Ouabari Mariotti : « 15 août 2019, le peuple attend du président de la République un message de vérité et d'espérance »

Dans une interview exclusive accordée aux Échos du Congo Brazzaville à Paris en France, l’ancien ministre congolais, Ouabari Mariotti, membre de l’Union panafricaine pour la démocratie sociale (UPADS/opposition), a déclaré, sans langue de bois, que «l'allocution de circonstance du président Denis Sassou Nguesso, pour ne pas enfreindre la tradition, pourrait s'avérer contre-productive, si elle s'insère dans l'esprit des précédentes années. Les promesses, les réalisations en cours, la stigmatisation des maux de la société ont été entendues. La réduction de l'équipe ministérielle, les remplacements d'hommes dans les sphères de l'État, la cure d'amaigrissement des budgets des institutions et des services publics que d'aucuns exigent n'apaiseront ni les souffrances, ni la grogne. À situation grave, le peuple voudrait plutôt du président de la République un message de vérité et d'espérance ».

Les Échos du Congo Brazzaville : Monsieur le ministre, dans quelques jours, le Congo se retrouvera autour d’un évènement de haute portée nationale, la célébration de la fête de l’indépendance. Cet évènement fédérateur appelle à une adresse du président de la République à la Nation. Qu'en pensez-vous et quelles sont vos attentes vis-à-vis de ce message ?

Ouabari Mariotti : L'indépendance du Congo qui sera célébrée dans quelques jours va se dérouler dans un contexte national bien morose. La crise est là, avec son lot de supplices. Une crise que les autorités auraient bien pu éviter si elles avaient conscience des risques qu'elles prenaient en gouvernant sans adresse, s'estimant à l'écart des mauvais jours, euphorisées par l'emballement des recettes pétrolières. Éperdument, l'État a été dépouillé de ses ressources, à divers niveaux, par ceux qui en tiennent les réseaux. De lourdes dettes ont été contractées. Les yeux ont été fermés devant ce que les dirigeants décrivent comme des "antivaleurs", au point de rendre la puissance publique complaisante à leur égard et inopérante face à ses obligations régaliennes.

Le recours du gouvernement au FMI pour souffler, les recommandations de la CEMAC préconisant le rapatriement des recettes des produits d'exportation sont les conséquences de cette gestion non orthodoxe du pays. Des figures de l'opposition, spécialistes des questions financières et économiques s'y sont exprimées avec détail.

Nous aurons un 15 août 2019, avec des pans de l'économie nationale au ralentie. Les corps sociaux, tels les agents de l'État et assimilés, les retraités, les personnels d'entreprises publiques liquidées et les étudiants sont affaiblis. Sur l'ensemble du territoire, hormis quelques privilégiés qui affichent leur opulence, les souffrances sont visibles. Des souffrances enclines à alimenter et à renforcer, tout à la fois, une grogne qui couve dans le pays et une quête ardente des perspectives meilleures.

Cependant, les pouvoirs publics travailleront à sauver la face. Comme à l'accoutumé, par des rituels connus dont le traditionnel défilé civil et militaire et le message à la Nation du président de la République. Encore qu'il est politiquement correct, en raison des peines qu'endurent les civils, que ceux-ci soient retirés du contingent du défilé. Défilé qui, au nom de la nouvelle donne difficile dans le pays, pourrait même, cette année, ne pas avoir lieu, ce qui n'ôterait rien à la souveraineté de la nation et au symbolisme de l'unité de l'armée qu'il constitue.

L'allocution de circonstance du président Sassou Nguesso, pour ne pas enfreindre à la tradition, pourrait s'avérer contre-productive, si elle s'insère dans l'esprit des précédentes années. Les promesses, les réalisations en cours, la stigmatisation des maux de la société ont été entendues. La réduction de l'équipe ministérielle, les remplacements d'hommes dans les sphères de l'État, la cure d'amaigrissement des budgets des institutions et des services publics que d'aucuns exigent n'apaiseront ni les souffrances, ni la grogne. À situation grave, le peuple voudrait plutôt du président de la République un message de vérité et d'espérance.

Aussi, une seule problématique devrait constituer la trame de son discours attendu. C'est la synthèse de ces voix souffrantes, largement majoritaires dans le pays, qui s'élèvent pour en appeler à l'arrêt de leurs malheurs par une gestion des affaires de l'État plus rigoureuse, plus juste et davantage portée vers les aspirations de la société congolaise.

