Congo - Journée de la Femme: Lettre à Madame la Ministre Ines Nefer Bertille Ingani

Madame la Ministre, à l'occasion de la journée internationale de la Femme, je me permets de vous écrire, afin de vous interpeller sur un sujet qui me préoccupe, celui de la banalisation de la prostitution pour de nombreuses jeunes filles congolaises, via les réseaux sociaux. Ce phénomène se transforme en un effet de mode sous-tendu par dit-on une évolution des mentalités, au point que cela semble ne plus émouvoir grand monde, alors qu'il contribue à l'avilissement de la Femme, maillon essentiel de la construction de notre société.

Madame la Ministre,

Il est bien loin, le temps où, ainsi que le relevait Simone de Beauvoir, "partout où il pouvait exister, le statut de la Femme était le fruit d'un cerveau masculin."

Depuis, à travers le monde, la Femme a mené pas à pas ses combats, sa lutte pour la pleine reconnaissance de ses droits, ceux de l'égalité, de l'équité, pour parvenir à son implication pleine et entière à la marche du monde, à coté de l'Homme.

La Femme africaine et de surcroit congolaise a aussi pris part à sa façon à cette lutte qui se ressent par sa pleine participation dans tous les secteurs de la vie nationale, sans qu'elle ne se soit départie de sa mission traditionnelle, celle de Femme et mère, marqueur fondamental de la société dont elle est sans conteste le socle.

Oui, de la Femme et de son rôle, la reconnaissance est unanime. Par delà "l'impérialisme masculin" qui a souvent brouillé le message, mais celà est juste la subsistance de quelques soubressauts des idées retrogrades qui tendent à disparaitre, des éminences ont redonné à la Femme sa noble place.

Édouard Maunick a dit d'elle qu'ellle est "le lieu exact de la naissance".

Sony Labou Tansi la comble d'honneur et s'incline comme un soldat devant son supérieur. "Devant une Femme, je me mets au garde-à-vous et je garde une page de silence", dit-il.

Que dire de Camara Laye qui à travers ce poème, cette ôde à la Femme, à la Mère, nous rappelle que la Femme gouverne nos premiers pas et nous ouvre les yeux aux prodiges de la terre.

De la Femme d'aujourd'hui, Henri Lopes nous rappelle ces mots d'Aragon dans Les cloches de Bâle: "La femme des temps modernes est née, et c'est elle que je chante. Et c'est elle que je chanterai."

La place et le rôle de la Femme, tant dans la préservation de l'espèce humaine que dans l'édification de la société, sont si grands, que même les écritures aussurent, "celui qui trouve une Femme, trouve le bonheur". Pourvu bien sûr que cette Femme capitalise en elle toutes les valeurs qui font d'elle cette "Femme sâge qui bâtit sa Maison". Cette Maison qui par extrapolation, est cette société qu'elle porte dans ses bras, car elle a un sens inné de l’organisation et du devoir.

Madame la Ministre,

De plus en plus de jeunes filles mineures et d’autres à peine majeures, sont portées par l’appât du gain facile, dont le seul moyen d’acquisition reste leur corps. Ces filles de la génération dite « 2.0 » ont au moins un téléphone androïde. Cet objet leur permet d’être présentes sur les réseaux sociaux, notamment Facebook dont elles connaissent les multiples facettes, pour déposer des annonces. Pour les rendez-vous, le réseau de prédilection est WhatsApp, dont les communications sont cryptées. Ainsi, cette porte sur le monde franchie, elles proposent leurs « services » aux hommes en quête d’aventures sexuelles.

Par des photos dévoilant des positions sensuelles, ces filles présentent leurs parties intimes comme un argument de vente telle une marchandise exposée et mise à disposition des éventuels acheteurs sur les réseaux sociaux. Des sites de rencontre déguisés sans aucune règle ni norme.

