OPINION. « Ce que vivent les étrangers en France n’est plus digne de notre République », par Fatima Ogbi, Olivier Faure, Benoît Hamon et 60 élus et responsables d’association

Plus d'une soixantaine d'élus et personnalités font part de leurs inquiétudes quant au traitement administratif des étrangers résidant en France et réclament un accès aux droits facilité.

Ce que vivent aujourd'hui, en silence et dans l'ombre, des milliers de personnes étrangères en France ne peut plus être ignoré. Ce n'est plus un simple dysfonctionnement administratif : c'est une rupture de droit, une blessure faite à nos principes, un reniement discret mais profond de ce que doit être la République.

Sur notre sol vivent depuis des années, parfois depuis des décennies, des femmes et des hommes qui ont bâti ici leur vie. Ils travaillent, cotisent, élèvent leurs enfants, prennent soin de leurs proches, s'investissent dans la société. Beaucoup d'entre eux ont vu grandir ici leurs enfants devenus français.

Et pourtant, eux-mêmes restent maintenus dans une insécurité administrative constante. Ils doivent prouver à nouveau qu'ils ont leur place dans ce pays, comme s'ils n'y avaient jamais vécu. Ils attendent, souvent dans le silence, un ¬renouvellement de titre de séjour qui n'arrive pas, un récépissé qui tarde, une réponse qui ne vient jamais.

Depuis 2021, la dématérialisation complète des démarches liées au séjour via la plateforme Anef a multiplié les obstacles. Ce qui devait simplifier l'accès aux droits est devenu un parcours d'humiliation : des rendez-vous impossibles à obtenir, des documents qui disparaissent, des recours qui n'aboutissent jamais.

Des familles se retrouvent privées de leurs droits fondamentaux. Des contrats de travail ne peuvent être renouvelés. Des jeunes perdent des emplois, des logements, des perspectives. Des personnes âgées, malades, ne parviennent plus à effectuer la moindre démarche, et certaines en perdent même leur pension de retraite.

Les alertes sont nombreuses. La défenseure des droits, dans son rapport du 11 décembre 2024, parle d’« atteintes massives aux droits des usagers». La Cimade, la Fédération des acteurs de la solidarité, le Gisti et tant d'autres associations documentent cette mécanique de découragement. Les juridictions administratives sont elles-mêmes saisies, tant la machine semble aujourd'hui dysfonctionner de manière structurelle.

Mais, au-delà des constats, il y a l'épuisement humain. Ce que l'on inflige à ces femmes et ces hommes, c'est l'intranquillité permanente. La peur du rejet, l'angoisse du lendemain, l'impression d'être de trop, même après vingt, trente ou quarante ans de vie ici. C'est une forme de relégation. Une mise à l'écart de l'égalité républicaine.

Une République ne peut pas demander des efforts d'intégration tout en multipliant les barrières à l'accès aux droits. Elle ne peut pas proclamer l'égalité et entretenir un système opaque, injuste, inhumain.

Monsieur le président, nous vous écrivons collectivement parce que nous croyons encore que cette République peut tenir ses promesses. Qu'elle peut être à la hauteur de ses valeurs : l'égalité, la justice, la dignité. Qu'elle peut réparer ce qui a été brisé, redonner souffle à un service public accessible, compréhensible, humain.

Nous en appelons solennellement à la plus haute autorité de l'État. À vous. Pour qu'aucune femme, aucun homme, aucun enfant ne soit traité comme un dossier de trop. Pour que l'administration retrouve sa mission de service, et non d'obstacle.

Pour que les personnes étrangères vivant en France puissent, enfin, être considérées à égalité, dans le respect de leur humanité et de leur histoire. Des personnes âgées, malades, ne parviennent plus à effectuer la moindre démarche, et certains en arrivent même à perdre leur pension de retraite.

Source : La Tribune Dimanche

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