Ce que le pouvoir, au regard de sa structuration et de ses choix actuels, ne peut réussir par lui-même. Mais, pourrait y parvenir en rentabilisant le substrat de la parole redonnée à l'ensemble des forces vives de la Nation pour le bien du pays. La forme légale pour y arriver, c'est le dialogue. Celui en cours de préparation dont les travaux préliminaires ont été lancés par le premier ministre, n'en remplit pas les conditions objectives. D'où sa requalification, aux fins d'y substituer un dialogue plus républicain, plus consensuel et plus constructif. De sorte qu'au soir de ses travaux, conclusions rendues exécutoires, la nation congolaise , majeure, se serait octroyée les moyens de relever les défis présents et à venir. Ainsi, à travers le pays, du désespoir porté jusque-là, renaîtra l'espérance.

Les Échos du Congo Brazzaville : De 1960 à aujourd’hui, 59 ans déjà ! C’est si loin et si près à la fois. Il y a quelques années encore, les commémorations étaient couplées avec la municipalisation accélérée. Avez-vous le sentiment que beaucoup a été fait et que beaucoup reste encore à faire ? Pensez-vous que cette expérience est digne de reprise ?

Ouabari Mariotti : Les municipalisations accélérées ont été une entreprise très dispendieuse. Les chiffres sont connus. Ils donnent le tournis. Malgré tout, par elles, l'État s'est doté, à l'intérieur du pays, de quelques infrastructures inexistantes jusque-là. Ce qui est positif. Mais certains travaux, faute de financement, d'une région à une autre, sont demeurés inachevés, avec en prime, la question récurrente des mauvaises prévisions. Il y a gros à parier que les crédits alloués à ces municipalisations aient davantage profité aux donneurs d'ordre du pouvoir et aux agents économiques concernés qu'aux régions touchées et à leurs populations.

C'est une expérience à stopper. Pour l'évaluer. Puis réétudier avec les collectivités locales sa réorientation dans le cadre d'une conforme décentralisation sur laquelle le Congo n'a pas encore bien réfléchi. Dans les pays où la décentralisation s'exerce pleinement, les résultats positifs sont incontestables. Est-ce parce que celle-ci consiste à un transfert du pouvoir de l'État vers des personnes morales de droit public distinct de l'État que les autorités centrales, appréhendant des dérapages, se préoccuperaient de se constituer elles-mêmes maîtresses d'œuvre?

Si tel est le cas, aux collectivités locales bénéficiant d'une autonomie financière selon le degré de la décentralisation, il pourrait leur être imposé des mécanismes de contrôle et de prévention des dérives. C'est peut-être à ce prix que les collectivités locales s'approprieraient les projets futurs de la municipalisation accélérée au cas où elle se poursuivrait.

Les Échos du Congo Brazzaville : En cette occasion de la fête de l'indépendance, une attente s’est souvent manifestée chez nombre de congolais. C’est la grâce présidentielle pour laquelle le président de la République dispose d’un droit à la fois constitutionnel que discrétionnaire. Dans un souci d’unité et de raffermissement de la cohésion nationale. Beaucoup de congolais attendent ce moment...

Ouabari Mariotti : Avec les tourments successifs que connait le Congo depuis quelques années, le pays a en effet besoin d'un réel et durable apaisement. Or, le paradigme majeur de l'apaisement, c'est la cohésion nationale. Celle-ci ne peut être acquise que si les contentieux politiques qui fracturent la Nation et la fragilisent sont soldés, les injustices réparées. Le pays devant, en outre, se mettre à l'abri des graves dangers que court la Nation en raison des divisions éthno-régionalistes et des velléités de partition qui s'y font jour.

N'est pas pour faciliter cette cohésion la détention, à la maison d'arrêt de Brazzaville, de Jean Marie Michel Mokoko et d'André Okombi Salissa, au terme de chefs d'accusation et de procédures judiciaires pas bien nets. Ne le sont pas également les condamnations, par contumace, au sortir des violences de 1997, des anciens ministres du président Pascal Lissouba, Benoit Koukébéné et Philippe Bikinkita, alors que pour les mêmes affaires, leurs co-accusés ont bénéficié des mesures d'élargissement depuis près d'une quinzaine d'années.

