorsqu’ils étaient petits. Je ne sais pas si j’aurais été aussi disponible avec un portable. »

Les nouvelles technologies ébranlent la notion même de temps qualitatif passé avec l’enfant.

La norme éducative de l’après-Dolto, c’était l’extrême attention à l’enfant. Or aujourd’hui, on se détourne de lui au moindre bip du téléphone. Nous sommes, certes, des êtres multi-attentionnels, mais cette présence-absence interroge sur la qualité du lien.

Plusieurs parents consultent leur téléphone pendant les repas avec leurs enfants et le font même lorsqu’ils jouent avec eux.

Avec les adolescents, les nouvelles technologies tendent surtout à conflictualiser un peu plus une relation souvent déjà tendue et finissent par mettre à mal l’autorité parentale. « Je dois constamment batailler pour que mon fils de 15 ans ne passe pas jour et nuit sur le téléphone portable, témoigne Solange Nzila. Et c’est encore plus difficile avec ma fille de 13 ans qui est tout le temps rivée à son smartphone. »

Beaucoup de parents ont d’autant plus de mal à imposer des règles d’usage pour les écrans qu’ils sont eux-mêmes  accros  à ces outils.

Les objets connectés modifient le lien familial et c’est particulièrement vrai dans les fratries. Les frères et sœurs passent de moins en moins de temps ensemble du fait des usages numériques. Chacun préfère partager des choses avec des amis de la même génération, d’autant que ces derniers sont désormais virtuellement présents dans la maison.

Cette concurrence du lien amical, également à l’œuvre dans le couple, n’est pas nouvelle mais elle est ravivée par les nouvelles technologies au Congo-Brazzaville.

Celles-ci sont venues amplifier un mouvement né dans les années 1960 avec l’invention d’une culture jeune a contribué à dévaloriser une culture familiale commune, et le transistor a été le premier support de cette séparation entre les générations.

Aujourd’hui, avec la multiplication des équipements, chacun peut avoir un smartphone, une tablette ou un ordinateur. Le succès de ces écrans vient non seulement de la variété de l’offre mais aussi d’une reconnaissance au droit à l’autonomie pour tous.

Les nouvelles technologies permettent de cultiver des territoires personnels et ces pratiques créent des tensions, plus ou moins fortes.

Dans une famille fusionnelle, elles provoquent vite des conflits. Dans celles qui valorisent l’autonomie, elles ont des effets plus relatifs. Pris à un instant T, les usages numériques peuvent sembler préoccupants, mais si on les regarde sur un temps long, on se rend compte qu’ils s’inscrivent dans un mouvement plus large d’association et de dissociation, des périodes où la famille fait des choses ensemble et d’autres où elle fait des choses séparément.

Éviter le risque du « côte à côte »

Objets ambivalents, les écrans éloignent autant qu’ils rapprochent. Dans la famille nucléaire, ils renforcent le vivre-ensemble lorsque tout le monde se retrouve autour de l’ordinateur pour regarder des photos ou partager la culture de l’ado.

Avec la famille à distance, ils permettent de maintenir le lien et les solidarités. Solange Nzila et ses cousins ont ainsi créé un groupe WhatsApp, pour soutenir un de leurs oncles lorsqu’il était malade.

Comme toute innovation, les outils numériques présentent des avantages et des inconvénients. Il ne faut pas se contenter d’en faire la liste. Il est aussi essentiel de montrer combien les choses sont dynamiques : les usages évoluent dans le temps, en bien, en mal, en alternance, mais ne sont jamais figés.

Reste que les nouvelles technologies sont devenues un enjeu majeur pour la famille qui doit trouver un équilibre entre les temps communs et les temps fractionnés pour éviter le risque du « côte à côte » et de l’affaiblissement du lien sacré : la famille.

Jarele SIKA / Les Echos du Congo-Brazzaville