Congo : Jérémie Lissouba, l’UPADS et le contexte international actuel

Pour saisir la nature de l'action personnelle que Jérémie Lissouba va mener au sein de L'Union panafricaine pour la démocratie sociale (Upads), parti créé par son père Pascal Lissouba, ancien président du Congo (1992-1997), il faut partir de trois principaux facteurs importants qui sont la nature de L'Upads, sa direction depuis 2006, sa base et le contexte international actuel.

DE LA NATURE DE L'UPADS

L'Upads a aujourd'hui vingt-six ans. C'est un parti qui est né au cours du processus démocratique soit six ans après la grève des élèves et étudiants du 11 Novembre 1985, deux ans après la grève des travailleurs de Septembre 1989 et cinq mois après la conférence nationale souveraine. II est caractéristique que l'Upads soit légèrement moins âgé que la démocratie congolaise qui l'a entre autres engendré et de laquelle il tire en tant que parti toute sa force et toute sa faiblesse.

II s'agit donc d'un parti d'essence démocratique (comme le Mcddi, le Rdps, le Rdd, l'Udr-Mwinda etc...). Mais dans le développement de L'Upads et tous les partis de même nature, l'application du principe démocratique interne restait à expérimenter. C'est principalement cette préoccupation que Jeremie Lissouba entend approfondir.

Son allocution au congrès de la jeunesse de l'Upads en 2015, la primaire qu'il a remportée avant les législatives de 2017 et son discours de Dolisie sont symptomatiques de ce travail qu'il faut continuer à mener après son père et les directions qui se sont succédées à la tête du parti.

Mais cette tâche (entre autres) relève avant tout de l'ensemble de la direction actuelle du parti. La confiance dont il bénéficie de la base et de ladite direction du parti va être mise à profit pour l'accélération du rassemblement permanent du Parti. Tous les faits ci-dessus énumérés reflètent cet élan de rassemblement dont les législatives ont constitué un facteur de portée incommensurable.

LA DIRECTION DE L'UPADS

La direction actuelle de l'Upads est toute nouvelle. Elle est le produit immédiat de la décomposition de la direction issue du premier congrès de 1994. Elle n'a que douze ans. En effet, l'Upads dans sa construction s'est doté de diverses directions à la suite des multiples luttes internes entre fractions Lissoubistes. En 1991, c'est à la suite de la lutte interne entre la fraction Matanga et la fraction historique de Moukoueke que cette dernière a réussi par la double acceptation des militants et du President Lissouba à obtenir une légitimité en tant que secrétariat du Parti.

Ensuite la direction de l'Upads issue des luttes de la fondation du parti et de son premier congrès de 1994 va affronter les difficultés de fonctionnement d'un parti démocratique: Les assauts du courant des rénovateurs de Maloula-Nzambi (qui étaient de bonne guerre), les vicissitudes de "la bande des quatre" et la fronde post-guerre de Paulin Makita en 2000.

C'est à la suite d'une nouvelle mobilisation des militants par Pascal Tsaty Mabiala, Ouabari, Gamassa, Epouma, Aty... sur fond de débat sur le livre de Moukouéké et la santé du fondateur du parti qu'apparaissent l'Upads fond blanc et fond jaune débouchant sur la scission de l'Upads dont une aile va rejoindre plus tard le Cap (Congrès Africains pour le progrès).

Par conséquent l'aile restante est légitimée par le congrès de 2006 consacrant Tsaty-Mabiala Secrétaire général du Parti. Cette direction est donc celle du premier renouvellement post-guerre à la tête du parti. Malheureusement,  elle est le produit de la première grande scission de la direction du parti depuis sa naissance.

A travers cet acte, l'Upads a été le premier parti issue de l'ouverture démocratique à changer sa direction historique par des quadras de la nouvelle classe politique et non pas immédiatement et exclusivement par des enfants ou des neveux du Professeur Pascal Lissouba.

II faut dire que sans être hégémonique et exclusif la variable familiale a participé (d'une certaine façon ) et efficacement à ses luttes avec une prise en compte irréfutable de la volonté de la base et du rapport de force entre les cadres du parti aussi bien au niveau intermédiaire qu'au niveau des organes suprêmes du Parti.