Ne favorise pas aussi la cohésion le non-retour à une situation normale dans la région du Pool qui procède, d'une part, de l'application intégrale des accords de cessez-le-feu passés entre le gouvernement congolais et les ex combattants de l'autre, des indemnisations et autres reconstructions causées par les violences entre les parties au conflit dans cette région. 

Les iniquités non réprimées, les brutalités policières et les garde à vue incessantes de citoyens qui exercent pacifiquement leurs droits de manifester pour revendiquer leurs droits ne sont pas, de surcroît, pour pousser à la cohésion nationale. Le président de la République est en obligation morale et politique de raffermir la cohésion nationale. Ainsi, par devers toutes les pressions et autres considérations politiques dégradantes qui l'en empêcheraient, il devrait faire recouvrer la liberté à Jean Marie Michel Mokoko et à André Okombi Salissa ainsi qu'à tous les autres prisonniers d'opinion.

À Benoit Koukébéné et Philippe Bikinkita qui n'ont jamais été en possession de leurs actes d'accusation et de leur jugement, devrait également être prononcée la levée de la sentence. Conséquemment, et à titre symbolique, la cour d'appel de Brazzaville pourrait examiner une procédure d'extension de l'arrêt des peines, à titre posthume, aux ministres Nguila Mougounga Kombo et Yves Ibala qui nous ont quittés. Modeste Boukadia qui purge trente ans d'emprisonnement, doit en être bénéficiaire. Son évacuation sanitaire en France, pour des raisons de santé, ne l'ayant pas exonéré de son jugement.

Les Échos du Congo Brazzaville : En ce qui vous concerne, depuis quelques temps, vous n’êtes plus reparti à Brazzaville, votre dernier voyage remontant à 2015. Pourtant, aucune épée de Damoclès ne pèserait sur vous car la justice congolaise ne vous a impliqué ni condamné pour quelque motif que ce soit. Accorderiez-vous donc du crédit à ces rumeurs qui font état d’une arrestation vous concernant à votre arrivée à Brazzaville ?

Ouabari Mariotti : Au nom de quelle logique , devrais-je être mis aux arrêts à mon arrivée à Brazzaville? Pour vous relayer, aucun dossier judiciaire, devant les tribunaux congolais, ne me vise. N'étant, par ailleurs, pas du tout impliqué dans une quelconque enquête. Le moment venu, je prendrai l'avion pour le Congo. C'est mon pays. Je l'aime intensément. J'y ai des intérêts familiaux et patrimoniaux ainsi que des sépultures de mes proches dont celle de mon fils Didi O que je visite presque toutes les semaines quand je suis à Brazzaville, au cimetière public du centre-ville où l'on doit se frayer un chemin dans la broussaille pour avoir accès aux tombes. Singulière et triste, cette tenue de ce cimetière par la municipalité de Brazzaville qui ne prend pas la peine de le nettoyer d'autant qu'est coûteuse l'acquisition des fosses. Le symbolisme des tombes, pour les vivants, dans un cimetière, ne représente rien, pour cette municipalité. D'où leur abandon dans l'herbe, jouxtant des tas d'immondices. Le Ministère en charge des municipalités devrait s'en préoccuper.

De la France où je réside, depuis plusieurs années, au gré de circonstances personnelles, j'écris, sans cesse, sur les réseaux sociaux, sur la culture et les questions de société. J'interviens sur le Congo. Là, est mon modeste apport, à l'instar des milliers des congolais, à la prospection intellectuelle des pistes devant sortir mon pays de l'impasse actuelle.

Mes posts dérangeraient-ils le pouvoir en place à Brazzaville au point de susciter la rumeur sur mon arrestation, une fois atterri au Congo? Si tel est le cas, c'est une volonté manifeste du régime du président Sassou Nguesso de nuire à ma personne. Et je me sens en disposition de m'adresser, par courrier, à la présidence de la République, par les voies officielles, pour signaler le fait. Prenant la précaution d'alerter ailleurs.

