Le phénomène des « bébés noirs » : la terreur des quartiers de Brazzaville

Ils sont âgés de 10 à 27 ans et imposent leur loi à coups de gourdin ou de Douk-Douk, ce couteau de poche inventé par la coutellerie Cognet en 1929. Ils gagnent du terrain dans la capitale. Tant pis si, pour un téléphone, des bijoux ou quelques billets, ils doivent sortir la machette. Violents et sans états d’âme, les « bébés noirs » sèment la terreur dans les rues de Brazzaville. Ils sont là. Toujours en bande, armés et dangereux. Il y a des quartiers de la ville capitale, où l’on n’ose plus aller la nuit.

« Les bébés noirs sont des terroristes. Je dis bien les bébés noirs ne sont que des terroristes : ils tuent, ils pillent, ils violent les femmes. Nous allons combattre, dès cet instant, les bébés noirs et leurs complices, et nous allons les mettre hors d’état de nuire », déclarait en décembre 2019 André Ngakala Oko, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Brazzaville.

Malgré la bonne volonté etla détermination des autorités du pays qui rassurent mettre tout en œuvre pour éradiquer ce phénomène, ce banditisme urbain touche plusieurs quartiers populaires de la capitale congolaise. Chaque jour, des bandes de jeunes délinquants drogués munis de machettes agressent et extorquent des paisibles citoyens.

«Bébés noirs », ce terme est le symbole d’une violence urbaine morbide équivalente à celle accouchée, voici peu, par les kuluna, autres enfants terribles de la délinquance urbaine exportée par Kinshasa (RDC).

Tous ceux qui ont eu affaire à ces féroces lionceaux humains, ne sont près de l’oublier mais se murent dans un éloquent silence.

On parle d’un niveau d’attaque bestial ne faisant pas de quartier. Les victimes s’en sortent délestées de leurs biens avec, à la clef, de profondes balafres au visage, des bras amputées quand elles n’y laissent pas leur vie.

Les congolais avec leur manie de l’oxymore sont étonnés qu’on puisse être adolescent et se comporter en boucher !

Les « Bébés noirs », arborent des cagoules noires quand ils passent à l’attaque, preuve que ceux qui sont attaqués sont des connaissances qui pourraient les reconnaître.

Les causes du phénomène des « bébés noirs sont multiples et variées. Tout le monde semble avoir sa part de responsabilité. On peut épingler :

Les inégalités sociales, l'irresponsabilité de la cellule familiale (papa ou maman), problème de partage de l'héritage après le décès du père et aussi de la mère, chômage chronique entraînant l'oisiveté, le manque de loisirs, la défaillance du système éducatif, absence de bonnes politiques d'urbanisme avec la présence des quartiers précaires difficilement accessibles, difficultés d'eau et d'électricité, marginalisation des jeunes dans certaines politiques socio-économiques, manque ou détournement des fonds d'investissement pour la prise en charge des jeunes déscolarisés ou non scolarisés, politiques opaques dans les recrutements créant ainsi des frustrations diverses, la pauvreté et/ ou la difficulté d'être pris en charge par les parents, la migration des parents, le mimétisme…

Au regard de cet ensemble des causes à l'origine du phénomène, il est loisible d'y apporter les solutions. Elles doivent intégrer une synergie d'efforts :

- promouvoir l'éducation à la vie familiale, à l'école, dans les églises, les quartiers à travers des Associations et ONG ;

- sensibiliser les parents sur leurs responsabilités vis-à-vis des enfants qui ont des droits et des devoirs que les uns et les autres doivent respecter ;

- mettre en place un système d'orientation scolaire tenant compte des aspirations et prédispositions personnelles des enfants : ceci implique la mise en place ou la remise en place des écoles de métiers qui débouchent à la vie professionnelle immédiatement après l'obtention des brevets d'études professionnelles (BEP);

- créer des ateliers d'apprentissage des métiers à moindre coût pour les enfants déscolarisés et non scolarisés avec module alphabétisation. Ces enfants pourraient ainsi apprendre un métier de leur choix auquel ils s'accommoderaient et leur permettant de se prendre en charge ;

- redynamiser les services de prise en charge scolaire des enfants : relancer les internats, octroyer des bourses scolaires, créer des émulations scolaires. Bref redonner l'intérêt scolaire aux jeunes gens car l'école ne forme que des chômeurs à vie;

- promouvoir la création ou la redynamisation, en milieu ouvert ou fermé, des structures d'encadrement de récupération, d'éducation, de redressement et d'orientation des enfants en danger moral en intégrant les modules d'alphabétisation et d'apprentissage de métiers au choix de ces derniers ;

- créer des ateliers d'apprentissage des métiers à moindre coût pour les enfants déscolarisés et non scolarisés;

- réaménager et installer l'éclairage public et l'électricité domestique ainsi que réparer les rues et ruelles afin de permettre à la force de l'ordre d'accéder facilement dans les quartiers ;

- créer des antennes de deux ou trois éléments de la force de l'ordre aux sièges des quartiers;

- identifier et fermer les fumoirs et les lieux de vente des drogues;

- surveiller et prohiber l'achat de certains produits pharmaceutiques dont l'utilisation est déviée à des fins de stupéfiants ;

- pour éviter l'autodéfense (lynchage systématique des bébés noirs) les forces de l'ordre doivent s'impliquer en mettant en place des numéros de proximité permettant aux populations de les saisir rapidement et elles doivent être réellement opérationnelles. Tout bébé noir arrêté est automatiquement transféré à Aubeville (Bouenza ) ou à Bokania (Cuvette);

- interdire le phénomène des enfants de la rue, véritable antichambre au phénomène des bébés noirs. Aussitôt identité aussitôt orienté vers les maisons d'accueil ;

- adapter le code pénal aux délinquants mineurs ;

- observer des mesures rigoureuses dans les conditions de recrutement dans la force publique : tout candidat ayant un tatouage distinctif lié à l'appartenance à un groupe de gangs est systématiquement écarté et orienté vers Aubeville ou Bokania.

Loin d'avoir cerné tous les contours en apportant quelques solutions au phénomène des bébés noirs, nous y avons plutôt joué notre partition aussi modeste soit-elle.

En définitive le phénomène des bébés noirs est perçu aujourd'hui comme un véritable casse-tête chinois pour les gouvernements et pour la population qui en paye le prix. Le Congo devient comme un sanctuaire où à la moindre incartade on perd gratuitement la vie du fait des bébés noirs.

Cependant, toute personne concernée ou interpellée de par sa position face à ce phénomène devrait s'impliquer à contribuer à son éradication.

Dans certains quartiers, les populations excédées sont parfois obligées de se constituer en « milices d’autodéfense », une pratique qui va pourtant à l'encontre des lois et règlements de la République.

De la parole aux actes, le peuple attend toujours de retrouver sa quiétude en vaquant à ses occupations, sans peur ni crainte d'agression, quelle que soit l'heure, dans tous les coins et recoins de la République.

Germaine MAPANGA / Les Echos du Congo-Brazzaville