La façon dont Lissouba Junior développe son action dans le Parti montre qu'il conserve cette démarche initiale faite de prise en compte du rassemblement et des équilibres à l'intérieur de l'Upads. Tout indique que la démarche de Lissouba Junior coïncide avec les règles élémentaires d'une démocratie interne dans un parti.

Le nom du père étant un référentiel et un réservoir d'espoir exceptionnel comme cela a été le cas pour Georges Bush Junior au Parti Républicain, pour les Clinton, pour le couple Hollande au PS (dans lequel est reconnu le Ps) et le fils Sarkozy a l'Ump.

Avec des directions du parti issues de la base, renouvelables à chaque tournant de la vie de l'Upads, Lissouba Junior est en phase avec l'actuelle direction du parti du point de vue des mécanismes ordinaires d'une direction d'un parti démocratique. Celle-ci est flexible, ouverte et manœuvrée par les luttes tactiques des cadres qui tranche la base du parti en fonction de la stratégie et des valeurs expliquées en permanence à ladite base.

Jérémie Lissouba a donc affaire a une direction du parti qui tout en étant Lissoubiste a déjà initié l'après Lissouba en prenant la direction du parti des mains de la direction historique initiale (qui a fait défection). Le tout s'est passé comme si la dite direction historique a payé le prix de la défaite militaire de laquelle elle aurait tiré la conséquence en démissionnant dès la pseudo-victoire du PCT.

Mais cela ne fait pas partie des pratiques politiques au Congo Brazzaville (A l'exception de Lissouba Senior, Mlle Nially, Charles Zacharie Bowao, Claudine Munari et Guy Parfait Kolélas).

DU CONTEXTE

Le contexte dans lequel Lissouba Junior entre dans les institutions du pays est celui au cours duquel la dynamique interne du parti a besoin d'une confiance absolue de la base. II semble que les difficultés liées à la règle des primaires ont donné lieu dans certaines circonscriptions à une concurrence anarchique des cadres de l'Upads à chaque élection législative.

Cela révèle également le manque de stratégie et d'objectifs communs rendant prépondérant les petits calculs personnels à la place de l'intérêt supérieur du pays et du Parti, et anéantissant la discipline de l'ensemble du parti.

N'ayant ni apparatchiks, ni dictateur au sommet du parti, seule la fidélité des militants dans les circonscriptions, demeure le régulateur de ladite anarchie.

Par ailleurs, Jérémie Lissouba entre en politique active après ce qui ressemble au dernier échec de l'alternance démocratique de la part de la nouvelle classe politique congolaise et à un moment où les partis politiques veulent renouer avec leur propre confiance en s'appuyant sur les fils des fondateurs des partis après moult trahisons (selon les militants ) des hauts cadres des mêmes partis.

Depuis 2010, cette tendance avait commencé à la tête du Mcddi, elle s'est prolongée sous une autre forme à la tête du Rdps et du RDD.

La candidature de Lissouba Junior indique la possibilité de la généralisation de ce phénomène à plusieurs variantes. II est important d'indiquer que les enfants du président Denis Sassou Nguesso influencent lourdement les institutions depuis 1996 sans avoir besoin de la direction du PCT. Leurs associations semblent palier à leur présence à la tête du PCT surtout que par leur père ils ont la possibilité d'agir au sommet de ce vieux parti où les dirigeants semblent presque tous cooptés par le chef lui-même.

QUELLES PERSPECTIVES POUR LISSOUBA JUNIOR EN COMPLÉMENTARITÉ AVEC LES DIRIGEANTS DU PARTI ?

Au regard du rétrécissement de l'espace géographique de l'électorat de l'Upads, face à certains cadres du parti devenus candidats indépendants, vue l'absence des statistiques des militants de l'Upads ainsi que la rupture relative de confiance entre les grands partis des années 90 et les citoyens, les perspectives de Lissouba Junior devraient être forgées sur la base de ces données.

DE L'APPROFONDISSEMENT DE LA DÉMOCRATIE ET L'AGRANDISSEMENT DE L'ESPACE ÉLECTORAL DE L'UPADS

Le professeur Pascal Lissouba bénéficiait de la plus longue expérience politique dans la résistance au monolithisme politique et dans la contribution au lancement d'une industrie d'état aux côtés des présidents Fulbert Youlou (dont il a été éminence grise) et Alphonse Massamba-Debat.