J'analyse, critique et énonce, le cas échéant, quelques suggestions. Ce qui est mon droit de citoyen congolais, au nom des libertés reconnues. M'interdisant de procéder à la diffamation et de proférer des injures persuadé que la meilleure arme pour le pouvoir contre celles-ci, c'est le mépris pour elles et à l'égard de leurs tenants. Des congolais, détenteurs de fortunes douteuses dont les origines et les modalités d'acquisition sont décriées circulent librement. Nullement inquiétés par l'inspection d'État, la cour des comptes, les procureurs des tribunaux et la police des frontières. Voyagent également tranquilles, sans tracasseries, ceux dont les dossiers judiciaires de crimes économiques ou humains n'ont jamais été ni ouverts, ni définitivement clos.

Des agents de l'État, des services ou autres sociétés para étatiques émargent au Congo, mais résident, avec salaires, à l'étranger, sans y être affectés. Ce sont ceux-là, possibles ennemis du peuple, qui devraient être placés dans la visière du contrôle public, tout en veillant à leur présomption d'innocence. Pas moi , jusqu'ici de bonnes mœurs, qui m'exprime ou écris, dans les règles, pour extérioriser mon amour pour mon pays et désapprouver en toute légitimité, son mauvais traitement par ses dirigeants.

Les Échos du Congo Brazzaville : Sous les mandats antérieurs du président Sassou Nguesso, vous avez été successivement directeur de cabinet, secrétaire général aux Affaires étrangères par intérim, secrétaire général auprès du premier ministre, directeur au conseil économique et social. Pourtant, jamais vous n’avez été ni dirigeant ou simplement membre du Parti congolais du travail. Que vous l’acceptez ou pas, on ne peut pas avoir occupé ces postes, sans une quelconque affinité avec le président Sassou, surtout que vous êtes nés sur des terres proches, lui à Oyo, vous à Mabirou, à quelques encablures d’Oyo, sur la rivière Alima ?

Ouabari Mariotti : Je n'ai aucune affinité particulière avec le président Sassou Nguesso. C'est le président de la République. Comme d'autres cadres du pays, sous le régime du parti unique, sans être membre du PCT, j'ai été affecté à des niveaux de responsabilité de l'appareil de l'État. Je n'en finirai jamais de remercier les autorités qui, à l'époque, ont proposé au gouvernement que j'y sois désigné. Comme je dis ma reconnaissance à ces conseils des ministres qui ont validé mes nominations.

Le voisinage d'Oyo et de Mabirou est un hasard du phénomène du peuplement des hommes, le long de la rivière Alima, pour des activités agraires, piscicoles et forestières, au cours des générations. Mabirou, mon lieu de naissance, est la transcription coloniale de l'appellation Abessi d'une des langues de peuples de la région, les Mbochi.

Passées plusieurs années, j'ai effectué de nombreux voyages d'État dans les délégations officielles du président Sassou Nguesso, de par mes fonctions au Ministère des Affaires étrangères. Aux occasions où, lors de ces déplacements, pour des besoins de service, je rencontrais le président Sassou Nguesso, nous n'échangions que sur les questions africaines et internationales. Jamais sur autre chose. Donc, ni sur le val de la rivière Alima, ni sur les localités d'Oyo et de Mabirou qui, du reste, était en déclin suite à deux situations contre lesquelles les populations locales n'ont eu que leurs yeux pour pleurer. Le transfert par l'administration coloniale à Abala du poste administratif qui y siégeait, suite à une invasion de la mouche tsé tsé dans le secteur. Puis l'arrêt de la navigation fluviale sur l'Alima de la batellerie de la Compagnie Française du Haut et du Bas Congo (CFHBC) qui avait édifié à Mabirou un rudimentaire débarcadère de passagers et de collecte des produis agricoles.

Je sais, comme tous les congolais, ce qu'est Oyo pour le président Sassou Nguesso. Mais, en aucun cas, je n'ai imaginé que le président pouvait avoir une idée de ce que représente Mabirou pour moi. S'il s'en est rendu compte ou l'a appris, c'est par ses propres sources. En tout cas, je l'ai écrit. Jamais, je n'oublie ce lieu natal.

Les Échos du Congo Brazzaville : Il y a quelques temps, vous avez démissionné de la Fédération de l'Opposition Congolaise. À tort ou à raison, on a dit de vous : « si vous n’êtes pas à l’opposition, c’est que vous êtes avec le président Sassou Nguesso». Finalement, où êtes-vous ?

