Une veillée comme il y en a un peu partout, dans les quartiers de Brazzaville. Pourtant celle dont nous faisons le récit s’est tenue dans la rue Lagué à Moungali. Une dame âgée est décédée dans des circonstances douloureuses, liées aux coupures intempestives de l’électricité. Et comme dans toutes les veillées, dans les récits et anecdotes qui meublent la nuit, la fourniture d’électricité a été le thème principal, au point que les anciens ont rappelés aux jeunes, qu’il fut dans ce pays, une époque où la coupure d’électricité était assimilée à une atteinte à la sûreté de l’État et les responsables de la panne entendus à la Sécurité d’État, voire incarcérés.
Une dame âgée est décédée, après une exposition insupportable à la vague de chaleur qui sévit à Brazzaville.
Souffrant d'asthme, la dame, 70 ans révolus, avait des difficultés à respirer, tant l'air chaud et étouffant qui noie la ville de jour comme de nuit, semblait dilater davantage ses poumons, au point qu'elle sentait un étouffement permanent.
Son médecin traitant avait préconisé deux solutions, en dehors de la Ventoline dont la dame ne se privait pas. Allez au village où l'air est plus respirable, ou équiper sa maison d'un climatiseur.
N'ayant quasiment plus de parents au village pour s'occuper de leur mère, ses deux enfants avaient opté pour l'achat d'un climatiseur pour leur maman. Celui-ci fut installé dans la foulée, au grand bonheur de la dame qui avait retrouvé la joie de vivre. Ses problèmes de respiration s’étant trouvés résolus.
10 jours que le climatiseur avait été installé, et tout allait bien. Pourtant, en ce 11ème jour, vers 9 heures 30, « le courant est parti », comme on en a désormais l’habitude dans les villes congolaises.
Assistant leur grand-mère alors que leurs parents étaient au boulot, les petits-fils ont espéré un retour rapide de la fourniture d’électricité. Pourtant, plus les minutes passaient, plus l’air dans la maison se réchauffait et leur grand-mère haletait, comme si elle avait à nouveau du mal à respirer.
Face à cette situation, les enfants ont appelé leurs parents, rendant compte du fait que la grand-mère était mal en point. À leur arrivée, ils ont trouvé leur maman suant à grosses gouttes. Au Centre hospitalier et universitaire de Brazzaville, les médecins du triage ont enregistré un corps en dépôt. Sur le trajet entre le domicile et l’hôpital, la vie avait quitté le corps de la dame.
À la veillée, les jeunes ont tôt fait d’imputer le décès de la dame à Adou Danga, le directeur E2C, fournisseur d’électricité, qui par ses coupures intempestives, avait conduit au décès de la dame. Et de chanter des chansons du genre : « Kendé mama éh, Adou Danga a bomi yo. Okendé malamu mama éh, ya Adou a bomi yo éh. »
Comme pour corroborer l’indexation faite par les jeunes en rendant E2C et donc Adou Danga son directeur, responsables de la mort de la vielle dame, les anciens déroulent des récits dans lesquels ils évoquent ce qu’était la fourniture d’électricité dans leur jeunesse.
« Dans notre jeunesse, il n’y avait pas ces coupures intempestives et inexpliquées d’électricité. La coupure générale d’électricité était assimilée à une tentative d’atteinte à la sûreté de l’État. Les agents d’astreinte au moment de la survenue de la coupure étaient entendus à la Sécurité d’État, ce qui était les services de Renseignements de l’époque. Il leur fallait prouver et justifier que c’était une panne et non un acte délibéré de sabotage. Le directeur pouvait être relevé de son poste pour incompétence, du fait de son incapacité à anticiper une panne qui pouvait avoir de lourdes conséquences sur la vie du pays.
Parfois, quand une coupure de courant survenait de nuit, dans un quartier bien spécifié, avant le rétablissement quelques minutes à peine, la rumeur évoquait l’arrivée d’un responsable de haut rang dans le dit quartier et la coupure de courant était une manière de le soustraire de la vue des populations.
Les coupures de courant pour travaux étaient annoncées à l’avance via des communiqués à la radio ou à la télévision. La SNE, la société d’électricité en donnait les raisons et la durée du temps d’intervention. Le courant était rétabli à l’heure indiquée.
Quand une coupure générale de courant durait toute la nuit ou une bonne partie de la journée, toute la ville était en émoi. On se demandait se qui se passait. On se pressait de rentrer à la maison, car c’était signe que des choses pas bien planaient dans l’air. Un coup d’état par exemple.
Et si d’aventure, la coupure de courant était suivie de l’arrêt des émissions à la Radio et à la télévision, c’était encore pire.
Pas loin d’ici, la rue Lagué où nous sommes, il y eu un incident dû au courant, dans la rue Mboko vers le marché de Moungali, en face d’un restaurant qui n’existe plus, qui se nommait chez Mbouta Sam.
Nous sommes en 1976. Pendant la pluie, la foudre tomba sur un poteau électrique et sectionna le câble qui tomba sur le sol mouillé. Trois personnes trouvèrent la mort. L’incident était tel que le président Marien Ngouabi se déplaça pour s’enquérir de la situation. N’eût été la foudre, des agents de la SNE se seraient retrouvés en prison. L’État pris la charge des obsèques. Des mesures furent prises pour veiller à ce que pareille situation ne se reproduise plus. C’est dire, combien la production et la fourniture de l’électricité étaient des secteurs stratégiques.
Depuis, tout va à vau-l’eau. Même le changement du nom de la société n’a rien changé des pratiques de celle-ci vis-à-vis de ses clients que nous sommes. Conséquence, nous pleurons la maman décédée du fait d’une coupure d’électricité qui a rendu inopérant le climatiseur, au point de dégrader son état de santé. »
Combien d’autres sont-ils dans le cas de cette dame, qui décèdent chaque fois que survient une coupure d’électricité. Des morts qui ne hantent pas le sommeil des responsables des coupures de courant les ayant envoyés ad-patres outre mesure. Pour eux, tout paraît normal. Courant ou pas courant pour les populations, cela n’affecte en rien leur quotidien et la vie continue.
Peut-être que les choses changeront-elles, si la coupure de courant est à nouveau considérée comme une atteinte à la sûreté de l'État. Les agents à tous les niveau se surpasseront, de peur d'être incarcérés pour tentative de coup d'état.
Bertrand BOUKAKA/Les Échos du Congo-Brazzaville