Congo : Les enfants forçats de la brique rouge de Dolisie

La brique en terre cuite est toujours au meilleur de sa forme à Dolisie dans le département du Niari (sud). La brique rouge s'invite d’ailleurs dans tous les quartiers de la capitale de l’or vert. Une brique qui s’inscrit depuis la nuit des temps dans une démarche d’économie circulaire favorisant le circuit court et l’emploi local.

Ludovic sue à grosses gouttes sous une chaleur torride. A 17 ans, la boue jusqu'aux genoux dans ses vêtements troués, il confectionne des briques en terre cuite dans la capitale départementale du Niari, Dolisie, comme des dizaines d'autres enfants de la troisième ville du Congo.

Ils travaillent sur un grand terrain près du quartier Tahiti. Pas un arbre pour trouver un peu d'ombre. Le souffle de l'harmattan n'apporte qu'une légère brise au climat de la ville préfecture du Niari.

Ludovic, dont nous ne livrons que le prénom pour préserver son anonymat, malaxe avec ses pieds de la terre argileuse, mélangée à de l'eau. Il en remplit ensuite des moules. Un travail harassant pour son corps malingre.

« J'ai mal au dos à force de travailler ici », lâche-t-il, sans se détourner de sa tâche. Un an qu'il fait des briques. Pour six heures de labeur par jour, il gagne environ 2000 francs CFA.

« Mais je n'ai pas le choix, je dois subvenir à mes besoins », plaide-t-il.

Il vit dans une maison de fortune dans un quartier tout proche et travaille six jours par semaine.

Un peu plus loin, Germain, 16 ans, s'affaire au transport des briques. Malgré un buste chétif sur des jambes rachitiques, il porte chaque fois jusqu'à quatre briques, pas loin de 12 kilos.

« Je gagne environ 500 francs par jour, je viens ici juste après l'école », assure-t-il, à bout de souffle.

D'autres enfants à peine plus âgés, en haillons, font les mêmes allers-retours, payés par le propriétaire pour transporter les briques du lieu de fabrication à celui de vente.

Là, des centaines de piles de briques en terre cuite s'amoncellent.

Ces dernières années, le commerce des briques en terre cuite s'est accru considérablement, avec la flambée du prix du ciment. Les fabriques ont essaimé dans toute la ville de Dolisie.

Selon les estimations, l'activité économique au Congo aurait augmenté de 1,5 % en 2022, après la contraction de 2,2 % enregistrée en 2021. Le taux de croissance économique en 2022 n'a pas été assez fort pour faire baisser le taux de pauvreté. La part de la population (5,7 millions d’habitants, dont 47 % sont âgés de moins de 18 ans) vivant sous le seuil international d'extrême pauvreté a légèrement augmenté de 52,0 % en 2021 à 52,5 % en 2022.

Le Congo-Brazzaville a ratifié des conventions internationales qui prohibent le travail des enfants de moins de 14 ans mais. En raison des difficultés économiques, beaucoup de familles sont contraintes de laisser leurs enfants travailler dans des conditions de travail "très dures", de "longues heures" et des "bas salaires".

La figure couverte de boue, les vêtements poussiéreux, Jonas, 16 ans, répète inlassablement les mêmes gestes pour malaxer terre et eau avec une pelle. Depuis ses 15 ans... « J'ai mal aux bras à force », avoue-t-il au milieu d'une fosse. « Je gagne environ 1000 francs par jour, mais je donne tout à ma mère pour qu'elle puisse nous nourrir, mes frères et moi », poursuit-il.

Mais la brique en terre  cuite fait vivre ou survivre aussi des adultes

« Je réussis à en faire 250 par jour pour 125 FCFA l’unité, ce qui me permet de gagner un peu d'argent, même si ce n'est pas suffisant pour vivre », souffle Mesmin, 40 ans, instituteur pendant une partie de la journée.

Rodrigue, fine barbiche du haut de ses 30 ans, fait figure de vétéran dans cette fabrique-là: il a commencé à travailler en 2015.

« Evidemment que c'est dur, mais comment je fais pour manger si je ne fais pas cela ? », assène-t-il, fataliste, à proximité d'un four dégageant une chaleur étouffante et une odeur âcre qui irrite la gorge.

« Comme mes parents n'ont pas les moyens, ils m'ont forcé à venir ici pour ramener de l'argent », poursuit-il.

Rodrigue exhibe ses deux mains, balafrées. « On se blesse régulièrement ». Le jeune homme, qui suit en parallèle des études pour devenir mécanicien, gagne environ 12.500 francs CFA, chaque semaine, qu'il reverse intégralement à ses parents.

« Depuis que je travaille ici, je vois de plus en plus d'enfants venir faire des briques, c'est vraiment compliqué pour tout le monde », déplore-t-il.

Près d’un jeune actif sur cinq de 18-40 ans est au chômage. Cela fait plus de 20 ans que le taux de chômage des jeunes se situe à un niveau très élevé à Dolisie.

Des générations dont toute la carrière s’est déroulée sur fond de chômage approchent aujourd’hui de l’âge de la retraite. Avec des conséquences plus graves pour les moins qualifiés dont l’insertion dans l’emploi durable est plus longue.

On aurait tort de minimiser le chômage des plus âgés. Depuis la fermeture de SOCOBOIS, la société congolaise des bois, la capitale de l’or vert a enregistré davantage de chômeurs parmi les plus de 50 ans.

Germaine MAPANGA / Les Echos du Congo-Brazzaville