De plus en plus, les obsèques de jeunes gens donnent lieu à des rituels qui heurtent la conscience collective, de par les pratiques aussi avilissantes qu’immorales, qu’exhibent les amis du défunt. Un jeune macchabée a été livré à une beuverie en règle par ses amis vendredi à Talangaï, sous le regard impuissant des parents qui ont laissé faire, par peur de représailles.
« Je suis choqué ! Hier, à 13h03 minutes sur l’avenue Marien Ngouabi, j’ai été très choqué de voir des jeunes âgés de 15 à 30 ans s’emparer du cercueil contenant le corps sans vie de leur ami, avant de le déposer sur des tabourets dans un troquet. Certains d’entre-eux passent au comptoir et achètent des casiers de bières. Sous les regards impuissants des parents biologiques du défunt, ils aspergent le cercueil d’alcool, au motif qu’il était un grand consommateur d’alcool. La scène se passe juste en face du commissariat de police du Lycée de la liberté. Mon Dieu, je suis choqué ! Quelle perte de valeurs? Que font les ministères de l’intérieur et de la justice face à ces flagrants délits ? Je pense que lorsqu’on n’a plus du respect pour les morts, on supprime la vie d’autrui sans remord. Je suis simplement choqué. »
Ces propos sont d’Adrien Wayi, un des témoins de la scène qui a dû se convaincre par son assurance cognitive, qu’il ne rêvait pas.
Non il ne rêvait pas, car jamais, même dans les rêves les plus loufoques, on aurait imaginé pareille scènes, dans un pays où les mœurs se veulent policées et où surtout les morts sont entourés d’une certaine sacralité.
Pourtant, la scène de vendredi à Talangaï n’est pas un cas isolé. La pratique a désormais cours dans de nombreux quartiers de Brazzaville et même à Pointe-Noire, auprès de certains jeunes souvent en rupture sociale. Le décès d’un des leurs est l’occasion de tous les excès, l’exhibition de leur comportement asocial, comme pour une ultime inconvenance du défunt qui « part comme il a vécu ».
Le ton est donné depuis les veillées funèbres, rythmées par des chansons et des danses obscènes, où toute nudité est dévoilée, avec des postures aussi suggestives qu’incitatives, allant parfois jusqu’à la consommation de l’acte au point que parents et voisins sont obligés que se recroqueviller dans la maison familiale et faire abstraction de tout ce spectacle qui sur le fait, avili la famille du défunt.
Ceux qui tentent de s’interposer sont pris à partie et cela peut même dégénérer en une bagarre.
D’autres parents sont obligés de prendre leur mal en patience et même de précipiter la date de l’enterrement, quand on leur fait comprendre que leur défunt fils ou neveu n’en faisait pas moins que cela, chez les autres.
D’autres encore, d'un âge assez avancé et aux cheveux grisonnants, imbus des principes des traditions, car souvent venus du village, risquent le lynchage de la part de ces excités, car taxés de « choro », les sorciers ayant causé la mort de leur ami.
À ces veillées, dans le café qui est servi pour maintenir en éveil les veilleurs, les jeunes glissent toutes sortes de mixtures connues d’eux et pour lesquels les non-adeptes risquent une overdose, si encore le café ne devient pas simplement un aphrodisiaque incommodant ceux qui le consomment.
Les rituels diffèrent selon les pratiques et fréquentations du vivant du défunt. Si celui-ci baignait dans le chanvre, ses comparses vont enfumer la veillée de joints à n’en plus finir, voire même à fumer autour du cercueil le jour de l’enterrement, quand ce ne sont pas sur les lèvres du cadavre qu’ils inséreront un ‘’taf’’, s'ils en ont l'occasion, à défaut, une ‘’botte’’ de chanvre est glissée sous le linceul, dans un coin du cercueil. Parfois, le cercueil est pris en otage et la famille est obligée de négocier pour se recueillir. Le recours à la police ne fait que compliquer les choses.
Si le mort versait dans l’alcool, les ‘’mastas’’ l’accompagnent dans un flot d’alcool qui déjà inondera les veillés, avec tous les débordements qu’il suscite, la cuvée finale étant réservée au jour de l’enterrement. Le cercueil est alors quasiment arrosé d’alcool et on en offre aussi à qui veut, tel qu’il en a été le cas vendredi à Talangaï. « Masta a djé well ». L’ami s’en est allé bien soûl.
Et si d’aventure, la défunte est une jeune fille qui ''longeait le trottoir'', le rituel de ses congénères collera aux habitudes ‘’professionnelles’’ de celle-ci, exhibées sans honte. « To ko bina mutakala ». Nous danserons toutes nues.
Face à ces dérives comportementales, surtout en milieu juvénile, de nombreux citoyens choqués se demandent bien : « où va le monde ? » Sans doute inéluctablement vers l’abime.
Bertrand BOUKAKA/Les Échos du Congo-Brazzaville