Congo : Le confinement n’est pas une punition mais une mesure de prévention pour arrêter la propagation du Covid-19 (Thierry Moungalla)

Le ministre congolais de la Communication et des Médias, Porte-parole du gouvernement, Thierry Moungalla a déclaré le 3 avril dernier, dans une interview exclusive accordée à nos confrères du site en ligne Actualités d’Afrique centrale, que le confinement n’est pas une punition mais une mesure de prévention pour arrêter la chaîne de transmission du virus.

AAFC: Monsieur le ministre, les congolais sont confinés depuis le 31 mars avec une mesure de couvre-feu à partir de 20h. Pensez-vous que les populations comprennent le bien-fondé de cette restriction de sortie et d’activités ?

Thierry Moungalla : En France et ailleurs, nous avons tous observé que les premiers jours de confinement ont été des moments d’adaptation. Ils ont permis aux gens de trouver leur équilibre et de comprendre les enjeux ! On en est également là au Congo. Il faut sans cesse expliquer aux populations les raisons du confinement. Il ne s’agit pas d’une punition. Il s’agit d’une mesure de prévention pour arrêter la chaîne de transmission du virus. Il faut que l’on continue à l’expliquer et dans toutes nos langues !

« Notre pays ne va pas réinventer la roue ». Vous vous êtes ainsi exprimé sur Télé-Congo le 30 mars. Vous appliquez donc les recommandations de l’OMS comme partout dans le monde. Ces seules mesures sont-elles adéquates et suffisantes ? S’appliquent-elles au contexte congolais ?

En effet, on ne va pas réinventer la roue. Le virus s’est-il « tropicalisé » en arrivant en Afrique ? Non. Il s’agit du même virus, tout aussi virulent en France, au Congo ou partout dans le monde ! Vouloir appliquer des procédures non conformes aux recommandations mondiales nous ferait passer à côté de l’objectif majeur : éviter que nous ayons des milliers de morts. Il s’agit également d’éviter que notre système de santé, déjà fragile, ne soit totalement dépassé et déséquilibré par une crise sanitaire incontrôlable. Les pays les plus avancés, qui ont pourtant des systèmes de santé en principe totalement structurés semblent débordés. Ferions-nous différemment, dans nos pays africains, si l’épidémie devenait générale ? Les conditions socio-économiques ne sont déjà pas les mêmes. Nous sommes dans une situation exceptionnelle. Il s’agit d’une question de survie pour nos Etats et nos populations.

Vous observez les recommandations universelles de prévention. Selon les pays, ces mesures se complètent par un accompagnement des populations. Qu’en est-il des congolais confinés qui doivent faire face, dans les maisons, à la promiscuité, au manque d’eau et d’électricité ?

Là, vous êtes dans les clichés ! Le manque d’électricité et d’eau n’est ni permanent ni général. Les pays africains connaissent pour la plupart les difficultés que vous décrivez. Le président de la République, SEM. Denis Sassou N’Guesso, a créé un fonds national de solidarité chargé de gérer les conséquences du Covid-19 au Congo. Ce fonds sera abondé à hauteur de 100 milliards de FCFA. Les mesures d’accompagnement seront initiées à partir de ce fonds. Elles seront rendues publiques au fur et à mesure.

Lors de votre intervention télévisée, vous avez sensibilisé aux mesures de confinement. Pensez-vous que votre niveau de langage a été bien compris de tous ? Un français abordable aurait été plus approprié… Qu’en pensez-vous ?

Nous avons trois langues nationales ! Le ministre de la Communication s’exprime sur la télévision publique suivie au Congo comme ailleurs. Il existe des relais appropriés pour que le message soit répercuté dans nos langues nationales. Ce genre de reproche ne me paraît pas pertinent parce qu’il y’a effectivement des émissions d’information en langues. Par exemple, les journaux télévisés en langues nationales ont tous repris le message. Le même message est relayé par les médecins qui se sont exprimés sur Télé Congo. Il y’a eu des émissions spéciales en kituba et en lingala, nos deux principales langues vernaculaires.

Le virus s’est-il « tropicalisé » en arrivant en Afrique ?

Le vrai problème, c’est l’éducation de la population aux gestes barrières. Qu’on le dise en français ou en langues nationales, je pense qu’à peu près tout le monde sait ce que cela veut dire. Sinon, ça m’inquiéterait pour notre population. Quand on dit qu’il faut se moucher avec un mouchoir que l’on jette, on le dit dans toutes les langues, et les gens comprennent. Quand on dit qu’il faut mettre du gel hydroalcoolique ou se laver les mains au savon régulièrement, je crois que les gens comprennent. Quand on parle de la distanciation sociale d’un mètre, les gens le comprennent. Le problème est que, malheureusement, nous avons des gens qui ont un niveau de détresse socio-économique tel, que nombre d’entre-eux choisissent d’ignorer ce message de prévention. Ils croient faussement que régler leurs problèmes du quotidien passe avant leur santé.