Par ailleurs, pendant cinq ans Pascal Lissouba a expérimenté la gestion d'un pays qu'il fallait sortir de la banqueroute tout en affrontant des escarmouches (deux mois après son élection) en politique qui ont débouché cinq ans après sur une guerre civile en 1997.

C'est en combinant cet héritage de gestion avec la popularité intacte dont bénéficie le fondateur de l'Upads au niveau de la base de son parti qu'il va falloir développer à la fois les adhésions et l’électorat dudit parti.

Sur une centaine des partis au Congo-Brazzaville, l'Upads ne peut atteindre ce double objectif que si qualitativement elle est plus démocratique et plus représentative au plan national, continental et mondial. C'est cela l'approfondissement de la démocratie qui est le moyen de l'agrandissement de l'espace géographique de l'électorat de l'Upads.

L'élévation du niveau politique des adhérents et l'augmentation de leur contrôle sur la direction du Parti

Une fois reformée qualitativement et quantitativement l'Upads va seulement reconquérir sa dimension d'il y a vingt-sept ans, lorsqu'au sommet d'à peine un an et demi de croissance, l'Upads était représenté dans presque tous les départements du pays.

Mais pour reconquérir cette taille de croissance initiale il va falloir que les valeurs (démocratie, éthique, respect mutuel, etc...) pour lesquelles les citoyens ont adhéré au parti soient maintenues grâce à la formations des militants de base par les cadres du parti. D'où la nécessité pour les cadres du parti de travailler eux-mêmes sur le Panafricanisme, les valeurs de Gauche aussi bien dans le parti qu'avec d'autres partis au niveau national, continental et mondial.

Grâce à la formation reçue des cadres du parti, les militants de base vont acquérir des idées et des techniques qui leur permettront de débattre, d'apprécier des situations par eux-mêmes, de conquérir les postes électifs internes, nationaux et un jour dans des réseaux politiques internationaux (International socialiste etc...). Bref avoir des outils de contrôle de la direction du parti et éviter des dirigeants inamovibles et absolutistes à la tête de l'Upads.

De la conquête des nouveaux adhérents à un parti réformé

Le renouvellement de la direction du parti n'est pas un luxe c'est une nouvelle offre politique qui va permettre d'attirer des nouveaux adhérents à tous les niveaux du parti de la base au sommet. Ce renouvellement de la direction du parti permettrait de s'ouvrir à la nouvelle vague d'engouement pour la politique qui s'est révélée aussi bien pendant les manifestations de l'opposition que pendant celles du pouvoir même si l'étroitesse des moyens financiers de l'opposition laisse affirmer que celle-ci a suscité irréfutablement un nouvel électorat symptomatique d'une nouvelle sphère politique à construire dans un nouveau contexte avec des nouvelles souverainetés populaires et un personnel politique de plus en plus nouveau, de plus en plus énergique face aux anciens problèmes exigeants des solutions de plus en plus nouvelles et originales.

Les nouveaux adhérents ne seront pas aussi un luxe mais un moyen de rajeunir, de féminiser et donc réformer le parti en lui restituant son envergure géographique initialement nord-sud, Est-Ouest sans laquelle elle n'aurait pas accédé à la magistrature suprême en Aout 1992.

Fonctionnement du pays, fonctionnement du monde et fonctionnement du Parti

En d'autres termes les adhérents venants de l'ensemble des départements du pays vont davantage garantir le caractère Trans ethnique dont l'Upads malgré toutes les falsifications de ses détracteurs possède indiscutablement dès sa naissance : un parti dont les militants forment déjà un noyau au-delà de trois régions est par essence non tribal car toutes ces régions sont peuplées par une mosaïque ethnique.

Par ailleurs même ce que l'on appelle les pays du Niari (Niari, Bouendza, Lekoumou) ce n'est pas une ethnie cet accronyme est un meltingpote ethnique qui existait d'abord géographiquement et s'est transformé partiellement en structure politique.

