Brazzaville, ville d’ambiance et d’Histoire (Par Sylvère-Henry Cissé)

Marcher dans Brazzaville, c’est s’imprégner d’une ambiance proprement africaine. C’est aussi plonger dans une part d’Histoire de l’Afrique avec la France. Capitale du Congo, Brazzaville est aussi une ville d'histoire qui a été la capitale de la France libre pendant trois ans et celle de l'Afrique-Équatoriale française (AEF) où le général de Gaulle a prononcé son fameux discours sur l'émancipation des colonies d'Afrique en 1944.

Chaque ville est marquée par une onde sonore qui la qualifie, une rumeur unique qui la distingue de toutes les autres. Fermez les yeux et essayez d’imaginer la signature sonore de Brazzaville, cette capitale du Congo qui doit son nom à l’explorateur Savorgnan de Brazza et qui fut la capitale de l’Afrique-Équatoriale française et, un moment, de la France libre. Ce qui frappe en premier lieu, c’est son empreinte. Elle n’est ni comme celle de New York, dense, très dense, ni comme celle de Dakar épaisse de chaleur, d’Abidjan à l’atmosphère humide et vibrionnante, de Casablanca très tonique, de Paris tout en retenue, de Londres aux accents métalliques ou de Johannesburg au caractère granuleux.

La question de savoir comment définir l’empreinte sonore de Brazza se pose donc d’emblée dès qu’on sort de l’aéroport international Maya-Maya.

C’est un doux mélange poivre-cassonade, et le meilleur moment pour la goûter est certainement le petit matin. Elle s’apprivoise plus facilement avec la petite brise qui accompagne les premières lueurs de la journée et atténue légèrement la chaleur tropicale.

Aux petits matins se mélangent les klaxons de taxis, les chants des tisserins, ces petits oiseaux aux couleurs arc-en-ciel et vous pouvez entendre un crieur de rue au petit matin, aboyer : « Avocat ! citronnelle ! » Il n’est pas rare d’entendre quelqu’un parler fort, mais jamais sans agressivité.

Brazzaville le matin

Avant ou après le petit-déjeuner il est agréable de marcher dans Brazzaville qui possède l’énorme avantage d’avoir de larges trottoirs, ce qui est plutôt rare dans des villes africaines complètement parasitées par une certaine culture de la voiture. Brazzaville a fait d’énormes progrès en matière de propreté. Les rues sablonneuses et jonchées de déchets sont rares dans le centre. Tout cela dans un environnement marqué par une certaine harmonie architecturale, même si de nombreux bâtiments Art déco, défraîchis, gagneraient à être mieux conservés tant leur apport au charme de la ville pourrait être encore plus appréciable.

Partir à la découverte de la capitale du Congo est une aventure. Elle n’est ni reconnue comme une destination touristique ni ne figure dans les classements des villes incontournables. Peu de guides touristiques lui sont consacrés et elle n’attire que des cols blancs qui n’en voient que l’aéroport et les hôtels. Quant aux diasporas congolaises, elles privilégient le cocooning familial. Pourtant, cette ville, au cœur de l’Histoire de l’Afrique et de la France, mérite vraiment plus qu’un week-end ou quelques jours pour être explorée. Quel que soit le motif de votre voyage à Brazzaville, prenez le temps. Décrochez un à deux jours pour partir à sa conquête.

Des étapes dans Brazzaville réveillée

Une fois la fraîcheur du matin passée, prenez une « Sarkozy » ou une « Benoit XVI ». Pour les différencier, ce sont les surnoms attribués aux taxis Toyota Corolla de couleur verte. Sensiblement identiques, des noms de personnalités au firmament de leur popularité leur ont été attribués à la sortie des modèles de voitures. Surtout ne demandez pas pourquoi le taxi tout en rondeur est surnommé « Cuisse de poulet ». Vous risquez de passer pour un extraterrestre. On vous regardera avec un vif étonnement et on vous répondra comme une évidence : « Ben ! Voyons ? ! Parce qu’ils sont courts sur pattes ! »

Une escapade à Brazzaville doit débuter par une visite à Sa Majesté le fleuve Congo, mais aussi au pont du 15-Août-1960. Cette merveille architecturale à découvrir en tout premier lieu fait partie intégrante du paysage. Lors de sa traversée dans la journée, vous réalisez qu’il a quelque chose d’hypnotique. La nuit, avec ses haubans et son tablier avec des lumières aux couleurs du drapeau national (vert, jaune, rouge, en trois bandes inclinées), il y règne une atmosphère mystérieuse qui ne peut vous laisser indifférent.

Passez le pont et glissez-vous vers les chemins de traverse. Vous pouvez vous poser au restaurant Les Rapides. C’est une célèbre adresse qui vous permet de prendre du bon temps et vous détendre autour d’une bière ou d’un bon repas. Cela dit, allez-y surtout pour la vue imprenable sur le fleuve Congo dans sa partie la plus tumultueuse. Appuyé sur la balustrade, vous allez découvrir des sensations inédites.

Brazzaville n’est pas réputée pour être la ville la plus animée culturellement du bassin du Congo. Elle est complètement masquée par Kinshasa, sa grande sœur de l’autre côté du fleuve. Elle est pourtant montée d’un cran important avec une galerie dont tout le monde parle dans les cercles de l’art contemporain africain. Au 213 de la rue de la Musique-tambourinée, entre l’hôtel Michael’s et l’ambassade de France, se niche Art-Brazza, très convoitée par les artistes.