L’essentiel du message tout aussi direct que grossier qui accompagne les annonces, réside dans la convoitise qu’il suggère et surtout dans le désir qu’il crée auprès des éventuels clients, pour ce racolage virtuel. Les filles y disent leur disponibilité, tout comme elles exhibent leurs prouesses dans la manière de « faire ça », le prix de cette relation tarifée, ainsi que le contact. Ce qui étonne, c’est que ces jeunes filles qui affichent leurs contacts whatsApp, se « vendent » à visage découvert, comme si elles s’adonnaient à une activité des plus naturelles. C'est dit-on, "décomplexé".

C’est à se demander, si ces filles sont en rupture de relation familiale ou qu’elles vivent encore chez leurs parents. Il est vrai que la probabilité pour leurs parents, de tomber sur ces publications est mince, ceux-ci ne disposant pas très souvent de téléphone à même de leur faire croiser le chemin de leurs enfants.

Madame la Ministre,

Face à cette dérive des mœurs qui, outre qu’elle désacralise la nudité de la Femme, acte une quasi déchéance de sa dignité de Femme dont elle réduit le corps à un vulgaire objet de consommation, doit-on y assister résigné ?

« Le monde s’effondre » aurait dit Chinua Achebe. Oui, sans vouloir jouer les mollahs de la « police des mœurs », il y a lieu de reconnaître que s’y l’on n’y prend garde et si rien n’est fait pour réprimer ces pratiques, la société congolaise toute entière se contentera du fait accompli, face auquel plus personne ne pourra rien, le vice étant devenu un fait de société à considérer comme tel.

Les adeptes des théories de la « liberté » justifieront le « droit » pour la Femme de « disposer de son corps » selon ses principes, comme elle le fait désormais pour l’avortement, même sans raisons médicales, l’acte étant à l’évidence décriminalisé.

Madame la Ministre,

Libérée de toutes les pesanteurs qui freinaient sa pleine expansion, la jeune fille congolaise a désormais plus qu'hier, entre ses mains, les outils pour une pleine participation à la vie nationale.

C'est pourquoi, Madame la Ministre, je me permets de vous interpeller personnellement, afin que votre ministère se saisisse du problème, en en faisant une cause nationale, à travers une réelle campagne de « conscientisation » (même si ce mot dérange certains), à l’endroit des jeunes filles, dans les collèges, les lycées et même à l’université, sur ce que la liberté de la Femme ne saurait se réduire à l’usage qu’elle décide de ses charmes et de son corps.

Madame la Ministre,

Il est encore temps d’ouvrir les yeux face à ces délinquances qui dit-on, épousent l’ère du temps. Celles d’une société en mutation. Mutation de la fin des valeurs qui naguère fondaient la respectabilité. Mutation pour la déchéance morale et le laisser-aller, sans que cela n’émeuve outre-mesure. Sans que cela n’interpelle même les esprits policés.

Non Madame la Ministre, les autorités ne peuvent à peine hausser les épaules, comme résignées.

Dire que toutes ces pratiques gravitent autour de l’argent facile qui est devenu la norme existentielle pour tous les âges. Le désir de paraître, dans une société où très peu assument encore leur condition, quelle qu’elle soit, avec dignité.

Madame la Ministre,

Dans un pays où la pauvreté épouse désormais un visage féminin, les jeunes filles acteraient-elles l’assertion d’Honoré de Balzac, que « toute femme a sa fortune entre ses deux jambes »?

Hélas, une « fortune dévoyée », qui plutôt que de l’enrichir, s’en va appauvrir le socle même de la société toute entière, par ces ardeurs libertines de plus en plus portées par une jeunesse qui est pourtant vue comme l’avenir de la Nation.

Madame la Ministre,

Je sais que pour vous, ce chantier n'est pas un combat de trop. Vous pouvez le mener et je vous y invite respectueusement, car vous en avez les épaules et surtout l'étoffe.

Vous ne serez pas seule car ce vaste chantier appelle la mise en commun de toutes les énergies à même de changer les choses.

C'est d'ailleurs le sens de la publication de cette lettre qui autrement, vous serait parvenue sous pli fermé.

Veuillez agréer Madame la Ministre, l'expression de ma considération distinguée.

Bertrand BOUKAKA/Les Échos du Congo-Brazzaville