Malheureusement, l'Upads n'a pas suffisamment argumenté là-dessus. Et il faut ajouter que toutes ces composantes ethniques ont des ramifications avec tous les principaux bassins démographiques du pays. Ce qui est un facteur important d'équilibre et de mobilisation pacifique du pays.

Par ailleurs quelques Mbochis (report des voix du président Sassou sur Lissouba en 92) quelques laris et d'autres ethnies avaient bel et bien participé à l'accession de l'Upads au pouvoir même -si les Bembe avaient constitué la plus grande illustration de ce vote exceptionnel et historique.

Dans tous les cas, l'électorat qui est au-delà des fiefs historiques des partis (Pct, Upads, Mcddi, Rdps etc...) demeure important en tant que clef d'une victoire électorale.

Aucun parti (l'Upads y compris) ne peut accéder à la magistrature suprême au Congo-Brazzaville rien qu'avec une seule ethnie quel que soit la nature de l'hégémonie démographique d'une de ladite ethnie.

Mais avec une coalition de plus de quinze ethnies dont certaines sont porteuses des nombreuses populations une victoire est irréfutable telle a été la grande leçon de l'élection du Professeur Lissouba en 92. D'où la nécessité d'autres nouvelles adhésions Transethniques comme conséquence d'une nouvelle démocratisation interne et totale de l'Upads.

Ces nouvelles adhésions seraient une nouvelle reproduction du dépassement du tribalisme révélé entre autre par la dernière élection présidentielle à travers une hétérogénéité des manifestants et des blocs politiques en présence (Kolelas, Munari, Blanchard Oba, Mokoko etc...).

II s'agit ici de mettre en relief la nécessité du fonctionnement du pays par rapport aux nouvelles réformes à initier dans le parti. La mutation de la psychologie collective de notre pays est importante pour faciliter nécessairement l'approfondissement de la mutation qualitative de l'Upads.

En revanche, la poursuite de la mutation qualitative de l'Upads va à son tour se connecter aux nouveaux changements en cours au niveau de la jeunesse du Pct, du Mcddi, du Rdps, du Rdd, de l'Ufd, Capo et bien d'autres formations politiques. Tout ceci pour enrichir les acquis de l'ouverture démocratique des années 90.

Par ailleurs, le fonctionnement du monde est également nécessaire pour l'accélération des réformes internes des partis en général et de L'Upads en particulier.

Jérémie Lissouba s'engage plus activement en politique et dans les institutions au moment où le monde est confronté aux nouvelles incertitudes: Terrorisme, Baisse du prix du baril de pétrole, montée relative des populismes, premier grand tournant de la crise du projet de l'Europe avec le Brexit, la crise écologique etc... Toutes ces grandes incertitudes ne garantissent pas une détente politique globale établie.

Par conséquent les nouvelles adhésions Transethniques attendues et les incertitudes potentielles du monde peuvent nécessairement impacter l'Upads. Rien n'est absolu. Parallèlement à ces incertitudes au niveau mondial, il y a des espoirs tel que le vote Macron (pro-europe) en France, la progression de la démocratie en Afrique avec le cas de la Gambie. Les nouvelles démocraties Africaines (Namibie, Benin, Mali, Guinée, Cap vert, Afrique du sud, Tunisie, Guinée Conakry) vont démystifier et compléter les vieilles démocraties européennes, les revivifiées et achever la construction du caractère universelle et mondial de la démocratie.

En regardant l'Afrique, l'Upads doit concentrer son regard sur les pays exemplaires pour avoir les meilleures sources d'inspirations à l'échelle du continent et chercher à mieux faire tout en tenant compte des particularités des pays.

Au plan interne, le parti peut être stimulé par les évolutions psychologiques révélées par la présidentielle de 2016 et les batailles qu'il a menées au plan institutionnel sans avoir été un seul instant associé au gouvernement pendant une vingtaine d'années d'opposition. Cela rappelle la résistance du fondateur du parti pendant près de vingt ans (1972-1991) de traversée du désert sans poste ministériel et sans perte de vigueur jusqu'à la consécration suprême de la nation en 1992.

La différence étant le doute que les militants émettent sur l'intégrité des dirigeants du parti. Ce qui n'a jamais été le cas pour son fondateur.

Eustache LEPENDA