Art-Brazza, un haut lieu culturel pas comme les autres

Pour preuve, cette conversation entendue dans une soirée à Kigali et où il était question de sa réputation. « J’aimerais bien exposer à Art-Brazza, car elle respecte bien les artistes et les paye bien », disait avec enthousiasme un artiste.

À l’origine de cet engouement, il y a l’homme d’affaires Patrick Itouad. Ce collectionneur invétéré et passionné y entretient un mécénat unique dans son genre en Afrique subsaharienne. Il n’attend pas la vente de la toile pour rétribuer les artistes. Il offre des contrats de six mois à un an aux créatifs qu’il a repérés contre une rémunération mensuelle d’environ 1 000 euros.

Fourniture des toiles, des peintures et des outils des meilleurs fabricants avec un seul but : les libérer des contingences matérielles du quotidien, souvent très difficiles sur le continent, pour qu’ils se concentrent pleinement et uniquement sur la création. Il est le seul à proposer ce genre de contrats aux artistes et à les accompagner à l’international.

Dans la galerie Art-Brazza vous trouverez les pièces d’exception de grands artistes des deux Congo, comme Chéri Samba, Moké ou Shula Mosengo. Il y a également celles des jeunes qui montent. Avec les artistes de Kinshasa au rez-de-chaussée et ceux de Brazzavillois à l’étage, vous serez en contact avec des œuvres destinées aux plus grandes maisons de ventes européennes, si elles ne trouvent pas preneur sur place, car Art Brazza s’installera prochainement à Paris pour ouvrir une galerie complètement dédiée à l’art contemporain africain, avec l’ambition de s’installer un jour à Londres et à New York.

Quand Brazzaville termine sa journée

Le croisement de la fin de journée et du début de soirée peut être délicieux au Vog, et auguré de belles agapes. Nous sommes tombés sous le charme de ce club privé. Tandis que les « Sarkozy », « Benoit XVI » et autres SUV sillonnent le boulevard Denis-Sassou-N’Guesso, l’endroit mérite un stop pour y prendre un verre qui peut aller jusque tard dans la nuit, tellement on se sent bien dans ce bar à l’ambiance florentine. C’est là que Frédéric règne avec élégance sur un établissement à l’ambiance dont la tranquillité rappelle la maison. Souriant, affable, avec un physique de sportif de haut niveau, le maître d’hôtel a toujours le mot juste avec la bonne distance avec ses clients. Que ce soit sur la terrasse encadrée de verdure ou dans la salle cosy, cette maison décorée avec sobriété reçoit une population d’habitués, de personnalités du Tout-Brazzaville qui se laissent aller à déguster de jolis vins escortés par de succulentes planches de charcuterie et de fromage.

Dans le quartier de Bacongo

Brazzaville vous surprendra à la nuit tombée si vous faites une halte dans le quartier de Bacongo. C’est ici que le cœur battant de la capitale du Congo se livre à vous, avec des bars, comme chez Deguy, pour s’encanailler d’une bière locale entre amis, posés sur des tabourets hauts, et s’enivrer de musique congolaise et nigériane autour de petites tables rondes.

Bacongo et la rue Matsoua restent remarquables pour sa cohorte de sapeurs qui défilent et se défient. L’étoffe est leur religion et cette avenue leurs « Champs-Élysées ». Il fut un temps où les diasporas de retour au pays régnaient en maître sur cette bataille chromatique. Mais l’essor des vêtements de qualité de seconde main a rehaussé le niveau des sapeurs locaux qui font jeu égal avec les Parisiens. Plus rien à voir avec la friperie qui ne pouvait rivaliser avec une première main. Issus de toutes les couches sociales, du cadre au chômeur, les sapeurs, pour désigner les membres de la société des ambianceurs et des personnes élégantes (Sape), sont tous au même niveau pour flamber sans complexe, afficher leurs costumes dans les plus belles étoffes et engager un dialogue chromatique unique au monde.

Cette halte agréable vous incitera à vous engouffrer plus encore dans la nuit brazzavilloise. Dans ce quartier historique de Brazzaville, il peut être donné de découvrir le plus grand marché de la ville, le marché Total, mais aussi la Case de Gaulle qui fut la résidence du général pendant la Seconde Guerre mondiale.

Les « sapeurs », un phénomène à découvrir et apprécier

Le photographe congolais Baudouin Mouanda a fait un remarquable travail sur ce phénomène dépositaire de l’âme du Congo et l’a magnifiquement immortalisé dans des expositions qui ont fait le tour du monde.

Malgré le manque cruel d’un restaurant de haute gastronomie qui aurait été digne d’une grande capitale comme Brazzaville, la capitale congolaise est vraiment une destination attachante, pour peu que l’on prenne le temps de la découvrir après avoir confié l’obtention du visa à une agence de voyages, une étape qu’il ne sera pas anodin de se décharger pour éviter d’être éreinté avant de poser le pied sur les bords du fleuve Congo, dans cette ville chère au général de Gaulle qui en fit pendant trois ans la capitale de la France libre et où il prononça en 1944 le discours par lequel la question de l’émancipation des colonies africaines a été envisagée.

Source Le Point