Déjà 10 ans que Jean Serge Essou nous a quittés. Mais, toujours, "Lolaka lua bosso", il demeure. Tel qu'il l'a chanté lui même.
Grande figure de la musique congolaise, auteur compositeur, jazzman, saxophoniste, clarinettiste, Jean Serge Essou a brillé, de mille feux, dans l'orchestre Bantou de la Capitale de Brazzaville dont il est co-fondateur et dans les autres formations musicales de la République Démocratique du Congo, de la France et des Antilles où il est passé.
Lorsqu'il s'éteint, à Brazzaville, à 74 ans, le 25 novembre 2009, Jean Serge Essou emporte avec lui le prestigieux "Prix Artiste de la Paix’’, décerné par l'UNESCO, en 2006. Laissant à la postérité une œuvre immense de productions réalisées et des créations inachevées qu'il n'avait pu terminer.
À l'instar de ces grands esprits qui s'en sont allés, Jean Serge Essou avait encore beaucoup à nous livrer, par la chanson. Et la République, en reconnaissance de la fierté dont il a été pour le pays, et pour l'aura dont il l'a couvert, lui a organisé d'imposantes funérailles.
Jean Serge Essou était un passionné de musique, s'y étant totalement consacré, de son vivant. Mais, pas pour autant obsédé, parce que cet art faisait partie intégrante de sa vie, d'autant qu'il l'a vécu avec tranquillité et dévouement comme processus constant d'amélioration et outil de construction de son existence.
Artiste complet, Jean Serge Essou maîtrisait les questions de production, d'édition de scène et même de communication. Avec une bonne compréhension de son métier, ce qui favorisait un bel esprit d'équipe au sein des orchestres qu'il a servis.
Il semble naturel de penser qu'un homme à succès soit prétentieux ou distant. Dans le cas de Jean Serge Essou, rien n'était plus éloigné que la vérité. Non seulement, d'accès facile, jamais il ne perdait son humanité et, à aucun moment de sa vie, ses performances ne lui sont montées à la tête.
Jean Serge Essou avait l'âme d'un chef d'orchestre. Avec les Bantou de la Capitale, truffé de brillants musiciens, il a excellé dans cette charge. Un rôle particulièrement difficile. Devant être capable de s'imposer, en toute confiance, à ses confrères du groupe, tout en affrontant les critiques. Il était soucieux de permettre à ceux ci de déployer leurs talents pour la mise en place d'une intelligence collective de l'orchestre.
Pour ceux qui ont scruté Jean Serge Essou, sur scène, lors des concerts, dans cette qualité de chef d'orchestre, il ordonnait, debout, par une élégante gestuelle d'onomatopées, de signes de départ, de mesure, de nuance, de répartition et d'expression de visage. Une vraie légende, il était. Une icône dont la légitimité venait de ses capacités, de la force de sa vision, de la richesse de ses chansons et de son autorité.
De par son brio, à la tête de l'orchestre Bantou de la Capitale, Jean Serge Essou a rendu célèbres les espaces de danse de Brazzaville où se déroulaient les bals. C'est le cas du prestigieux "Chez Faignond" à la rue Mbaka, Poto Poto, de "Super Jazz", à Moungali, "Macédo" à Bacongo, "La Flotille" aux cataractes du Djoué. La danse des Nguembo nait, chez Faignond, lorsque, de sa voix de velours, inimitable, dans un duo avec Moulamba Moujos, il chante "Ba Nguembo bo juger."
Le 25 novembre 2019, là bas, dans l'infini de l'au delà, un grand orchestre congolais a célébré Jean Serge Essou. À ses côtés, se sont retrouvés, ceux qui l'y ont précédé. Paul Kamba, Pamelo Mounka, Nino Malapet, Saturnin Pandi, Gerry Gerard, Franco Luambo Makiadi, Madilu Système, Moulamba Moujos, Kwamy Munsi, Lutumba Simarro, Joseph Kabassélé, Issac Mousekiwa, Empopo Moway, Jo Mpoy, Bosuma Dessouin, Vicky Longomba, Ange Linaud, Wendo Kolosay, Henri Bowane, Edou Eenga, Pongo Love, Agbeti Massikini, Lando Rossignol, Dombé Pépé, Celestin Nkouka, Antoine Moundanda, Gilbert Abangui, Maurice Obami, Raphael Boundzéki, Franck Lassan, Emeneya Kester, Nico Kassanda, Tino Baroza, Ntessa Dalienst, Papa Wemba, Loubelo De La Lune et bien d'autres, aussi célèbres que ceux qui sont cités.
Pour avoir bien connu Jean Serge Essou et avoir partagé avec lui des moments, sur de longues années, je n'en finis pas d'être séduit par son talent d'artiste. Mes pensées ont été, en ce 25 novembre 2019, particulièrement, tournées vers lui.
Ce 25 novembre 2019, sans répit, j’ai réécouté Lolaka lua bosso, Bassili nakoyokana, Auguy na Fort Rousset, Tokumissa Congo, Tongo étani, Philosophie, Natindi recommandé, Bolingo na ngai na Béatrice, Senorita yo te quiero, Se pamba, Cherie Lina banzaka ngai, Sérénade sentimentale et autres Albert akeyi. Des chansons parsemées de symboles, créés par un homme libre, guidé par son professionnalisme, qui éveille la conscience du genre humain, sur toutes ses facettes.
Enfin, ce 25 novembre 2019, m’est revenu, de Jean Serge Essou, une image forte. C'est la rencontre, à tout hasard de circonstance, au palais présidentiel, à Brazzaville, du président Pascal Lissouba, avec ses deux conseillers Jean Serge Essou et Léopold Mombod que j'accompagnais, les jours précédant le départ de ce dernier, pour des raisons de santé, en Afrique du Sud où il trouvera la mort, n'ayant pu survivre de sa maladie.
Paix à l'âme de Jean Serge Essou et à celles de toutes ces illustres figures disparues ici relevées.
Ainsi, aux générations qui passent, j'ai, ici, offert quelque miroir de Jean Serge Essou. Dans un Congo où il n'y a nul part un musée pour la culture, peut être devrait on s'en contenter.
Paris le 25 novembre 2019
Ouabari Mariotti