Ouabari Mariotti : D'une décision de la coordination du Frocad, j'ai été désigné délégué en Europe de cette plateforme politique congolaise, en août 2015, au lendemain du dialogue alternatif de Diata. Puis, implicitement, représentant de la fédération de l'opposition congolaise, lors du regroupement en organe unique du Frocad, de l'IDC et de la Composante Jean Marie Michel Mokoko. À ces tâches, j'ai donné, dans des conditions pas toujours aisées, le meilleur de moi-même.

Début 2018, m'est arrivé l'inattendu. Je me suis retrouvé, non de mon fait, devant une exigence politique de la fédération de l'opposition congolaise dont je n'en reviens pas jusqu'à ce jour. Choisir entre deux postures, l'une ou l'autre. Soit demeurer à la fédération en prenant congé de l'UPADS, soit répondre de l'UPADS et me désengager de la fédération. M'étant rendu l'évidence de ce que l'UPADS n'était pas une formation coéquipière de la fédération, j'ai pris l'option de réaffirmer ma qualité de membre de ce parti. Ce qui ne me soustrait nullement du combat patriotique que mènent les forces républicaines congolaises pour une alternative nouvelle dans leur pays. Et, c'est une erreur de jugement de penser qu'en quittant la fédération, je devenais ipso facto l'allié du président Sassou Nguesso. La constance est l'un des traits de mon caractère que je cultive le plus.

Depuis mon départ de la fédération, ma ligne politique n'a pas varié. Je n'ai rien renié. N'ai pas changé de partenaires politiques pour me retourner, par opportunisme, vers ceux du pouvoir. Le fond de mes écrits, sur les causes justes congolaises, est demeuré le même. Sur la place de Paris, je ne me suis pas distancé de la lutte de la diaspora pour le changement, marquant toujours ma présence, quand je le peux, aux manifestations essentielles. Vis -à - vis de l'UPADS où, depuis le congrès de 2013, je ne suis assis dans aucune instance de commandement, je ne taris pas de réflexion. Réflexion pour que l'UPADS travaille à la clarification et au renforcement de ses positions au sein de l'opposition. Réflexion aux fins que ce parti ne se départisse pas de ses idéaux fondateurs. Réflexion pour que l'UPADS œuvre à endiguer la dispersion des militants, les rassemble et colle dru à leur légitime ambition de reconquérir, à nouveau, le pouvoir d'État. Et par-dessus tout, j'exhorte la direction de l'UPADS à trouver les manières d'accélérer sa marche vers son congrès dont le délai légal de convocation est dépassé.

Les Échos du Congo Brazzaville : L'on rapporte dans l'opinion que l’UPADS entretient des relations ’’ donnant donnant incestueuses ’’ avec le pouvoir. Qu'en pensez-vous? Et quels sont vos rapports avec le premier secrétaire de l’UPADS, Pascal Tsaty Mabiala ?

Ouabari Mariotti : Aux dernières élections générales congolaises, trois formations politiques se sont distinguées. Le PCT, l'UPADS et YUKI, chacune dans la proportion de ses suffrages. S'il s'était établi des relations " donnant donnant incestueuses" entre l'UPADS et le pouvoir, l'UPADS ne s'en tirerait pas avec la portion congrue des députés, sénateurs et conseillers qui la représentent dans les assemblées. Le donnant donnant étant une prestation, contre une chose, équivalente à ce qu'on donne soi-même, l'UPADS se serait rapprochée des quota dominants du PCT. Ce qui n'aurait pas étonné, d'autant que l'UPADS est maillée sur le territoire national. Ses résultats électoraux en 1992 l'attestent.

Par ailleurs, au terme de la mise en œuvre des dispositions constitutionnelles sur les partis, Mr Pascal Tsaty Mabiala, premier secrétaire de l'UPADS, assume le leadership des partis de l'opposition, ce qui lui confère le statut du chef de l'opposition. Dans l'opinion, l'on décrie ce statut et les conditions de sélection des formations politiques légalisées. Une contestation défendable à double titre. D'une part, parce que la formalisation de ce statut devrait plutôt être du ressort de l'assemblée nationale que de celle de l'exécutif, en raison du principe de la séparation des pouvoirs. De l'autre, au motif que la sélection des partis reconnus, manquant de transparence, a pêché par son opacité. D'où les soupçons qui en résultent.

