CEMAC : Les sorties de devises triplent en 5 ans malgré une règlementation des changes jugée restrictive

Selon une note de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac), dont Investir au Cameroun a obtenu copie, les transferts sortants dans la Cemac (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée équatoriale) sont passés de 2 816 milliards à 10 120 milliards de FCFA, entre 2018 et 2022. En 5 ans, les sorties autorisées de devises ont donc plus que triplé. Il s’agit des sommes d’argent en monnaie étrangère utilisées par les agents économiques privés et publics en activité dans la Cemac, pour acheter des biens et services, régler des dettes, transférer des dividendes ou encore faire des dotations à l’extérieur de la zone.

En 2022, trois secteurs d’activités ont concentré 67% de la totalité des transferts sortants autorisés. Il s’agit de la finance-assurance (26,76%), du commerce (25,73%) et de l’industrie pétrolière (14,20%). Dans le détail, il a été question pour les opérateurs de ces secteurs d’activités de régler les compensations débitrices sur les opérations de monétique et de transferts rapides, les importations de produits alimentaires, manufacturés et pétroliers raffinés.

Ces données contrarient quelque peu le discours des agents économiques de la sous-région, qui n’ont de cesse d’accuser la nouvelle règlementation des changes de restreindre les échanges avec l’extérieur, et particulièrement les transferts de fonds sortants. Ce règlement, adopté en décembre 2018 et entré en vigueur en mars 2019, définit l’organisation, ainsi que les conditions et modalités de réalisation des échanges avec l’extérieur. Il s’agit d’une des réformes du programme économique et financier, mise en œuvre avec l’appui du Fonds monétaire international (FMI). Il a été adopté lors du sommet extraordinaire des chefs d’État de la Cemac, tenu en décembre 2016 à Yaoundé, pour reconstituer les réserves de change de la communauté et éloigner le spectre de la dévaluation de sa monnaie, le FCFA.

Lutte contre l’évasion des capitaux

Pour ce faire, le texte vise notamment à lutter contre l’évasion des capitaux, en demandant aux opérateurs économiques de justifier les transferts d’argent hors de la Cemac. Arrivée à la tête de la banque centrale en 2017, Abbas Mahamat Tolli avait affirmé, au sortir du dernier Comité de politique monétaire de cette année-là, que beaucoup d’opérations de transferts sortants sont en réalité des sorties illégales de capitaux. Selon ses chiffres, en 2017, près de 40% des demandes d’importation étaient frauduleuses.

Face aux pressions des milieux d’affaires opposés à la nouvelle règlementation des changes, Abbas Mahamat Tolli s’emploie à démontrer que le texte n’est en rien restrictif. Pour le gouverneur de la Beac, les agents économiques qui ont du mal à faire des transferts vers l’extérieur sont souvent ceux qui peinent à justifier leurs précédentes opérations, faisant peser sur eux des suspicions d’évasion de capitaux. Néanmoins, le 23 juin 2021, la banque centrale suspend les rejets de dossiers de transferts pour « défaut d’apurement (c’est-à-dire de justification des opérations précédentes) ».

Il peut aussi arriver, ajoute la Beac, que les opérateurs économiques soient victimes des turpitudes ou des politiques internes à leurs banques. « Certaines banques de la Cemac ont pris sur elles de retenir les dossiers de transferts des sociétés stratégiques, en leur faisant croire que leurs demandes avaient été rejetées par la Beac, alors même qu’elles n’avaient jamais été déposées à la Beac », dénonçait par exemple la banque centrale en juillet 2019, lors d’une réunion de sensibilisation sur le nouveau règlement des changes.

La Beac avait à la même occasion annoncée des contrôles permanents visant à éviter ce type de comportement et sanctionner les contrevenants.

Germaine MAPANGA / Les Echos du Congo-Brazzaville