Qu’en est-il de la sensibilisation dans les quartiers populaires ?

En matière de prévention, d’apprentissage des gestes barrières et d’éducation citoyenne, il faut reconnaître que le travail est rendu plus difficile dans les quartiers populaires. En France, je constate que le confinement est également moins respecté dans les quartiers populaires. Ce travail de persuasion et d’éducation devra être fait sans relâche et avec persévérance.

Lors de votre interview, vous avez mis en avant l’intervention des experts médicaux sur Télé Congo. Est-ce que cette seule action suffit ?

La crise a démarré chez nous depuis le 14 mars. Cela fait donc environ 3 semaines. En Occident, comme en Chine et ailleurs, la crise a débuté depuis des mois. Nous construisons la riposte et la corrigeons en marchant, comme l’on dit. On ne peut pas concevoir en amont des choses académiques en laboratoire pour ensuite les appliquer. On applique, on répond et quand ça ne va pas, on corrige jusqu’à ce que les choses se mettent en place. Il n’y a aucune idéologie, aucune approche dogmatique. Nous essayons, malgré les imperfections, de riposter à la crise.

Vous avez démontré avoir largement sensibilisé sur les gestes barrières. Sur le port du masque, qu’en est-il ?

C’est une problématique mondiale. Outre nos propres stocks, nous avons reçu un lot de 100 000 masques dans le cadre d’un don fait à chaque pays de l’Union Africaine par le milliardaire chinois Jack Ma, que nous remercions de nouveau. C’est une problématique qui devra être réglée au fur et à mesure.

Que répondez-vous à ceux qui affirment que le Congo a fait un « copié-collé » de ce qui se pratique hors d’Afrique ?

Quelle démarche différente de la méthode appliquée partout dans le monde aurions-nous dû mettre en œuvre ? Le Covid-19 est une maladie qui utilise le corps humain comme véhicule ; il passe de corps en corps, profite de la promiscuité, dans les transports en commun, au travail, au restaurant et parfois même dans nos propres familles, pour réaliser son œuvre macabre de contamination. Il s’agissait donc, outre les gestes barrières, de couper la chaîne de transmission. Il convient de rappeler qu’en trois semaines, nous sommes passés de zéro cas à cinquante, dont cinq décès. C’est dire que l’urgence est là. La maladie connait une dissémination locale et plus seulement importée. Sans le confinement nous risquerions de voir contaminer des milliers de nos compatriotes, avec le danger majeur d’une implosion de notre système de santé. Face à ce danger, les mesures édictées par le chef de l’Etat sont donc le moindre mal.

Que répondez-vous à l’opinion internationale qui prévoit une catastrophe en Afrique ?

Cela part d’un préjugé. On souhaite que ça n’aille pas beaucoup plus loin, que ça ne prenne pas les proportions de l’Europe. Je ne peux pas croire que quiconque souhaite ce type de catastrophe pour l’Afrique, qui a déjà tant d’autres soucis. Nous devons donc prendre les précautions d’usage, dans la limite des moyens qui sont les nôtres ; nous comptons sur le civisme et le patriotisme des populations. C’est grâce à notre discipline collective que la diffusion du virus sera restreinte et ne sera pas incontrôlable.

Les chiffres exacts des cas Covid-19, selon les régions ?

Nous sommes passés à 49 malades.

Et Ouesso ?

Je ne peux pas vous répondre sur les rumeurs venant de la ville de Ouesso. A cause du secret médical. Il faut éviter que la rumeur ne l’emporte sur la raison et sur la déontologie du corps médical. Il y’a des suspicions qu’on ne peut déclarer comme des cas. D’après ce que j’ai cru comprendre des spécialistes, il y’a un protocole de vérification et de confirmation de cas qui est celui de l’OMS. Il faut trois tests. Si les trois sont positifs, on est déclaré positif. Si le premier est positif, vous êtes suspect, si le deuxième est positif, vous êtes toujours suspect ; il faut attendre le troisième test pour être certain que vous soyez déclaré malade.

Quels sont les défis sanitaires du Congo face au Covid-19 ? Vous n’êtes pas médecin, mais éclairez-nous…

Justement je ne suis pas médecin… Mais, ce que je veux dire simplement c’est que les défis sanitaires sont exactement ceux que vous vivez là-bas, mais à notre échelle. Premier défi : le diagnostic des malades. Deuxième défi : la gestion des cas les plus graves, qui nécessitent un envoi en réanimation. Ainsi, le défi est de rendre disponible les infrastructures hospitalières, en cas de survenance de ces cas graves.