Le leadership de l'opposition aurait pu échoir à un autre parti qu'à l'UPADS. Mais la loi a tranché. Même si l'on ne comprend pas que des formations à large audience comme l'UPRN, le PSDC, le CAP, le MUST et le RDR aient été éliminées de la liste des associations légalisées alors que celles dont les effectifs de partisans ne se limitent qu'à leurs familles ont été acceptées. Ici encore n'est pas prouvé" le donnant donnant incestueux" pouvoir-UPADS. De notoriété publique, sont avérés au Congo des cas où la corruption commande des comportements politiques. Est-ce-t-il assez, parce que le premier secrétaire de l'UPADS est en charge du leadership de l'opposition, pour en déduire , de facto, que l'UPADS entretient des relations "donnant donnant incestueuses" avec le pouvoir? Je ne le crois pas.

Si des indices de cette collusion existaient, ils seraient brandis pour tordre le coup à l'UPADS. Le paysage politique congolais n'est pas constitué que d'amis de l'UPADS qui le couvrent à toute épreuve. Pascal Lissouba a remporté les présidentielles congolaises en 1992, au deuxième tour du scrutin, contre Bernard Kolélas, grâce à un accord républicain de report des suffrages du PCT et alliés. Pourrions-nous conclure également, ici, que des relations "donnant donnant incestueuses" étaient scellées, à l'époque, entre les camps de Pascal Lissouba et ceux de Sassou Nguesso?

Pour marquer la libre marge de manœuvre des deux parties dans cet accord, celui-ci a été rompu dès lors que des incompréhensions se sont installées entre les présidents Pascal Lissouba et Sassou Nguesso.

Enfin, pour tout vous dire, mes rapports avec Pascal Tsaty Mabiala sont amicaux. Nous nous connaissons de longue date. De Paris, je communique avec lui. Ce qui n'est pas suffisant. D'où mes appels à son endroit pour exiger de lui, de par son rôle politique, lors de ses séjours à l'étranger, plus d'écoute des militants de l'UPADS et des autres des partis de l'opposition dont il exerce la coordination.

Les Échos du Congo Brazzaville : Tout le monde sait que vous étiez très ami avec Martin Mberi. Que pensez-vous du dialogue dont il a reçu mission. Y serez-vous, si vous y êtes convié ?

Ouabari Mariotti : Je n'étais pas un ami de Martin Mbéri. Je suis un ami de Martin Mbéri. Tous les deux, nous sommes les enfants de Ouenzé Brazzaville. Avec en partage tant de choses, dans notre jeunesse, à l'UPADS et au gouvernement, sous le mandat du président Pascal Lissouba. Depuis quelques temps, nos chemins ont divergé. Nos rencontres se sont raréfiées. Néanmoins, nous avons gardé, l'un pour l'autre, toujours la même estime. Pour m'être frotté à Martin Mbéri, je suis persuadé qu'il exercera, avec doigté, la charge du dialogue. Mais l'interrogation primordiale dans cette mission est celle de savoir si Martin Mberi pourrait -il être à mesure de faire du dialogue la force réparatrice qu'attend la nation entière.

Talentueux homme politique, ouvert, d'accès facile, sensible aux enjeux de l'unité et de la concorde nationales, Martin Mberi se contentera-t-il du dialogue réducteur qui se profile à l'horizon, expurgé de certaines forces vives de la nation et d'illustres figures comme Jean Marie Michel Mokoko et André Okombi Salissa? Les partisans d'un dialogue plus large, politiques et société civile confondus, ont les yeux rivés sur Martin Mberi. Ils voudraient de lui plus de lumière et plus de courage aux fins de peser de tout son poids pour obtenir du président de la République qu'il saisisse les motivations profondes d'une telle préoccupation. Comme toute affaire politique, le dialogue n'est pas une science exacte, donc enclin au compromis. Adoptés au parlement, ses textes constitutifs sont modifiables, en cas de nécessité. Le Congo a connu d'antérieures modifications constitutionnelles. Seule suffit notre volonté patriotique de nous éloigner de nos penchants partisans et de quitter les peurs qui nous tiennent. La nation en sera reconnaissante. Des partis représentés au parlement, du PCT et alliés à YUKI , en passant par l'UPADS, aucun n'est opposé à l'apaisement, à la réconciliation et la recherche des solutions pour la survie du pays, dans le cadre d'une concertation nationale. Rejoignant, sur ces questions essentielles, le collectif des partis de l'opposition, la fédération de l'opposition congolaise, la société civile et le conseil œcuménique du Congo. Tous défendent ces causes. Et nul ne fait injure à personne en usant honnêtement de sa raison.

