Congo - Fer de Mayoko : Et si les génies du Ndjobi étaient fâchés contre Sapro ?

Depuis l’implantation de la société Sapro sur le canton de Mayoko où elle exploite un gigantesque gisement de fer, et au regard des difficultés structurelles qui s’accumulent, il y a de quoi dire que les mânes de la contrée n’ont pas du tout donné leur onction à ladite société. Le fer pourrait faire le bonheur de la société Sapro ou la plonger dans un chaos sans fin. Sans doute que son PDG, Paul Obambi est irrévocablement condamné à subir ce que certains ont appelé la « malédiction des matières premières », faute pour lui, de n’avoir pas tenu de conciliabule avec les anciens, dépositaires du pouvoir du rite ndjobi et confidents des génies de la terre.

La ville de Mayoko dans le Niari (sud) bénéficie actuellement d’une nouvelle vague d’intérêt économique eu-égard à ses ressources naturelles. Entre temps, un débat est récurent, celui des retombés qui vont impulser le développement de cette petite bourgade, notamment en matière de santé, de scolarité, de voies de communications ou encore la sauvegarde de l’environnement, en somme « le partage de la rente minière » et les droits des populations locales.

Il n’est un secret pour personne, que la population de Mayoko a toujours dénoncé l’attitude qu’elle qualifie « d’esclavagiste », de l’entreprise Sapro, chargée de l’exploitation des mines de fer. La société a gelé les embauches pour les populations locales. Bien pire, se plaignent les anciens, elle a organisé le rituel de lancement de l’exploitation à Pointe-Noire au lieu de le faire à Mayoko. Erreur !

Les autochtones de Mayoko ne sont plus embauchés par l’entreprise Sapro. Pour les besoins des petites prestations, l’entreprise importe la main d’œuvre bon marché venant des autres villes. Cette situation incommodante a provoqué l’ire des natifs de Mayoko. Une situation qui altère la production du minerai de fer et un problème qui entraine des corrosions et donc l’inefficacité de la production.

Les populations de Mayoko exigent le recrutement des jeunes des villages impactés par la mine et des actions de développement des villages, notamment l’adduction d’eau potable, l‘électrification, la construction de centres de santé et d‘écoles primaires.

La prise en compte de la main-d’œuvre locale encore appelée contenu local est considérée très faible et insuffisante par les autochtones de la ville de Mayoko.

Selon les jeunes de Mayoko interrogés, seuls les candidats venus d’autres coins sont recrutés au détriment des autochtones qui se disent marginalisés. Ils n’ont qu’un seul désir : être embauchés au même titre que ceux venus d’ailleurs. Ils condamnent avec véhémence le recrutement sélectif, tribal et déséquilibré.

Pour tenter de comprendre la réalité de cette « malédiction des ressources naturelles », il faut comparer le niveau de vie des ménages vivant à l’époque de la Compagnie minière de l’Ogooué (Comilog) à Mbinda, Makabana…avec la situation de ceux vivant actuellement à Mayoko, avant et après le boom minier.

Selon les populations de la contrée, le train voyageur ne circule plus depuis plus de 9 mois sur l'axe Pointe-Noire-Mbinda via Dolisie pour donner la priorité au train minéralier de Sapro,  faute des gares pour assurer la régulation permanente des trains,  ce qui n'était pas le cas par exemple à l'époque de la Comilog où les trains de manganèse circulaient au même titre que les trains voyageurs et marchandises du CFCO sur les mêmes rails. La présence de Sapro dans le district de Mayoko prive ainsi la population du train voyageur pour se mouvoir librement sur le reste du pays. Résultat, les raisons de la colère sont multiples et les malédictions se multiplient.

Récemment ils ont recouru au ‘’Ndjobi’’, un fétiche redouté dans la contrée. Pour les dirigeants de Sapro, « croire ou ne pas croire » au Ndjobi, là est toute la question pour un fétiche qui une fois libéré, conduirait parfois jusqu'à la mort des personnes ciblées.

L'originalité du Ndjobi réside dans son ambivalence : il est à la fois dangereux et salutaire, et ésotérique. Malgré sa multifonctionnalité et son efficacité affirmée, sa perception est très contrastée dans l'opinion publique. Il est, pour certains, une association de sorciers, et une société initiatique pour d'autres. La création et l'essor du Ndjobi au Congo mettent en évidence la dynamique de l'inventivité sociale dans le domaine magico-religieux observée depuis des décennies.

Pour une très bonne sérénité dans l’exploitation du gisement de fer de Mayoko, Paul Obambi devrait discuter avec les sages et notables de la ville et payer également pour le cérémonial de retrait du Ndjobi, un ‘’désenvoutement’’ en somme, pour ‘’décolérer’’ les ''puissants'' esprits du fétiche. Désormais, entre Ndjobi d’un côté et Moungala de l’autre, il y a de quoi dire que Sapro est pris sous les tirs croisés de deux fétiches dont les esprits en colère ont libéré les génies, ce qui n’est pas pour fructifier les activités de Sapro Sujettes à la ‘’malédiction’’. C’est aussi cela, l’Afrique mystique, qui contraste d’avec le rationnel.

