Alors qu’on le croyait résorbé, le phénomène des enfants dits de la rue repart à travers les grandes agglomérations du Congo. À Brazzaville, il est désormais courant de les rencontrer dans certains carrefours, parfois jusqu’à des heures indues, avant de coucher à même la rue.
Ils sont encore des enfants ou adolescents pour les plus grands. Leur âge varie entre 7 et 15 ans, qu’ils sont déjà livrés à eux-mêmes, parfois dans l’indifférence d’une société qui les a catalogué en « enfants de la rue », comme si, « la rue faisait des enfants », ainsi que nous a répondu l’un de ceux que nous avons croisé au Rondpoint Moungali, derrière le mur de clôture de la station-service.
Errant à travers les rues, vivant de mendicité et de petits larcins, ces enfants, filles et garçons, se sont soudés en une famille, celle des compagnons d’infortune.
Ils ont pour point commun, l’histoire de leur rejet. Celle-ci tourne autour du décès soit d’un des parents, ou des deux, ou encore une indexation en sorcellerie orchestrée par un pasteur, auprès des parents les ayant récupérés, après le décès des leurs.
Ces enfants qui se montrent solidaires entre eux, se partageant la moindre pitance selon leur nombre, parlent de leur histoire avec un détachement quasi stoïque, décidés à s’élever par leurs propres efforts, dans une société qui leur a tourné le dos, en les jetant à la rue, tels des indésirables.
Certains y sont en fratrie. Deux frères, voire un frère et sa sœur.
Leurs récits sont si émouvants, qu’ils montrent le sadisme d’une société qui a perdu une part de son humanité.
« À la mort de mon père, nous avons été chassés de la maison familiale par les parents de papa. Maman qui était également malade est décédée quelques mois après. On vivait chez la grand-mère.
Un jour, elle s’est réveillée, elle avait mal au cou. Elle a dit qu’elle m’avait rêvé en train de l’étrangler. Elle m’a amené chez son pasteur. Il a dit que j’étais sorcier et m’a forcé à avouer ma sorcellerie, sinon il allait me brûler dans le feu dévorant.
J’avais peur qu’on me brûle. Pourtant, il m’a quand-même brûlé avec la cire d’une bougie, après avoir enlevé ma chemise. J’avais très mal. Sous l’effet de la douleur, et pour arrêter le supplice, j’ai avoué que j’étais sorcier.
Depuis ce jour, ma grand-mère m’a chassé de chez elle. Deux ans, je dors dans la rue avec mes camarades, mes potes »
. Comment faites-vous pour manger ?
« Des gens bien nous donnent de l’argent ou le reste de leur nourriture. Celui qui trouve à manger partage avec les autres. Même s’il n’y en a pas beaucoup, on se le partage tous. Nous sommes une famille.»
Des récits de ce genre, il y en a encore et encore et ils semblent avoir marqué ces enfants au fer rouge.
Si la journée ces enfants se sentent en sécurité, errant ça et là sans crainte, le soir venu, ils dorment dans la rue, dans des maisons désaffectées, voire en construction ou sous le pont de la Mfoa sur l'avenue des trois martyrs.
Dans la pénombre, ils sont sans défense. Certains, surtout les filles à peine pubères et même les garçons, sont la proie des prédateurs sexuels qui exploitent leur misère en assouvissant leurs désirs, moyennant de modique sommes d’argent. Leurs bourreaux ne se soucient pas de toutes les conséquences que cela peut entraîner pour ces enfants qui semblent dépouillés de tout droit.
Beaucoup arguent que ces « enfants de rue » sont en rupture familiale et auraient choisi de mener une vie autonome. Pourtant, en discutant avec eux, on saisi l’immensité de la peine qui les habite et qu’ils dissimulent derrière ce semblant de bonne humeur.
Tous aimeraient aller à l’école, apprendre un métier. Ils ont des rêves et aspirent à une vie meilleure. Ces enfants ont besoin d’aide. Une aide qu’ils attendent désespérément, et leur vadrouille devrait plutôt être interprétée tel un appel au secours. Hélas, personne ne l’entend.
Personne, c’est le cas de le dire, car tout le monde les voit, les responsables s’occupant de ces questions sont informés et personne n’ose agir.
Bertrand BOUKAKA/Les Échos du Congo-Brazzaville