L'homme politique n'est reconnaissable ni par les agréments de son discours, ni par sa présence aux institutions d'État. L'homme politique s'identifie par sa parfaite conformité de vue et de sentiment avec le peuple. Aujourd'hui, le peuple congolais, dépité des dialogues antérieurs qui se sont contentés du surplace, en appelle à un vrai dialogue. Me concernant, au regard des normes officielles actuelles de participation au dialogue, je ne pourrais y prendre part. Peut-être y accéderais- je, une fois le dialogue requalifié en s'ouvrant plus largement.

Les Échos du Congo Brazzaville : Pour terminer, Mr le ministre, l’opposition a beau dire sur le président Sassou Nguesso, il est là. Et les présidentielles de 2021 pointent à l'horizon. N'est-il pas temps, pour l’intérêt national, pour elle, de composer avec lui et de regarder ensemble comment faire avancer le pays, plutôt que de stigmatiser à tout prix, quand bien même, on sait que les conflits, quels qu’ils soient, prennent fins par des négociations ?

Ouabari Mariotti : C'est vrai que l'opposition a beau dire sur le président Sassou Nguesso, celui-ci est toujours en place. Peut-être qu'il serait candidat au renouvellement de son mandat en 2021. Au cas où, pour l'intérêt supérieur du pays, l'opposition devrait s'asseoir avec lui pour réfléchir à la manière d'aller vers plus de progrès, la démarche y aboutissant devrait être trouvée dans un cadre de libre expression de la nation réunie. D'autant qu'assurément, les conflits prennent toujours fin par des négociations.

Jamais, les déclarations de l'opposition n'ont consisté qu'à flétrir le pouvoir. L'opposition, dans un élan républicain, s'est toujours placée dans des postures constructives. De mon avis, ce n'est pas tant le principe de la cohabitation de l'opposition avec le président Sassou Nguesso qui serait invalidante pour le pays. Ce sont plutôt les contours de cette cohabitation qui le seraient, s'ils sont mal définis, parce que le pouvoir du président Sassou Nguesso est un système qui, de sa main mise sur tous les rouages de l'Etat, cause du tort au pays.

Composer avec un tel système suppose qu'en seraient radiés ses facteurs exogènes et endogènes qui ternissent la Nation et l'État, au terme d'une commune formulation d'une nouvelle manière de gouverner. Dans la perspective des prochains scrutins dont les présidentielles, la refondation du dispositif électoral en vigueur s'impose. Celui-ci n'a fait que contribuer à défoncer la Nation. J'ai là-dessus attiré l'attention des forces de l'opposition sur l'utilité de s'allier autour d'une ligue pour la refondation du système électoral, à partir du compromis passé entre les cinq candidats de l'opposition aux dernières présidentielles anticipées de mars 2016. C'est le silence jusqu'à ce jour, aucune réaction à cette initiative n'a été enregistrée . Ce qui n'exclut pas que des prétentions légitimes pour 2021 se font jour, se passant de toutes les déceptions nées des scrutins antérieurs, faute de clarté et de démocratie.

Au lendemain de la conférence nationale, un partage du pouvoir entre le président Sassou Nguesso et les forces de changement du premier ministre André Milongo a été vécu dans l'apaisement. Il a débouché, à la satisfaction générale, sur des élections générales transparentes et démocratiques. Le pays a gagné. Cette période est devenue une référence pour la Nation. Ce temps est derrière nous. L'eau a depuis coulé sous les points. Mais la sagesse commande une adaptation de ce passé, plein de lumières, avec le présent qui en a besoin pour s'illuminer. Les contextes se ressemblent.

Pour accéder à la sagesse, il faut le vouloir. Qui veut peut. "Celui qui, le matin, a compris les enseignements de la sagesse, le soir, peut mourir heureux," s'était écrié Confucius au VIème siècle avant Jésus Christ.

Propos recueillis par Jean-Jacques Jarele SIKA et Benoît BIKINDOU / Les Échos du Congo Brazzaville