L’ONU très inquiète de la situation dans le Pool

Le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour l'Afrique centrale, François Louncény Fall a évoqué sur RFI la crise qui secoue le département du Pool (sud) avril 2016. Une crise qui selon lui, a fait à ce jour 81. 000 déplacés.

RFI : François Fall, vous rentrez du Congo-Brazzaville où la situation dans le département du Pool ne cesse de se dégrader. Est-ce que vous êtes inquiet ?

François Fall : Ça nous préoccupe assez sérieusement. Depuis le mois de mars, il y a quand même une accélération des accrochages entre les troupes de Ntumi et les troupes gouvernementales. Et donc la situation devient de plus en plus grave dans cette zone. Il y a aussi plusieurs districts de la région du Pool qui ne sont pas accessibles à l’humanitaire, et on craint une crise alimentaire. Une malnutrition nous a été signalée, nous sommes très préoccupés par cette situation et aussi par les centres de santé qui ne fonctionnent pas. Depuis, il n’y a pas eu encore de troupes des Nations unies qui ont pu y avoir accès. Y compris le PAM (Programme alimentaire mondial), le CICR (Comité international de la Croix-Rouge) et les organisations des droits de l’Homme. Je pense qu’il y a beaucoup de problèmes.

Vous réclamez aujourd’hui formellement un couloir humanitaire aux autorités ?

Oui, nous avons fait la demande formelle pour qu’il y ait un couloir humanitaire. Le Premier ministre m’a dit qu’il n’était pas opposé, mais le fait est que la sécurité n’étant pas assurée, il leur est difficile d’autoriser les humanitaires d’atteindre ces zones.

Cette réponse vous satisfait-elle ?

Nous prenons en compte l’aspect sécuritaire, mais en même temps on ne peut pas laisser ces populations dans cette zone. Il faut faire quelque chose. Vous parlez de la situation humanitaire, il y a aussi la question des violations des droits de l’homme. De nombreux témoignages de déplacés - de nombreux déplacés - font état d’exactions commises par les partisans du pasteur Ntumi, mais aussi et surtout par les forces armées congolaises. J’imagine que ça vous interpelle. Sur ce plan, nous avons lu beaucoup de rapports venant des ONG. Il nous est très difficile de confirmer ou d’infirmer. Ce que je peux diren c’est qu’il y a près de 81 000 déplacés de la zone et ce déplacement continue, du fait de l’insécurité qui ne cesse de croître. Donc, il y a lieu de s’inquiéter sur les droits de l’homme à l’intérieur du Pool.

Mais il y a tout de même ces témoignages nombreux qui existent. Ce ne sont pas seulement des rapports. Quelle est la position des Nations unies face à tous ces récits d’exactions attribuées notamment à l’armée congolaise ?

Nous demandons que le gouvernement puisse collaborer avec les organismes des Nations unies qui s’occupent de ces questions. Tout cela, c’est parce qu’on n’a pas accès. Parce que s’il y avait l’accès, je pense qu’on aurait fait la lumière sur toutes ces questions. Et cela est de l’intérêt aussi bien du gouvernement congolais, des populations que de la communauté internationale. Et le gouvernement devrait aussi beaucoup plus communiquer sur la situation du Pool, et non pas laisser les ONG seulement dire ce qu’elles veulent. Ce qui est certain, c’est que le gouvernement seulement n’est pas le seul à intervenir militairement. Il y a aussi les troupes de Ntumi qui sont en état de rébellion et qui tiennent les populations en otage, il faut le dire également. Et il faut trouver une solution à cela.

Aujourd’hui, l’option militaire vous semble-t-elle la bonne solution ou faut-il dialoguer avec le pasteur Ntumi ?

Les Nations unies, de façon générale, ne sont pas pour les options militaires. Le gouvernement m'a dit qu’il était en rébellion, qu'il devait sortir et se présenter devant les juridictions pour être jugé. Nous, ce que nous recommandons, c’est que cette voie-là soit trouvée rapidement, pour que les combats puissent cesser dans cette zone et que les populations soient préservées. Ils ont déjà réglé le problème du Pool dans le passé. Je pense que le gouvernement doit pouvoir le faire.

Les bombardements utilisés par les autorités à plusieurs reprises sont-ils justifiés, ou s’agit-il de rechercher un individu ?

Vous savez, cet individu est dans la jungle et dans le maquis. Je pense que les méthodes que le gouvernement utilise, c’est pour le débusquer. Mais ce qui est évident, c’est que ces attaques aussi ont des répercussions sur les populations civiles qu’il faut protéger à tout prix, dans tous les cas de conflits armés les populations civiles doivent être protégées.

Vous déplorez ces bombardements ?

Si ça touche les populations civiles nous le déplorons.

Pensez-vous que dans ces conditions, les élections législatives peuvent se tenir sereinement en juillet prochain ?

Il est évident que dans sept districts, dû à l’insécurité, l’élection ne pourra pas se passer dans ces districts. Est-ce que le gouvernement envisage d’organiser les élections pour les trois autres districts et pour les personnes déplacées ? Quelle est la solution qui est apportée ? Nous n’avons pas encore reçu de réponse à ces questions.

Plusieurs plateformes d’opposition font pourtant de la fin des opérations militaires dans le Pool et de la libération des prisonniers politiques un préalable à leur participation.

Les gens évoquent beaucoup de raisons. Certains ont des raisons à eux. Et d’abord, ceux qui n’ont pas participé au dialogue appelé par le gouvernement, je parle des consultations de Ouessso, nous avons clairement dit à l’opposition qu’elle aurait dû participer à cette assemblée parce que cela leur aurait permis de poser tous les problèmes qu’ils veulent. Chaque fois qu’un gouvernement tend la main à l’opposition pour le dialogue, il faudrait que l’opposition saisisse cette occasion.

Vous pensez que l’opposition devrait participer aux législatives ?

Nous les avons encouragés très fortement. Très fortement. C’est le seul cadre d’expression pour un parti politique. Et aussi nous avons demandé au gouvernement une demande opérationnelle dans le cadre du dialogue permanent qui est déjà dans la Constitution et de le rendre opérationnel, afin que toutes les questions soient discutées. Parce que je pense que quand on prépare une élection il faut continuer à parler jusqu’au dernier moment pour encourager tout le monde à venir.

Vous pensez qu’on peut organiser des législatives, alors que deux des candidats d’opposition à la dernière présidentielle sont en prison en attente d’un procès ?

Nous avons posé la question pour les personnes qui sont détenues. La réponse que nous avons reçue est que ces personnes seraient jugées et nous avons souhaité que ce jugement soit public et qu’il soit équitable. C’est ce que nous avons souhaité. Et en même temps, essayer de trouver une solution à la question du Pool qui est aujourd’hui le grand problème qui constitue quand même une épine dans le pied du Congo.

Germaine Mapanga – source RFI