Cette malédiction se pose dans toutes les villes riches en ressources où la majorité de la population connaît la pauvreté. Leurs plaintes et complaintes attristent les génies qui se fâchent autrement que par un sort maléfique sur ceux qui à leur yeux, dérobent les richesses sur lesquelles ils veillent, sans contrepartie versée aux leurs.

Depuis lors, la société SAPRO SA éprouve d’énormes difficultés pour évacuer son minerai de fer de Mayoko jusqu’à Pointe-Noire en passant par Dolisie.

En mai 2018, le tout premier train minéralier de 20 wagons de la société Sapro a écrasé un sexagénaire après la ville de Mossendjo. Le même mois, le deuxième train minéralier de Sapro a déraillé entre Mayoko et la gare de Tsinguindi dans le Niari (sud). Six wagons chargés de plusieurs tonnes de minerai de fer sont sortis des rails et se sont renversés. Et  même le train envoyé pour le dépannage est tombé en panne à quelques kilomètres du lieu du déraillement.

Les dégâts de l’accident s’élèvent à plusieurs millions de FCFA, ce qui inclut les dommages subis par les wagons et l’infrastructure ferroviaire.

En décembre 2018, le troisième train minéralier de la société Sapro en provenance de Mayoko a été immobilisé à la gare de Dolisie par manque de carburant. Selon une source digne de foi, la société Sapro est redevable également au Chemin de Fer Congo Océan (CFCO). Une situation qui intervient au moment où les travailleurs de la société minière Sapro ont à nouveau organisé une série de grèves et de manifestations dans la ville de Mayoko, après plus de trois mois sans avoir touché leurs salaires.

En mai dernier, son excavateur, engin de terrassement équipé d'une chaîne à godets montée sur une élinde ou une roue-pelle, s'est renversé sur le mont Lekoumou à Mayoko. L'opérateur de l'engin a réussi à s'extirper in extremis de sa cabine.

En avril dernier, quelque vingt-trois mille tonnes de fer extraites par Sapro Mayoko SA, ont été chargées, au Port autonome de Pointe-Noire, dans le bateau Ivy Ocean de la compagnie Ashley Global Shipping, à destination de la Chine. À l’occasion, un rituel fut organisé à Pointe-Noire. Cela fut perçu par les anciens à Mayoko, comme un rejet de leur existence. Et si les esprit du ndjobi et du moungala étaient désormais libérés et sont entrés en conflit ouvert avec Sapro ?

Des ‘’tirs croisés’’ disions-nous, qui peuvent être lourds de conséquences, si ce n’est pas déjà le cas.

Lundi 1er juillet 2019, un autre train minéralier et un train de marchandises de la compagnie du chemin de fer Congo-océan (CFCO) sont entrés en collision dans la zone de Ngondji, près de Pointe-Noire. Le bilan fait état d’une vingtaine de morts, ainsi que de nombreux blessés.

Les témoignages recueillis relèvent que les conducteurs du train marchandise, ayant remarqué que le train minéralier venait en face, auraient immobilisé leur rame. Convaincus que la collusion frontale était inévitable car en face, on semblait ne pas voir le danger, les machinistes ont eu le temps de quitter la locomotive.

Surpris par l’obstacle, les conducteurs du train minéralier n’ont pas eu le temps de freiner. Ils se sont emboutés à toute vitesse dans la rame en stationnement. Le choc frontal leur a été fatal. Les deux conducteurs sont décédés sur le coup. La violence du choc a été telle que, de nombreux tombereaux, porte-containeurs ont déraillé dans un fracas de tôles froissées, éjectant ou broyant les voyageurs clandestins qui avait pris place au-dessus desdits containeurs, notamment sur les trains de marchandises.

Pour les ressortissants du district de Mayoko, la société n'a aucune considération pour Loba, Mitsoko ou Mabongo. La mine pouvait disparaître avec les engins... Le mont Lekoumou englobe la richesse, la noblesse, la souveraineté d'un peuple ingénieux. Sapro doit connaitre les sachants et les gardiens du temple, pour exploiter éventuellement le trésor qui se repose à côté.

 

«Problème sur problème », comme le chantait un artiste congolais dans les années 90, pour que demain soit meilleur qu’aujourd’hui, Sapro a intérêt à solliciter l’onction des génies des forêts de Mayoko et ses environs pour mieux acheminer, et en toute confiance, ses trains minéraliers au port de Pointe-Noire et du port de Pointe-Noire vers la Chine.

Chadembe Yengo / Les Echos du Congo Brazzaville