En tant que Porte-parole du gouvernement, quelle est la position du Congo face au débat international sur l’efficacité ou non de la chloroquine ?

Je n’en sais strictement rien. Je ne suis pas médecin. Nous suivons tous ce débat avec attention. Je n’ai aucune réponse sur ce sujet à ce stade. On attend de voir comment le débat évoluera.

Pourtant on assiste dans votre pays à une pénurie de chloroquine dans les officines pharmaceutiques…

Je ne sais pas. Je profite simplement de vos propos et de votre question pour dire à nos compatriotes d’éviter l’automédication ! Nos compatriotes, pour l’essentiel ne sont pas des médecins.

Votre pays prévoit une sortie de crise fin avril. Une stratégie de déconfinement en préparation ?

Pour l’instant, on est juste dans l’application du confinement. Il faut d’abord et avant tout briser la chaîne de transmission. Je suppose que les médecins, les scientifiques et les autorités gouvernementales compétentes réfléchiront sur la stratégie de déconfinement. On est seulement début avril. Je pense qu’il est un peu tôt pour parler de déconfinement. Voyons comment les choses évolueront dans les prochaines semaines.

Quelles leçons tirer des pays africains qui n’enregistrent aucun cas de Covid-19 ?

Je n’ai aucune opinion. Je ne sais pas s’il existe aujourd’hui des pays qui n’en ont pas. Je sais qu’il y’a à peu près 49 pays africains qui ont notifié des cas. Les autres, pourquoi ne les ont-ils pas ? Peut-être parce qu’ils ne les ont pas encore, tout simplement…

Une presse africaine a rapporté que des italiens seraient entrés clandestinement par voie maritime en Afrique, notamment en Côte d’Ivoire, pour échapper à la maladie. Une information confirmée par les autorités concernées. Qu’en pensez-vous ?

Je crois qu’il faut demander aux autorités ivoiriennes. Je ne suis pas ministre de la Côte d’Ivoire. Je ne peux pas répondre à quelque chose qui n’est pas sous la juridiction de mon pays.

A quoi est occupé, aujourd’hui, le ministre de la Communication et des Médias, Porte-parole du gouvernement ?

En bien, je suis confiné ! Au moment où vous m’appelez, je suis chez moi. Je gère mon travail à partir de mon domicile. J’ai mes parapheurs qui sont ici, c’est-à-dire mes dossiers. Puisque nous sommes réquisitionnés malgré tout, j’ai mon cabinet qui fonctionne de manière restreinte. Mon directeur de cabinet et quelques collaborateurs sont consignés, et prêts à répondre à tout appel de ma part. Le gouvernement recourt au maximum au télétravail. Par ailleurs, je suis à la disposition des différents organes dont je fais partie comme la Coordination nationale sur la lutte contre le Covid19, qui est présidée par le chef de l’Etat, ou la « Task force » qui a été mise en place pour étudier les conséquences économiques et sociales de cette crise.

Justement, pouvez-vous nous en dire davantage sur cette « Task force » ?

C’est l’organe de réflexion qui va permettre de réfléchir aux mesures d’accompagnement qui vont être prises en charge dans le cadre du fonds qui est créé. La « Task force » réfléchit, propose des mesures d’accompagnement en faveur des entreprises qui souffrent et des populations les plus vulnérables. Tout sera mis en place et exécuté grâce au financement qui sera obtenu.

Prenez-vous en compte le secteur informel ?

C’est justement l’objet de toutes les réflexions. La difficulté est de prendre en compte la spécificité, comme vous l’avez dit, du secteur informel. Il est difficile de faire profiter d’un abattement fiscal un acteur du secteur informel. Il ne paye pas d’impôts. La réponse fiscale ne peut pas par exemple concerner une personne qui ne paye pas d’impôts ! Nous devons pourtant réfléchir en tenant compte des réalités et de la souffrance de ces petits métiers, de toutes ces micro-entreprises qui souvent sont du secteur informel ; elles font quand même vivre le pays. Le secteur informel participe à l’activité économique. C’est de la richesse malgré tout créée, avec une circulation monétaire et donc de la consommation et de la production.

Est-ce que l’aide sociale, comme le programme « Lisungi », se poursuit en cette période critique ?

« Lisungi » est un projet pérenne du ministère des Affaires Sociales, appuyé par des partenaires, à savoir notamment la Banque mondiale. Le projet « Lisungi » se poursuit, puisque le programme concerne tous ceux, hors pandémie du Covid19, qui n’ont strictement aucune activité ni aucun revenu.

Source : AAF