Château Rouge : la caverne d’Ali Baba ou l'Afrique au cœur de Paris

Situé dans le 18è arrondissement de la capitale française aux pieds de la butte Montmartre, à un jet de pierre du Sacré-Cœur, Château Rouge, voisine avec Barbès est l’un des lieux de rendez-vous de la communauté africaine. Mais à la question connaissez-vous l’origine de Château Rouge, nul ne peut y répondre avec exactitude.

«Château Rouge est un marché où je viens constamment acheter la nourriture de mon pays parce que c’est difficile et impossible d’en trouver ailleurs », nous confie Blanche M. de nationalité congolaise du haut de ses 43 ans.

«Je ne suis pas friand de la cuisine française, alors pour me ravitailler je viens à Château Rouge pour acheter tout ce que j’avais l’habitude de manger en Côte d’ivoire», renchérit Edwige, la trentaine révolue.

«Vous les journalistes vous aimez poser des questions aux gens, tu ne sais pas que Château Rouge est un grand marché des produits exotiques à Paris », lance Amélie de nationalité camerounaise dans un style teinté d’humour.

En cherchant un peu, on peut découvrir que ce quartier tient son nom d’un petit château du même nom construit en 1780 en pierre et en brique. Celui-ci aurait selon la légende abrité les amours d’Henri IV et de Gabrielle D’Estrée. Il a ensuite été transformé en 1848 en bal champêtre avant d’être démoli en 1875. Château Rouge a d’abord accueilli vers 1950 des travailleurs immigrés d’origine belge, italienne, polonaise, et espagnole. Ce n’est que dans les années 80 que les africains s’y installèrent, donnant au quartier sa coloration pluriculturelle.

L’Afrique au cœur de Paris

Du mardi au dimanche à Château Rouge, le véhicule est fortement déconseillé car la foule dense et les embouteillages inextricables. Le métro, station « Château-Rouge ». Il règne le samedi une ambiance folle à l’entrée de la station. La foule est souvent trop nombreuse et il faut se faufiler pour y entrer autant que pour en sortir.

Les gens viennent faire leurs courses de toute la région parisienne et c’est un véritable enfer pour circuler.

Le tableau ne serait pas complet sans évoquer les commerces illicites qui fleurissent dans le quartier. C’est un exotisme de plus, une sorte de joyeuse zone de non droit. Tous sont très attentifs à l’arrivée de la police. Le seul nom de commissaire suffit à disperser tout le monde juste le temps d’un battement des paupières. Mais ils reviennent toujours et c’est l’éternel jeu du chat et la souris.

Alignés en rang d’oignons, hommes et femmes font le piquet derrière leur étal de fortune. Impossible de faire un pas sans se faire bousculer ou apostrophé, les femmes se faufilent dans la masse dense et bigarrée. Elles s’imaginent le temps d’un instant « être au pays ». Tout en faisant leurs courses elles s’arrêtent souvent pour saluer et discuter dans leurs dialectes avec des amis, rencontrant parfois des gens perdus de vue. C’est alors l’occasion de retrouvailles chaleureuses. L’ambiance est saisissante, l’Afrique au cœur de Paris. Beaucoup s’affichent avec un goût prononcé pour la fringue, assemblages originaux et couleurs vives.

A l’inverse de ce que sont les rues parisiennes (des lieux de passage), l’ambiance ici est incroyable tant certains africains sont extravertis. On se parle avec force gestes, des grands cris et éclats de rires. Certains parlent si forts et avec tant d’entrain qu’il est même difficile de savoir sils discutent ou sils s’engueulent. A tel point, que régulièrement le propos s’envenime et on entend alors des voix de stentors au débit infernal qui tonnent des minutes durant dans de grandes gesticulations théâtrales ; des attroupements se créent ; c’est l’attraction et ça se termine généralement très bien et sans anicroches.

Une représentation de la cuisine et du mode de vie africains

Plus tard, les discussions se poursuivent dans les restaurants des alentours qui offrent tout un éventail de spécialités régionales ; avant d’aller danser le coupé décalé, le makossa, le zouk ou le ndombolo dans des bars. Toute la palette de l’Afrique de l’ouest y est représentée. Les gens viennent déguster le mafé, plat en sauce faite de tomates et de cacahouètes, le Yassa à base d’oignons confits ou le tiebou-dien, le plat national sénégalais fait de poisson et de riz.

Véritable caverne d’Ali Baba, Château Rouge regorge de petites épiceries qui fournissent tous les ingrédients de la cuisine et du mode de vie africains. Sur les devantures, on trouve une grande variété de légumes frais, bananes plantains empilées artistiquement, manioc, gombos, patates douces « meilleures que les patates d’Europe parce que sucrées selon des clients », plusieurs variétés d’épinard, petites aubergines blanches, feuilles de patates douces, gingembres, piments. L’on trouve aussi les magasins de pagnes, d’objets d’art, de cosmétiques qui grouillent le long des rues avoisinantes le marché (rues Doudeauville, Poulet …).

Pour les commerçants de Château Rouge, la question de l’approvisionnement ne pose aucun problème. Chaque semaine ils sont livrés en produits frais. Chaque pays d’Afrique est un fournisseur potentiel mais ce qui se vend ici ne provient pas uniquement d’Afrique. On y trouve du manioc du Brésil, de la banane de Colombie, des gombos du Mexique, du poisson frais et surgelé de Thaïlande.

Pendant longtemps ce marché a été l’affaire des asiatiques, qui bien qu’encore présent sont en minorité. Cette mainmise s’explique par le fait qu’ils ont été les premiers à s’intéresser à ce genre de commerce. Aujourd’hui la tendance s’est inversée et la majorité des grossistes, détaillants et fournisseurs sont africains. Ce sont principalement des ivoiriens, des camerounais, congolais, togolais et sénégalais. Et d’ailleurs c’est là que réside toute la richesse de ce lieu. Comme quoi, c’est la diversité des couleurs qui fait la valeur d’un tapis.

Et pour de nombreux afro-antillais intérrogés par Les Echos du Congo Brazzaville, si Château Rouge n’existait pas à Paris, ils devraient tous l’inventer car chacun sait que sans ce lieu, il serait difficile de trouver les ingrédients nécessaires pour concocter des plats typiques traditionnels.

Jean-Jacques Jarele SIKA